Ghyld V. Holmes, L’Af­faire Haart­men­ger. Mise au point après la pre­mière saison

L’Affaire Haart­men­ger a fait du che­min depuis la publi­ca­tion du pre­mier volume en décembre 2013, et je pro­fite de la fin de la pre­mière sai­son, sur­ve­nue avec la paru­tion du volume #6 presque exac­te­ment un an plus tard, pour faire le point sur cette série que je lis, avec plus ou moins de régu­la­ri­té, depuis le début des publi­ca­tions et à laquelle j’ai déjà consa­cré un pre­mier article quelques semaines plus tard.

Un monde bas­cule dans le chaos

Une pre­mière obser­va­tion et sans doute la plus impor­tante vu qu’il s’a­git d’un texte qui vit de par le sus­pense : Confor­mé­ment à l’im­pres­sion que j’ai gar­dée de mes pre­mières lec­tures [1]Cf. le para­graphe « Beau­coup de points forts et un bémol » de mon article sus-men­tion­né, l’Affaire Haart­men­ger conti­nue à pas­sion­ner, et la lec­ture est cap­ti­vante jus­qu’au bout des six volumes actuel­le­ment publiés. L’in­trigue se déploie, les évé­ne­ments s’en­chaînent et se bous­culent, et le lec­teur constate avec une cer­taine conster­na­tion qu’à peine quelques jours se sont écou­lés depuis l’as­sas­si­nat de Mas­si­mo Haart­men­ger, le crime qui a déclen­ché la suite d’in­ci­dents fatals qui ont fait plon­ger la capi­tale d’Eu­ro­pa dans un chaos qui res­semble de très près, et par bien des côtés, à une véri­table guerre civile. Guerre civile dans laquelle s’op­posent des groupes dont on ne sait pas encore grand chose, si ce n’est qu’ils dis­posent des moyens néces­saires pour faire bas­cu­ler dans le chaos Euro­pa, la super-puis­sance qui réunit dans un même régime la majeure par­tie du conti­nent eur­asia­tique et dont on croyait qu’elle devan­çait lar­ge­ment la concur­rence dans le domaine du pro­grès scien­ti­fique – jus­qu’au jour où elle s’est trou­vée confron­tée à des enne­mis armés aux­quels elle n’a pas grand chose à oppo­ser. Et les pro­ta­go­nistes com­mencent à com­prendre que les évé­ne­ments catas­tro­phiques des jours qui suivent l’as­sas­si­nat du fils Haart­men­ger ne sont que la par­tie visible, écla­tante, d’un long tra­vail de sape qui menace d’é­bran­ler les fon­de­ments même de la civilisation.

Des per­son­nages qui se dévoilent

Les pro­ta­go­nistes, et tout d’a­bord l’é­quipe réunie autour de l’ins­pec­trice Kova­rows­ki, acquièrent plus de relief à mesure qu’ils dévoilent leur pas­sé, leur vie pri­vée et les petits (et grands) secrets qu’ils trim­balent depuis par­fois des années. C’est ain­si, grâce à un pro­cé­dé de fouille tran­quille, un tra­vail qu’on aime­rait qua­li­fier d’archéo­lo­gique, que naissent de véri­tables êtres humains aux­quels on s’in­té­resse, dont on suit les aven­tures avec anxié­té et qui conti­nuent à han­ter les lec­teurs long­temps après avoir éteint la liseuse. Au fur et à mesure que l’in­trigue pro­gresse, d’autres per­son­nages sortent de l’ombre pour se mêler aux évé­ne­ments, des évé­ne­ments que cer­tains de ces nou­veaux-venus ont sans soute contri­bué à pro­vo­quer. Au trio de poli­ciers Kova­rows­ki, Gœrst, Herz­mann s’a­joute un grand nombre de per­son­nage secon­daires dont cer­tains prennent des pro­por­tions qui les dési­gne­raient comme des oppo­sants dignes de tout l’in­té­rêt du lec­teur qui, intri­gué, finit par péné­trer, à la suite des Volayne et Rigar­di, dans les sombres cou­loirs  des machi­na­tions du pou­voir mili­taire qui sentent si bon le com­plot et le pro­nun­cia­mien­to.

