Zar­ca, Paname Underground

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Le Prix de Flore, donc. Je reste bouche bée devant le che­min par­cou­ru depuis la décou­verte du Mec de l’Un­der­ground en 2013 par les Édi­tions Edi­cool, jus­qu’à ce 7 novembre 2017, jour où le comi­té réuni autour de Carole Chré­tien­not et de Fré­dé­ric Beig­be­der, les deux créa­teurs du Prix, a décer­né celui-ci à Johann Zar­ca pour son der­nier roman, Paname Under­ground. Le San­glier dit « Bra­vo ! » et féli­cite un auteur mille fois digne de cette récompense.

Le Pouilly Fumé, récompense convoitée du titulaire du Prix de Flore

En même temps, je n’ar­rive pas à rete­nir un morne sou­pir quand je pense au sort d’E­di­cool – mai­son fon­dée par Paul Leroy-Beau­lieu qui a publié des auteurs renom­més comme jus­te­ment Johann Zar­ca ou encore Anne Bert – édi­teur pure player de la pre­mière heure, balayé du pay­sage lit­té­raire par le désa­mour des lec­teurs pour les textes 100% numé­riques. Mais bon, c’est du pas­sé, tout ça, et consta­ter les suc­cès rem­por­tés depuis par Johann Zar­ca est un plai­sir non miti­gé. Et main­te­nant, après ces deux para­graphes en guise de pré­face – par­ta­gée entre enthou­siasme et nos­tal­gie – pas­sons au texte qui a offert à son auteur le plai­sir de pou­voir diver­si­fier sa diète en tro­quant l’ha­bi­tuelle teille de Sky contre un verre de Pouilly Fumé quo­ti­dien pen­dant un an : À la tienne, Johann !

Main­te­nant : Quand on dit Zar­ca, on pense au Paris des bas-fonds insa­lubres où traînent des per­son­nages aus­si mal­fa­més que le Boss de Bou­logne et où le Mec de l’Un­der­ground ras­semble une faune dont le lec­teur suit les fastes avec un mélange d’in­cré­du­li­té, de fas­ci­na­tion et de peur. Et l’i­ni­tié est d’a­vance ravi par le plai­sir de retrou­ver ce lan­gage si par­ti­cu­lier indis­so­ciable du bio­tope que Zar­ca recrée avec un savoir-faire hors du com­mun. Je me sou­viens de ma pre­mière confron­ta­tion avec un de ses textes, Le Mec de l’Un­der­ground, fiè­re­ment pré­sen­té par Vincent Ber­nard qui venait de dégo­ter ce bijou, et des efforts qu’il a fal­lu déployer pour péné­trer la jungle lin­guis­tique faite d’ar­got, de ver­lan et du lan­gage des cités. Un grand mer­ci à Google, moteur de recherche qui per­met de pis­ter les mots pour les pla­cer dans un contexte qui rend pos­sible le décryp­tage. Et un mer­ci plus grand encore à celui qui m’a appris à lire les phrases à voix haute pour recréer l’am­biance de la parole vivante telle qu’elle déve­loppe sa beau­té non miti­gée une fois arra­chée aux contraintes de l’or­tho­graphe avec ses doc­tis­simes racines gré­co-latines ! Lan­gage qui à coup sûr ne fait pas par­tie de l’u­ni­vers de la plu­part des lec­teurs et qui pour­tant, mal­gré les efforts qu’il faut déployer dans un pre­mier temps pour le déchif­frer, est loin d’être un obs­tacle à la com­pré­hen­sion, les habi­tudes lin­guis­tiques des milieux où évo­lue le nar­ra­teur véhi­cu­lant une ambiance qui per­met de sai­sir les per­son­nages dans leur entiè­re­té – et ce n’est pas là un des moindres exploits de Zar­ca conteur. En plus, ce pro­cé­dé place Zar­ca dans la plus pure tra­di­tion des grands roman­tiques, dans la lignée d’un Hugo qui, ayant « mis un bon­net rouge au vieux dic­tion­naire », entre­prit de sor­tir ces « tas de gueux, drôles pati­bu­laires » des « galères » de l’ar­got, et de sor­tir la « popu­lace du style » du « fond de l’ombre » [1]Vic­tor Hugo, Réponse à un acte d’ac­cu­sa­tion.

