Sul­li­van Rabas­tens / Ava Ven­tu­ra, L’Au­berge rose

Voi­ci donc L’Au­berge rose, un texte que je viens de décou­vrir en me pro­me­nant dans ma librai­rie numé­rique pré­fé­rée et dont la des­crip­tion m’a aus­si­tôt séduit : « Héri­ter d’un lupa­nar », quel beau départ pour un récit où la véna­li­té côtoie le plai­sir dans ses conju­gai­sons les plus lubriques, le tout dans une ambiance déli­cieu­se­ment vétuste dans laquelle on voit les cam­pagnes nor­mandes se peu­pler de mai­sons closes à l’ins­tar de celle de la célé­bris­sime Madame Tel­lier, un modèle qui a fait des ravages jusque dans les rangs des autrices de chez la Musar­dine où Aude dite Orium a naguère encore remis à l’hon­neur ce véri­table topos [1]Topos est effec­ti­ve­ment le terme qui convient par­fai­te­ment vu l’é­ty­mo­lo­gie de la parole en ques­tion, topos ne vou­lant dire rien d’autre que lieu dans la langue de Pla­ton. dans son roman Trois sœurs.

Les noms des auteurs, Ava Ven­tu­ra et Sul­li­van Rabas­tens, des habi­tués de chez Miss Ska, viennent se por­ter garants de la teneur éro­tique d’un récit où liber­té rime avec lubri­ci­té, et leur mai­son, Ska, s’est taillée une répu­ta­tion cer­taine avec sa col­lec­tion Culis­sime. On sait tou­te­fois, depuis la mys­ti­fi­ca­tion autour d’Infer­no, texte éro­tique qui aurait été pon­du par George Sand, que la Miss n’est pas oppo­sée à une petite super­che­rie lit­té­raire pour titiller les lec­teurs et faire bruire en même temps les feuilles de son cata­logue dans une brise venue du large et char­gée de par­fums capi­teu­se­ment exo­tiques. On peut donc légi­ti­me­ment se poser des ques­tions quand on lit, à pro­pos d’A­va, qu’elle serait

née à Bue­nos Aires […] [f]ille d’un gau­cho et d’une riche héri­tière d’un magnat de la viande de Chi­ca­go [2]Ava Ven­ture, Notice bio­gra­phique sur Babe­lio

Confron­té à une bio­gra­phie aus­si haute en cou­leur, le lec­teur se tourne ensuite vers la pré­sen­ta­tion de Sul­li­van Rabas­tens et ne peut s’empêcher de rica­ner quand on le lui pré­sente comme un « obsé­dé tex­tuel », qua­li­fi­ca­tion qui ne manque ni d’o­ri­gi­na­li­té ni de véra­ci­té, ce dont on peut faci­le­ment se convaincre en par­cou­rant la liste de ses titres, tous ran­gés dans la col­lec­tion Culis­sime qui compte depuis déjà de nom­breuses années au nombre de celles où votre ser­vi­teur adore plon­ger le groin afin de reni­fler dans ses pages cet odor di femi­na que je fais pas­ser, on s’en doute, loin devant celle des truffes.

À lire :
Thalia Devreaux, Mathilde dans tous ses états

L’in­trigue se résume en quelques mots et n’a rien de bien com­pli­quée : Le pro­ta­go­niste, Sul­li­van, hérite de L’Au­berge Rose, ancien lupa­nar qu’il entre­prend presque aus­si­tôt de remettre en ser­vice sous la forme, loi Marthe Richard obli­geant, d’un club échan­giste. Ensuite, c’est le recru­te­ment des pres­ta­taires de ser­vices – aux­quelles on fait pas­ser les entre­tiens d’embauche qu’on ima­gine – et puis une ouver­ture qui fait cou­ler des litres de cham­pagnes et une quan­ti­té non négli­geable de ce nec­tar autre­ment plus déli­cieux que le désir fait sourdre des sexes des femmes.