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Laure Philips, Vice & Vertu

Un tra­vail sérieux sur le texte

Les pre­miers volumes de l’Affaire Haart­men­ger étaient encore truf­fés de fautes ce qui, mal­gré la bonne archi­tec­ture de l’in­trigue, nui­sait au plai­sir de la lec­ture. C’est un phé­no­mène qui, s’il n’est pas étran­ger à l’é­di­tion clas­sique, s’est répan­du avec, d’un côté, l’ar­ri­vée des petits édi­teurs numé­riques, dont cer­tains n’ont tout sim­ple­ment pas les moyens de payer un cor­rec­teur pro­fes­sion­nel, et, de l’autre, l’am­pleur que prend l’au­to-édi­tion, sur­tout depuis que le géant de Seat­tle s’y est mis en usant de tout le poids de la mul­ti-natio­nale capable de pro­po­ser un texte dans le monde entier [2]Atten­tion pour­tant, je ne dis pas que les textes issus de l’au­to-édi­tion sont tous de pauvre qua­li­té, bien au contraire ! Et comme j’ai eu l’oc­ca­sion d’en étu­dier un cer­tain nombre, je suis … Conti­nue rea­ding. Pour beau­coup, il faut se bor­ner à consta­ter le pro­blème et on passe à autre chose. Les res­pon­sables d’Ani­ma Stu­dio Pro­duc­tions (l’é­di­teur de l’Affaire) ont pour­tant choi­si une approche dif­fé­rente en sou­met­tant leurs textes à un pro­cé­dé de relec­ture qui leur a per­mis d’é­li­mi­ner la plu­part des coquilles et d’é­ta­blir une ver­sion qui peut fiè­re­ment reven­di­quer son appar­te­nance à un genre – lit­té­raire. On ne peut que saluer cette volon­té non seule­ment de res­pec­ter les lec­teurs, mais de sou­te­nir le texte et de prendre un enga­ge­ment visible sur la durée et la via­bi­li­té du pro­jet en cours.

Et le côté transmédia ?

Dès le départ, l’Affaire Haart­men­ger a été pré­sen­tée comme une œuvre trans­mé­diale, ce qui se tra­duit par la pré­sence d’un site web cen­sé appor­ter des élé­ments sup­plé­men­taires pour don­ner plus de relief à l’u­ni­vers où se déroulent les faits et gestes san­glants de l’Affaire. J’ai pu consta­ter, au moment de la rédac­tion de mon pre­mier article, que le site était « assez rudi­men­taire » et ne contri­buait pas encore vrai­ment à une meilleure illus­tra­tion et com­pré­hen­sion de ce qui se passe dans le roman. Constat qu’on doit mal­heu­reu­se­ment renou­ve­ler qua­torze mois plus tard, des mois qui n’ont pra­ti­que­ment rien appor­té au site web où même la liste des publi­ca­tions reste incom­plète. Je ne sais s’il faut inter­pré­ter cet état de faits comme une preuve à charge contre le trans­mé­dia en géné­ral comme élé­ment lit­té­raire valable, ou s’il s’a­git tout sim­ple­ment de trop d’en­thou­siasme de la part de l’au­teur, mais je peux consta­ter que la pré­sence d’un site web enva­hi de pous­sière laisse une impres­sion désa­gréable de reven­di­ca­tion non satis­faite. On peut se poser la ques­tion, devant un tel état de fait, s’il ne vau­drait pas mieux renon­cer tout à fait aux aspi­ra­tions trans­mé­diales, sup­pri­mer le site et mettre le temps gagné au ser­vice du texte, l’élé­ment qui, après tout, fait vivre l’u­ni­vers de l’Affaire. Un uni­vers qui, à mon avis, est tel­le­ment dense et bien construit qu’il n’a pas besoin de sup­ports extérieurs.

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Et la conclusion ?

À la fin de cette pre­mière sai­son, il y a une chose qu’on peut affir­mer avec cer­ti­tude : L’Affaire est pro­mise à un bel ave­nir. Tous les élé­ments y sont : une intrigue dense et de plus en plus rapide, des per­son­nages fas­ci­nants à défaut d’être tou­jours sym­pa­thiques, un mys­tère dont les élé­ments se dérobent à mesure que les inves­ti­ga­tions pro­gressent et un monde qui, mal­gré un indé­niable pro­grès tech­no­lo­gique, reste assez proche de la réa­li­té du XXIè siècle pour pou­voir être per­çu comme une pro­jec­tion réaliste.

Les dés ont bien été jetés, mais ils res­tent comme sus­pen­dus dans l’air tan­dis que le sort d’Euro­pa et de ses cen­taines de mil­lions d’ha­bi­tants est en train de se jouer entre les affron­te­ments san­glants de plu­sieurs fac­tions dont on ne connaît pas encore les moti­va­tions ni les buts. Et que pen­ser de Sul­li­van Thors­ven et de ses visons apo­ca­lyp­tiques, un per­son­nage qui com­mence à prendre plus d’am­pleur vers la fin de la pre­mière sai­son ? Un scé­na­rio pro­met­teur pour des lec­tures cap­ti­vantes. Un seul conseil à don­ner à tout ama­teur de textes SFFF : Décou­vrir au plus vite l’u­ni­vers de cette Affaire aus­si sor­dide que fas­ci­nante et irrésistible.

Ghyld V. Holmes
L’Af­faire Haart­men­ger
Série SFFF en 6 volumes
Ani­ma Stu­dio Pro­duc­tions
ISBN : 9791095299097
L’Af­faire Haartmenger

Ghyld V. Holmes, L'Affaire Haartmenger, # 6

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Cf. le para­graphe « Beau­coup de points forts et un bémol » de mon article sus-mentionné
2 Atten­tion pour­tant, je ne dis pas que les textes issus de l’au­to-édi­tion sont tous de pauvre qua­li­té, bien au contraire ! Et comme j’ai eu l’oc­ca­sion d’en étu­dier un cer­tain nombre, je suis bien pla­cé pour le savoir.
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95