Pour ce qui est de ce qui se passe dans les textes, Zar­ca relève bien sûr dans une large mesure de ce qu’il est conve­nu d’ap­pe­ler la « lit­té­ra­ture van­dale », celle qui pro­gresse à coup de gueules fra­cas­sées et où les pistes de lec­ture sont pavées de cadavres qui s’a­mon­cellent sous les coups de cou­teaux et de flingue, l’a­bus d’une pano­plie de drogues et de guerres entre clans rivaux. Tout ça, on le retrouve évi­dem­ment dans Paname Under­ground, mais quelle ne fut pas ma sur­prise quand j’ai pu consta­ter que Zar­ca y renoue aus­si avec les mêmes racines gré­co-latines dont il s’est si farou­che­ment cou­pé pour par­ve­nir à la maî­trise lin­guis­tique qui fait res­pi­rer ses personnages.

À lire :
Astrid Monet / Ferdinand, 14 nouvelles du métro Parisien

Paname Under­ground, c’est un texte qui a été pré­sen­té de long en large – et l’au­teur n’y est pas pour rien ! – comme une sorte de guide vert des bas-fonds de la capi­tale, entre backrooms clan­des­tins, cités rivales et cata­combes han­tées par les esprits per­dus du XXIe siècle. Mais, ai-je envie de crier sur tous les toits, il n’en est rien ! L’i­dée en est certes évo­quée par un per­son­nage du roman, Dina, la mys­té­rieuse « sœur » dédi­ca­taire, idée aus­si­tôt reprise – et maintes fois évo­quée par la suite – par le nar­ra­teur qui la prend comme pré­texte – sorte de fil d’A­riane – pour contac­ter les copains capables de l’in­tro­duire dans toutes les niches de l’é­trange éco­sys­tème qui se dévoile au fur et à mesure des cha­pitres et des ren­contres. Au lieu d’être un guide à pro­pre­ment par­ler, il s’a­gi­rait donc plu­tôt de l’his­to­rique de ce guide, le pour­quoi du com­ment d’une genèse qu’on suit – côté lec­teur – avec assi­dui­té. Mais un guide, si cela nous pro­met de nous faire décou­vrir les endroits qu’il faut voir, ça manque sys­té­ma­ti­que­ment – d’in­trigue. Zar­ca, grand racon­teur devant l’é­ter­nel, a évi­dem­ment com­pris le peu d’in­té­rêt lit­té­raire d’un authen­tique guide – à la façon d’une bucket-list des endroits de l’Un­der­ground qu’il faut avoir vu avant de clam­ser, sauf que cette liste-ci est sus­cep­tible de conduire le lec­teur à l’en­droit pré­cis où son sort sera scel­lé, peu importe le nombre d’en­droits visi­tés – idée dont il s’est sai­si comme d’un pré­texte pour déve­lop­per ce qui lui tient à cœur et ce qui assure le suc­cès du titre – une intrigue. Celle-ci n’est pas très com­plexe et se laisse vite résu­mer : Une fille – com­pagne plus ou moins régu­lière des ébats du nar­ra­teur – est retrou­vée morte. La piste de l’o­ver­dose est vite évo­quée, sauf que la vic­time n’a­vait pas l’ha­bi­tude de l’hé­roïne. Le nar­ra­teur le sait, et des doutes com­mencent à s’emparer de sa cer­velle, mal­gré le niveau de sub­stances illi­cites qui ont ten­dance à la main­te­nir dans un état de non-remise en ques­tion de ce qui peut pas­ser pour un fait acquis. Après des ten­ta­tives de meurtre et un enlè­ve­ment qui manque de peu de se ter­mi­ner par l’é­li­mi­na­tion pure et simple du nar­ra­teur, celui-ci s’en­toure d’une bande de copains – ceux-là même qu’il vient de consul­ter pour son pro­jet de guide – pour venir à bout des menaces et des énigmes – et pour faire remon­ter des limbes le sou­ve­nir imma­cu­lé de la morte.

