Colin Manier­ka, Dix jours, dix heures, dix minutes

La bonne nou­velle d’a­bord : Même les petits bud­gets ne doivent pas recou­rir à des pra­tiques illé­gales pour avoir accès à de bons textes. Et quand je dis cela, je ne songe pas aux opus­cules de quelques mil­liers de signes, mais bien à de bons gros romans qu’on met des heures et des heures à ter­mi­ner. Et comme j’aime illus­trer mes pro­pos (dans une sorte de Défense et illus­tra­tion du numé­rique :-) ), voi­ci un bel exemple : Dix jours, dix heures, dix minutes, roman SF de Colin Manier­ka, dis­po­nible pour 2,68 € sur le site de son édi­teur [1]Une remarque pour­tant : le texte se vend plus cher sur d’autres sites ! Je l’ai vu affi­ché 2,99 € sur Imma­té­riel..

La mau­vaise nou­velle (si c’en est une, à vous de pas­ser juge­ment) : Je n’y ai pas com­pris grand chose, à ce texte. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Que je suis juste trop bête pour le com­prendre ? Qu’il me manque des élé­ments néces­saires à la com­pré­hen­sion ? Ou qu’il n’y a tout sim­ple­ment rien à comprendre ?

Bon, com­men­çons par le début : C’est dans le fil des nou­velles paru­tions sur Imma­té­riel, agré­ga­teur et librai­rie en ligne, que je suis tom­bé sur le titre d’un édi­teur dont je n’a­vais pas encore enten­du par­ler. Ce qui m’ar­rive bien de temps en temps, vu que, mal­gré de fré­quentes  visites sur les sites des librai­ries en ligne pour y déni­cher de quoi ali­men­ter la Bauge, je n’ai quand même ni la pré­ten­tion ni sur­tout le temps de sys­té­ma­ti­que­ment sillon­ner la toile et la blo­go­sphère à la recherche du moindre petit bout d’in­for­ma­tion. Quoi qu’il en soit, une telle décou­verte est tou­jours un beau point de départ ! J’en ai pro­fi­té pour me lan­cer dans les eaux – troubles ou non – où bar­bote cet édi­teur nou­vel­le­ment décou­vert, et je me suis aus­si­tôt mis à « feuille­ter » son cata­logue, pra­tique qui me per­met de me retrou­ver presque tou­jours avec sur les doigts de belles sur­prises lit­té­raires – et la qua­si-obli­ga­tion de dépen­ser l’argent du ménage pour sou­te­nir de jeunes (et moins jeunes) talents.

Dans le cas qui nous occupe, il s’a­git d’une mai­son dont le nom tout seul aurait suf­fi à m’in­tri­guer : House made of dawn – mai­son faite d’aube. La mai­son en ques­tion, dont la voca­tion penche du côté du Fan­tas­tique, de la SF et des polars, semble soli­de­ment implan­tée au Mexique, fait qui, à l’heure de la mon­dia­li­sa­tion, ne sau­rait plus éton­ner per­sonne. Des recherches pas par­ti­cu­liè­re­ment appro­fon­dies lais­se­raient croire que le noyau dur de la mai­son s’est consti­tué à Bor­deaux, et sans doute autour de son direc­teur géné­ral, Renaud Ehren­gardt, mais comme ce sont prin­ci­pa­le­ment les textes qui nous inté­ressent, bor­nons nous à admi­rer cette touche de cou­leur sup­plé­men­taire dans le riche pay­sage peu­plé par les pure players de la fran­co­pho­nie [2]Une brève pré­sen­ta­tion se trouve aus­si sur le site de Tulis­quoi.

Mais abor­dons donc le texte auquel, de mon propre aveu, je n’ai pas com­pris grand chose. Il s’a­git du jour­nal d’un dénom­mé Ada­ma qui, un beau jour, se réveille seul dans le noir. Ce qui, quand on se trouve dans un abri sou­ter­rain sans accès à la sur­face, abri qu’on (croit) par­tage® depuis deux ans avec deux col­lègues, est pour le moins inso­lite. Il faut pour­tant se rendre à l’é­vi­dence, il n’y a plus per­sonne, sauf un drôle de bour­don­ne­ment qui pren­dra, au fil des jours qui passent, un carac­tère de plus en plus menaçant.

