La Bauge accueille assez souvent les nouvelles maisons d’édition qui ont choisi de publier exclusivement en numériques, des Pure players comme Numériklivres, Edicool, Les Éditions de Londres, sKa ou encore des auteurs auto-édités. Mais figurez-vous qu’il y a un éditeur dont je n’ai pas encore eu l’occasion de parler, et ce malgré son catalogue très riche aux titres alléchants ? Un éditeur qui, en plus, compte parmi les plus innovants, avec ses titres qui font du lecteur le héros du récit et ses exploits techniques quand il s’agit de tester les capacités d’un nouveau standard comme le HTML 5 ou l’EPUB 3. Et quand on sait que c’est précisément cette maison-ci qui voue un véritable culte à l’univers de Lovecraft et à ses habitants aussi mystérieux que terribles, un univers que j’adore visiter jusque dans ses derniers recoins, on aimerait vraiment savoir ce qui a pu se passer pour retarder à ce point la rencontre du Sanglier et du Morse. Vous l’aurez compris, je parle de Walrus Books, et pour répondre à la question que je viens de poser moi-même : rien de particulier. Sauf le fait que l’offre des pure players est devenu tellement riche qu’on peut passer le plus clair de son temps à lire leurs titres sans jamais voir la fin du catalogue…
Quand le Morse a donc lancé, le 17 octobre, une nouvelle fournée de nouvelles dans la collection MICRO, j’ai sauté sur l’occasion, et j’ai laissé tomber mon dévolu, après avoir longuement feuilleté les pages électroniques du catalogue, sur une nouvelle de Dominique Lémuri, En Adon je puise mes forces, un texte où archéologie et Science Fiction font bon ménage, un mélange qui me fascine depuis toujours. La nouvelle est précédée d’un fragment d’un texte très ancien attribué à l’auteur phénicien Sanchoniathon, personnage obscurci par les brumes d’une histoire très reculée dont ne sortent que des bribes et des fragments de ses textes, connus à travers la traduction grecque de Philon de Byblos, compatriote très éloigné du premier à l’époque romaine et auteur d’une Histoire phénicienne. Cette citation authentique [1]Dans uns sorte de « Making of », l’auteure précise qu’elle a inventé l” »entrefilet du début ». Effectivement, après m’être assuré de la véracité des noms cités, je ne suis pas allé jusqu’à … Continue reading donne le ton de la nouvelle qui se situe donc aux bords mythiques de l’Histoire de la Civilisation. L’intrigue proprement dite commence ensuite par une scène quelque peu macabre, la descente d’une jeune prêtresse, Elythia, dans la tombe fraîchement creusée du roi Ahiram, personnage historique mort vers l’an mille avant la naissance du Christ, célèbre surtout par le fait que son tombeau contient une inscription qui utilise 21 des 22 caractères de l’alphabet phénicien, l’ancêtre des alphabets modernes :

Cette brève entrée en matière traduit un savoir-faire solide de l’auteure qui sait créer, dès le départ, une ambiance captivante où se traduisent la peur et les appréhensions de la jeune femme dans son rendez-vous solitaire avec la mort :
La jeune prêtresse avait recommandé au novice de rester éveillé, cette fois-ci, pour la hisser dans la salle hypostyle dès qu’elle tirerait sur la corde. La veille au soir, l’adolescente avait cru défaillir de peur pendant qu’elle criait en espérant chasser sa somnolence.
L’intrigue fait ensuite un grand saut dans le vide, en transportant le lecteur dans l’espace, où il assiste à l’évasion d’un prisonnier et à une course poursuite – les ingrédients classiques d’un policier promettant plein d’action et une intrigue tout en vitesse. Comme le criminel fugitif, Majjaar, s’est vu contraint de choisir un véhicule qui ne possède pas les capacités requises pour un voyage interstellaire, il décide de se poser sur la planète bleue dont la trajectoire, fort heureusement, croise à ce moment précis celle de sa capsule de secours. Ayant atterri non loin d’une « agglomération primitive bordée de remparts, coincée entre falaise et rivage », Majjaar ne tardera pas à découvrir une tombe fraîchement creusée dans la roche vive qui lui servira de refuge et de guet-apens. Quant aux autochtones affairés autour de la dépouille mortelle, il compte s’en débarrasser sans courir le moindre danger. Mais c’est compter sans ses hôtes qui lui réserveront peut-être encore des surprises.
Cette petite nouvelle met en scène le clash entre les représentants de deux civilisations que tout semble éloigner et dont résultera pourtant une avancée majeure pour la plus « primitive » des deux, une découverte qui ouvrira toutes grandes les portes vers l’avenir. Le tout est raconté dans une ambiance chargée d’appréhension que l’auteur sait créer avec une parcimonie de moyens qui rend le résultat d’autant plus convaincant. Un texte dont on regrette de voir la fin au bout de si peu de pages. Et un sujet qu’on aimerait voir plus amplement traité.
Source de la reproduction de l’inscription sur le sarcophage du roi Ahiram : Wikimedia Commons.
Dominique Lémuri
En Adon je puise mes forces
Walrus Books
ISBN : 978−2−363−76229−0
Références
↑1 | Dans uns sorte de « Making of », l’auteure précise qu’elle a inventé l” »entrefilet du début ». Effectivement, après m’être assuré de la véracité des noms cités, je ne suis pas allé jusqu’à vérifier l’existence de ce fragment particulier. Mon erreur d’attribution confirme donc qu’elle a su se glisser dans la peau d’un érudit de l’Antiquité :-) |
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