À lire :
Éric Mouzat, Petites confidences estudiantines

Une femme morte, une des­cente dans les sou­ter­rains (l’Un­der­ground), le com­bat avec les démons qui les hantent, voi­ci réunis les élé­ments d’une varia­tion aus­si belle qu’o­ri­gi­nale autour du mythe d’Orphée et de sa des­cente aux enfers, expé­di­tion dont l’un revient aus­si bre­douille que l’autre. Il ne manque plus au nar­ra­teur que de se faire dévo­rer par les Bac­chantes, mais quand on pense au nombre de drogues que celui-ci a l’ha­bi­tude d’in­gur­gi­ter, il fini­ra sans aucun doute par suc­com­ber à ces démons contem­po­rains, cor­tège aus­si infer­nal que celui qui vint à bout de l’archi-poète.

Ce voyage, cette des­cente, per­met à Zar­ca de mon­trer des endroits aus­si mal famés que la Col­line, séjour de toxi­co­manes, ou les cloaques de Paris où le visi­teur inopi­né croise des per­son­nages aus­si inquié­tants que mal­veillants. Mais c’est le Gouffre, la backroom de Mont­martre, un repaire à démons à pro­pre­ment par­ler infer­nal, qui porte le dégoût et la cruau­té à des som­mets – inver­sés. Des som­mets qui effraient les plus valeu­reux, au point de faire hési­ter le narrateur :

Je ne vais pas te mytho, je balise à l’i­dée de me poin­ter au Gouffre, seul, après tous les détails sor­dides que j’ai pu entendre sur cet endroit. [2]Zar­ka, Paname Under­ground, Le Gouffre, la backroom de Mont­par­nasse

Quelques lignes plus loin, on appren­dra que l’en­trée des lieux arbore une ins­crip­tion « fo pa y alé ». Un autre sou­ve­nir lit­té­raire, celui de la gueule de l’En­fer que le Dante a fran­chi en com­pa­gnie de Vir­gile. Quant au guide de Zar­ca – parce qu’il y en a un – c’est une vieille loque, une sorte de zom­bie obsé­dé par de la viande fraîche :

« J’vais t’en­cu­ler, Édouard ! J’vais t’bai­ser comme un cochon et te… » [3]loc. cit.

C’est donc une autre cata­base auquel Zar­ca se trouve confron­té, l’ins­tant où il touche au fond, un endroit d’où il faut sor­tir à coups de flingue, au prix d’y perdre plus que son âme.

Après tout ça, plus besoin de se poser des ques­tions à pro­pos du titre. Sauf que l’Under­ground, pré­sent dans l’oeuvre entière de Zar­ca depuis ses débuts, aura acquis, à tra­vers les vaga­bon­dages de son alter ego, une dimen­sion mythique qu’il a fal­lu conqué­rir, arra­cher au quo­ti­dien d’une ville qui perd sa bana­li­té quand c’est l’i­ni­tié qui y pose son regard. Paname Under­ground, c’est un cadeau de Zar­ca, cadeau que le lec­teur à son tour doit conqué­rir pour entrer dans l’in­ti­mi­té d’un monde qu’on ne trouve qu’en sui­vant une géo­gra­phie tordue.

Zar­ca
Paname Under­ground
Goutte d’Or
ISBN : 9791096906055

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Vic­tor Hugo, Réponse à un acte d’accusation
2 Zar­ka, Paname Under­ground, Le Gouffre, la backroom de Montparnasse
3 loc. cit.
La Sirène de Montpeller