Erika Sauw est une des nombreuses voix qu’il me reste, grâce à la prolifération de textes originaux publiés par les pure players, à découvrir. Certes, je l’avais déjà croisée entre deux articles de blog, dont un de la plume d’une consœur que j’apprécie tout particulièrement, ChocolatCannelle, qui s’est penchée sur Camping sauvage, un texte que je me serais fait un plaisir de faire entrer dans mes lectures estivales et qui a échappé à la vigilance du Sanglier. Une lacune donc à combler depuis un certain temps déjà, mais j’ai profité, pour y remédier, de la première occasion qui s’est présentée, à savoir le passage de son nom dans la liste des parutions récentes d’Immatériel.
Compromission donc, un texte censé paraître en plusieurs livraisons (« cinq au grand maximum » comme le précise la quatrième de couverture) dont la première est, selon les bonnes vieilles habitudes de tout dealer qui se respecte, gratuite. Le premier volume est disponible depuis le 03 et le deuxième depuis le 23 février 2015. Avec un peu de chance, le troisième verra donc le jour dans une bonne semaine, et c’est tant mieux vu que les lecteurs risquent de se retrouver en manques et de s’impatienter pour connaître la suite des aventures particulièrement indécentes de la belle Edwige.
Avant de continuer, permettez-moi, chers lecteurs, de m’attarder un instant sur le choix de la couverture. Il me semble que celle-ci, au moment où le chaland risque de périr dans une marée sans pareille de nouveautés plus ou moins littéraires, acquiert une importance renouvelée, et une couverture bien faite (c’est-à-dire confiée à un graphiste et / ou à un photographe qui entendent leur métier) peut y être pour beaucoup dans le succès d’un titre, notamment dans le domaine érotique où l’œil aussi veut être sollicité. Dans le cas du texte qui nous occupe, je peux dire que la couverture (et même les deux !) m’aurait intrigué même si je n’avais jamais entendu le nom de Mme Sauw et que j’en aurais été réduit à l’état du simple cueilleur / chasseur se laissant guider par ses sens avant de pouvoir céder, en lisant, aux délices de l’esprit. Décidément, l’auteur des deux photos qui confèrent un charme si particulier à ces deux volumes, M. Bartosz Wardziak, mérite une place honorable dans un article consacré à ce texte.
Bon, de quoi s’agit-il ? Edwige est une jeune architecte d’intérieur qui entend se lancer, après les études, dans une carrière d’indépendante dans la belle ville de Montpellier. Comme cela arrive à tous ceux et à toutes celles qui font les premiers pas dans un métier, ils constatent bien vite que les autres ne les ont pas précisément attendu et que les clients sont donc plutôt rares et très recherchés. Un des premiers clients prospectifs de la jeune Edwige, dont on apprend au passage que, malgré un physique plutôt avantageux, sa vie n’a pas été très riche en rencontres amoureuses depuis assez longtemps (pour ne pas dire que celles-ci peuvent se résumer, depuis trois an, en quatre lettres : nada), se trouve être le Sieur Stevenot, Denis de son prénom, un homme jouissant d’une certaine notoriété dans la région, assez replié sur lui-même, et que son caractère indéchiffrable et un mutisme qui ne s’explique pas facilement font baigner dans une lumière parfois assez inquiétante.