À lire :
Erika Sauw, Tentations - Désirs de Nymphes, t. 3

Face à son iso­le­ment total et à l’in­ca­pa­ci­té de résoudre l’é­nigme de sa situa­tion, le nar­ra­teur, le mythique Ada­ma, décide de confier ses réflexions et ses obser­va­tions à un jour­nal pour évi­ter de som­brer dans la folie. Et c’est grâce à ce jour­nal que le lec­teur est mis au cou­rant des condi­tions ayant mené à l’en­fer­me­ment d’A­da­ma et de ses deux cama­rades de soli­tude, Sophia et Pokrok : La terre est malade, et il y a eu, dans un pas­sé assez proche (pas­sé par rap­port au nar­ra­teur), des inon­da­tions et des tem­pêtes, sans que l’on sache pour autant si ce sont là les causes où les suites de la mala­die en ques­tion. Le réchauf­fe­ment de la pla­nète y est peut-être pour quelque chose, mais le récit reste assez vague à ce pro­pos. Quoi qu’il en soit, la déci­sion a été prise de pré­ser­ver / conser­ver plu­sieurs spé­ci­mens de l’hu­ma­ni­té dans des abris sou­ter­rains afin d’as­su­rer, dans la mesure du pos­sible, la sur­vie de l’es­pèce. Mal­heu­reu­se­ment, et c’est là, à mon avis, un des points faibles du texte, l’au­teur se tait à pro­pos des condi­tions socié­tales qui ont pu assu­rer une forme de sur­vie, si limi­tée fût-elle, après une catas­trophe à l’é­chelle mon­diale, et dans quelles condi­tions une socié­té mou­rante a pu réa­li­ser un exploit tech­no­lo­gique de quelque enver­gure. Mais l’au­teur a pris la déci­sion de se concen­trer sur Ada­ma, et de sou­li­gner ain­si la dimen­sion humaine de son texte. Soit !

Le spé­ci­men en ques­tion, après s’être donc réveillé dans le noir et après avoir décou­vert qu’il était seul dans son abri, constate un fait encore plus trou­blant peut-être : l’a­bri lui-même régresse. Équi­pé, au départ, de tech­no­lo­gies de pointe, Ada­ma se retrouve avec des ins­tal­la­tions affli­gées par une constante régres­sion dans le temps. Il ver­ra ain­si l’or­di­na­teur de bord pas­ser par tous les stades de son déve­lop­pe­ment depuis la deuxième moi­tié du XXe siècle pour se retrou­ver, en bout de par­cours, avec sur les bras – une machine à écrire. Pareille chose se pro­duit tout autour de lui, et le robot-cui­sine, cen­sé pré­pa­rer une diver­si­té de repas à base d’une sorte de gelée riche en pro­téines, sera rem­pla­cé par un bête fri­go, sorte de corne d’a­bon­dance régu­liè­re­ment pour­vue de la nour­ri­ture néces­saire à Ada­ma pour se sustenter.

À lire :
Marion Favry, Le Tétris amoureux

Tout au long du récit, le lec­teur assiste aux ten­ta­tives d’A­da­ma de s’ex­pli­quer son sort, son aban­don­ne­ment, la tra­hi­son sup­po­sée de ses cama­rades, la régres­sion, le tout agré­men­té par des mes­sages et des visions dont on ne sait très bien s’ils sont « réels » ou plu­tôt les fruits d’une ima­gi­na­tion près de lâcher prise et de bous­cu­ler dans le noir qui l’en­toure et qu’il contemple des heures durant. Je laisse aux lec­teurs le soin de décou­vrir en détail le monde d’A­da­ma, ses angoisses et sa pri­son sou­ter­raine en route vers nulle part, mais je les aver­tis : qui­conque tient à une intrigue où tout se dévoile et où le der­nier mot revient à la rai­son et à la logique, est bon pour une sur­prise. Aux lec­teurs aus­si de juger si c’est là une fai­blesse du texte ou plu­tôt la tra­duc­tion en lit­té­ra­ture d’un trait inhé­rent à un monde que l’in­di­vi­du ne sait plus expli­quer depuis long­temps. Tou­jours est-il que le texte ne laisse pas indif­fé­rent et qu’il est car­ré­ment impos­sible de s’en arra­cher une fois qu’on a cédé à la ten­ta­tion de par­cou­rir quelques lignes pour voir à quoi cela peut bien res­sem­bler. L’au­teur par­sème son roman d’in­dices, de faits divers et d’é­tats d’âme qu’on aime­rait trop voir expli­qués, la ten­sion monte, et voi­là qu’on se retrouve au seuil du pro­chain cha­pitre, embar­qué dans le même voyage que le narrateur.

J’ai beau­coup appré­cié l’é­cri­ture sobre de Colin Manier­ka et sa façon de créer et d’en­tre­te­nir, avec des moyens très res­treints, le mys­tère et une ten­sion pal­pable, et je ne peux que com­pli­men­ter l’é­quipe de House of dawn pour un tra­vail édi­to­rial qui a pro­duit un texte au charme cer­tain. Mais je per­siste et signe, je ne peux pas vrai­ment dire que j’ai com­pris quoi que ce soit à ce roman. Mais c’est sans doute parce que, effec­ti­ve­ment, on ne peut plus rien com­prendre une fois qu’on est prêt à des­cendre dans les bas-fonds d’une conscience tor­tu­rée. Et pour­tant, j’ai­me­rais deman­der un ser­vice aux lec­teurs futurs de ce texte : Si quel­qu’un pou­vait au moins m’ex­pli­quer le titre ? En me lais­sant, peut-être, un commentaire ?

Colin Manier­ka
Dix jours, dix heures, dix minutes
House made of dawn Edi­tion
ISBN : 979−10−92791−01−3

Colin Manierka, Dix jours, dix heures, dix minutes

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Une remarque pour­tant : le texte se vend plus cher sur d’autres sites ! Je l’ai vu affi­ché 2,99 € sur Immatériel.
2 Une brève pré­sen­ta­tion se trouve aus­si sur le site de Tulis­quoi
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

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