Cette fois-ci, la Miss a sorti le grand jeu pour préparer le dernier coup en date des Éditions SKA, à savoir la découverte du manuscrit d’une nouvelle érotique inite, Inferno, dont l’auteure serait – George Sand. Double scoop, en fait, primo par l’attribution du texte à un des très grands noms du romantisme européen, secundo en revendiquant le caractère érotique du texte en question. Pour apprécier cela à sa juste valeur, il faut se rappeler que, étant donné la vie scandaleuse (mesurée à l’aune d’un siècle qui se complaisait à réserver de telles libertés à la gent masculine) d’une écrivaine qui alimente les fantasmes depuis bientôt 200 ans, il faut se rappeler, disons nous, que les rumeurs qui lui attribuent la qualité de co-auteur, aux côtés de son amant Alfred de Musset, de Gamiani, récit saphique dont l’explicité continue à choquer les âmes sensibles, n’ont jamais tout à fait cessé. Ceux qui travaillent sur l’œuvre abondante laissée par la bonne dame de Nohant affirment qu’elle n’a jamais écrit de texte érotique ? Peu importe ! Le monde veut non seulement être trompé, il demande surtout du scandale, pourvu que que ça jase et que ça baise à tout va. Et comme ni l’auteure en question ni ses héritiers ne peuvent plus se défendre à coup de référés, le choix se révèle judicieux de la part de celle qui aimerait faire décoller ses chiffres de vente grâce à un beau petit scoop bien monté.
Et bien monté, il l’est sans le moindre doute, ce scoop ! Non seulement qu’on y trouve, dans l’enfer en question, des légions de démons les uns mieux montés que les autres, l’éditeur a pris soin encore de faire déterrer, en même temps que le texte, des illustrations et des lettres, compagnes idéales d’un texte qui pourtant ne doit pas s’ennuyer, le tout enrichi des révélations du professeur Delsedere, véritable Indiana Jones littéraire, expliquant au lecteur, dans une post-face, de quelle façon il a pu retrouver le manuscrit, dans quelles circonstances, et pourquoi il croit pouvoir l’attribuer à l’auteure de la Mare au diable.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que, tout ça, c’est le fruit d’un travail bien préparé. Un travail qui porte, en même temps, un beau témoignage sur l’amour du détail qu’ont apporté les auteurs de cette supercherie littéraire à leur tâche sulfureuse. Rien que les noms qu’ils ont su inventer pour en doter leurs acteurs ! Le professeur Delsedere, l’archéologue (on serait tenté de le qualifier de spéléologue vu la quantité et la profondeur des orifices qui peuplent ce récit) littéraire à l’origine de l’aventure et de l’attribution ? C’est presque à regret qu’on dévoile que se cache derrière tout le sérieux du professore un personnage aussi ordinaire que le sieur – Ducul. Et quant à l’illustratrice, Marie Brizard, prétendue élève du caricaturiste J. J. Grandville, artiste qui, malgré cette ascendance des plus célèbres, « n’a pas laissé de traces ni dans l’histoire de l’art ni sur la toile », comme je l’ai écrit dans un article précédent, est-ce qu’il faut vraiment aller loin pour chercher la source d’où coulait cette inspiration particulière ? Il me semble qu’il serait largement suffisant de fouiller dans les conteneurs de recyclage des locaux pour mettre la main sur la source en question, ou plutôt sur les bouteilles qui ont eu l’heur de servir de réceptacles au nectar ayant alimenté de pareils traits d’esprit…
Mais qu’en est-il du texte lui-même ? Qu’il ait été écrit il y a 200 ans ou qu’il date d’hier, peu importe, il a le droit de demander une lecture délestée des préjugées et des partis pris. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est une illustration haute en couleur de l’esprit déluré de son auteur(e), qui que ce soit, et que la lecture en est tout simplement un immense plaisir.
Une jeune mère, désabusée de l’amour conjugal par les usages de son vieux libertin de mari, se retrouve veuve avec sur les bras un charmant garçon à la santé fragile. S’abandonnant à l’instinct maternel, elle ne vit plus que pour lui, dans la peur constante de se le voir arraché des bras par la maladie. Un jour, ou plutôt une nuit, la crise se manifeste et le jeune homme semble effectivement avoir succombé pour de bon. Désespérée, la mère, jeune et belle toujours, le rejoint sous les draps de son lit, dans l’espoir de disputer sa proie à la vieille ennemie du genre humain. Ensuite, c’est le sommeil agité du cauchemar, cauchemar qui la fait descendre en Enfer où elle deviendra la victime et en même temps le témoin de toutes sortes d’outrages sexuels dont elle-même et son fils seront, à tour de rôle, les objets.
Tout ça est bien raconté, avec une attention minutieuse aux détails scabreux qui a pour effet de subjuguer et d’emporter jusqu’au lecteur le plus récalcitrant. Il me semble même qu’on y voit, dans les meilleurs passages, l’affabulation d’un Rabelais pointer le bout de son nez. Et ce plaisir est encore rehaussé par la construction savante tissée autour du texte qui en constitue le noyau. Les lettres attribuées à George Sand et à Alfred de Musset, sont autant de talismans qui enlèvent le lecteur, pieds et poings lié, dans un monde parallèle où il est permis de se demander, pendant de minuscules instants, si une telle affaire ne peut pas se concevoir en dehors du cadre littéraire où le raffinement de l’équipe de Miss Ska l’a fait éclore.
Inferno, c’est une belle construction littéraire dont il faut admirer les mécanismes secrets, en se promenant longuement sur des échafaudages qui permettent d’entrevoir et de découvrir un chantier littéraire peu commun. Mission réussie, belle dame !
George Sand
Inferno
Éditions sKa