Edwige lui rend visite pour parler affaires, ne se doutant pas que les affaires que son client a dans la tête ne sont pas précisément celles qu’elle a le droit d’imaginer. Très vite, la jeune femme se retrouve engagée sur un chemin dont elle sent qu’il la mènera très loin de ce qu’était sa vie d’avant cette rencontre. Et comment reculer une fois qu’on a cédé à la tentation en se mettant en costume d’Ève sur la terrasse d’un parfait inconnu pour y prendre un bain de soleil ? Un bain de soleil qui, soit dit en passant, dégénère en tripotage de chatte auquel met fin – juste à temps – un dernier sursaut de pudeur qui a bien du mal à s’imposer. Surprise elle-même la première d’avoir cédé aussi rapidement, dévoilant par la même occasion des pulsions irrésistibles qui ne demandent qu’à être satisfaites, Edwige s’entendra faire des propositions plutôt inhabituelles entre deux personnes qui se connaissent depuis à peine quelques heures. Elle accepte, une fois lancée, de pousser plus loin l’expérience et de jouer le jeu de son amant dont l’obsession ouvertement avouée est de transformer les femmes en prostituées pour pouvoir coucher avec elles. Et voici que commence une aventure des plus insolites et des plus bandantes, une aventure qui rendra Edwige capable d’apprécier des plaisirs qui ne sont pas à la portée de tout le monde, la lançant entre les bras de nouveaux amants qui se feront une joie de l’initier et de l’ouvrir, parfois très littéralement, à la jouissance. Une voie qui pourtant risque de compromettre sa réputation et les efforts qu’elle a déployés pour se bâtir une existence.
Il est temps de consacrer quelques mots au protagoniste masculin, le Denis en question, même si j’ai du mal à quitter une jeune femme aussi belle et aussi délurée que notre architecte (qui, soit dit en passant, sait comment faire monter des choses). On a l’habitude, depuis le succès de certaine saga délavée américaine, de voir des hommes plutôt dominateurs et entourés du prestige du pouvoir (économique, politique, peu importe) se taper des jeunes femmes dont on peut parfois se demander quel est, précisément, l’intérêt. Denis est sans aucun doute de cette famille-là, mais l’auteure, et ce n’est pas là le moindre exploit d’Erika Sauw, le soustrait aux images toutes faites en le peignant tout en demi-teintes et en retenue ce qui le met sur un autre niveau que les éternels dominateurs avec leurs fouets, leurs dessins plus ou moins astucieux et leurs filets bien trop visibles. Denis, au moins dans les deux premiers volumes, est un protagoniste qui s’efface bien qu’on l’imagine aux origines du jeu trouble qu’il propose à Edwige. Mais rien n’est clair et tout ce qu’on peut dire, à la fin du deuxième volume, c’est qu’on aimerait savoir qui est vraiment cet homme et comment il réussit à faire marcher une jeune femme bien comme il faut. Après, quand il s’agit de savoir s’il la révèle à elle-même ou s’il la pervertit pour assouvir des désirs troubles voire malhonnêtes, le lecteur se retrouve tout seul, sans repère, la machine imaginaire lancée à pleine vitesse, en proie au trouble que laisse la lecture des premiers volumes de Compromission. Dont on attend la suite avec impatience…
Je ne peux pas terminer cet article sans parler d’une toute petite anecdote qui fait pourtant entrevoir des terrains bien plus vastes derrière ce petit texte érotique sans grandes prétentions. Dans le deuxième volume, Edwige débarque chez Denis qu’elle découvre en train d’écouter de la musique classique. Dont elle affirme que « ce n’est pas tellement [s]on truc. » S’ensuit un petit dialogue en apparence bien innocente à propos du morceau que Denis est en train d’écouter, le premier mouvement de la quatrième symphonie de Brahms. Et Denis d’insister ensuite que, à propos de Brahms, « on parle plutôt de musique romantique, puisque c’était la grande époque du romantisme ». La jeune femme réagit comme on l’imagine, prenant le terme dans sa valeur sentimentale. Il faudrait pourtant savoir que c’est avec cette symphonie-là, et plus précisément avec son premier mouvement, que le compositeur de Hambourg a, selon certains, montré les limites de la symphonie romantique, ce genre fétiche du XIXe siècle, et on se doute que c’est, dans un tel contexte, bien plus qu’un bête sujet de conversation. Et on se demande où Denis compte emmener Edwige, quels terrains au-delà du romantisme il entend lui dévoiler.
Erika Sauw
Compromission, vol. 1
Éditions Artalys
ISBN : 9791091549691
Compromission, vol. 2
Éditions Artalys
ISBN : 9791091549721
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2 réponses à “Erika Sauw, Compromission”