Le récit est confié à un nar­ra­teur prin­ci­pal, l’hé­ri­tier, qui raconte à la pre­mière per­sonne, une pers­pec­tive que viennent nuan­cer et / ou com­plé­ter les inter­ven­tions des per­son­nages secon­daires tels que Muriel, la fac­trice du pre­mier cha­pitre à laquelle Sul­li­van fait décou­vrir, presque en pas­sant, le plai­sir anal, Mari­lyn, l’as­sis­tante du notaire dont Sul­li­van fait son asso­ciée ain­si que la petite troupe des pen­sion­naires qui tous auront l’oc­ca­sion de contri­buer au récit quelques lignes pour expri­mer leur res­sen­ti, per­met­tant au lec­teur de mieux appré­cier les événements.

Mal­heu­reu­se­ment, même si ça baise énor­mé­ment dans L’Au­berge rose, c’est en vain qu’on y cherche la dimen­sion trans­gres­sive du sexe, la remise en ques­tion des tabous ou la pré­sence de per­son­nages pous­sés aux extrêmes pour les faire sor­tir de leurs retran­che­ments. Mal­gré de nom­breuses encu­lades – aux­quelles il faut ajou­ter la séance de peg­ging à laquelle est sou­mise le pro­prio – et la pré­sence de Zoé, une trans qui ini­tie Sul­li­van à la péné­tra­tion mas­cu­line, il s’a­git ici d’un récit plu­tôt gen­til dans lequel per­sonne n’est mal­me­né outre mesure et où le désir lui-même est apprivoisé :

Rien de bien méchant en ces lieux. Pas ques­tion pour moi de faire du sado­ma­so violent dans mon éta­blis­se­ment. [3]L’Au­berge rose, chap. Cécile

Par­fois, même le ridi­cule n’est pas loin, par exemple quand on voit le nar­ra­teur jus­ti­fier la pros­ti­tu­tion en éta­blis­sant des paral­lèles entre le sexe vénal et les rela­tions qui régissent jus­qu’aux « plus amou­reux des couples » dans les­quels on utiliserait

une petite pipe pour remer­cier d’avoir répa­ré le lave-linge, [et] une levrette pour avoir accep­té que belle-maman passe deux ou trois jours à la mai­son… [4]L’Au­berge rose, Le recru­te­ment

On n’est pas loin ici d’une phi­lo­so­phie de comp­toir d’un assez mau­vais goût qui ne s’ap­pré­cie qu’a­près avoir ingur­gi­té quelques bal­lons de rouge. Et puis, on tombe aus­si sur des phrases qui donnent envie de dire aux auteurs que, non, il n’est pas néces­saire de nous faire un dessin :

Puis dou­ce­ment elle [i.e. Cécile, une des pen­sion­naires] remon­ta vers le graal, ce petit bou­ton ten­du – le cli­to­ris – que d’abord elle lécha… [5]L’Au­berge rose, Le recru­te­ment

Mal­gré ces côtés plu­tôt faibles, j’ai quand même sui­vi avec un plai­sir cer­tain les aven­tures de Sul­li­van et de sa bande de joyeux for­ni­ca­teurs. Un plai­sir assez consé­quent pour me don­ner envie de décou­vrir les autres textes du Sieur Rabas­tens qui compte à son actif une petite série construite autour d’une édile dési­rable et de sa ges­tion libi­di­neuse des affaires. On ver­ra si les aven­tures de Madame le maire me don­ne­ront envie d’en par­ler ici…

À lire :
Une pensée

Pour ter­mi­ner, une remarque s’im­pose à l’in­ten­tion de la per­sonne char­gée du contrôle de qua­li­té : Il y a, dans ce texte, quelques pro­blèmes de for­ma­tage qui, s’ils n’empêchent en rien le plai­sir de la lec­ture, font que cer­tains cha­pitres ne sont pas repris dans la table des matières.

Sul­li­van Rabas­tens / Ava Ven­tu­ra
L’Au­berge rose
SKA édi­teur
ISBN : 9791023407556

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Topos est effec­ti­ve­ment le terme qui convient par­fai­te­ment vu l’é­ty­mo­lo­gie de la parole en ques­tion, topos ne vou­lant dire rien d’autre que lieu dans la langue de Platon.
2 Ava Ven­ture, Notice bio­gra­phique sur Babelio
3 L’Au­berge rose, chap. Cécile
4, 5 L’Au­berge rose, Le recrutement
La Sirène de Montpeller