En-tête de la Bauge littéraire

Ghyld V. Holmes, L’af­faire Haartmenger

L’af­faire Haart­men­ger, c’est un pro­jet trans­mé­dia qui réunit, d’un côté, un roman répar­ti en plu­sieurs volumes signés Ghyld V. Holmes, et, de l’autre, un site web consa­cré à l’u­ni­vers dans lequel se déroule l’Affaire. Pour l’ins­tant, trois volumes du roman sont dis­po­nibles, tan­dis que le site web pré­sente un carac­tère encore assez rudi­men­taire et n’ap­porte pas (encore ?) d’élé­ments sup­plé­men­taires à l’u­ni­vers de l’Affaire. À moins que ceux-ci se cachent dans la par­tie mar­quée VIP à laquelle je n’ai pas le droit d’ac­cé­der (mise à jour le 04/11/2015 : cette par­tie VIP a appa­rem­ment été sup­pri­mée, on n’y trouve plus qu’une erreur 404).

Un ave­nir inquiétant

Le pre­mier volume nous pro­jette cent ans en avant, dans un ave­nir assez proche encore, ce qui per­met aux lec­teurs de recon­naître cer­tains traits du monde qui les entoure, et assez éloi­gné en même temps pour chan­ger la donne de façon net­te­ment perceptible.

L’u­ni­vers dans lequel se déroule l’Affaire a tout pour me plaire, ins­pi­ré qu’il est, selon ce qu’af­firme la page Face­book du pro­jet, par : « Mino­ri­ty Report, Blade Run­ner et Robo­cop », des films dont le scé­na­rio a ceci en com­mun de se dérou­ler dans un ave­nir sombre, où l’é­ter­nel com­bat entre le bien et le mal est mené avec des moyens et des inten­tions qui broient les indi­vi­dus et com­pro­mettent l’in­té­gri­té des valeurs que cha­cun pré­tend vou­loir sau­ver. Qu’on se le rap­pelle, Mino­ri­ty Report, c’est un monde où les cri­mi­nels sont mis hors ser­vice avant même d’a­voir com­mis le crime qu’on leur impute, Blade Run­ner, c’est la chasse à l’homme arti­fi­ciel et Robo­cop, c’est l’his­toire d’un indi­vi­du aux prises, certes, avec le crime, mais plus encore avec un des­tin qui l’a pri­vé de son propre corps et de son iden­ti­té en même temps. L’u­ni­vers de l’Affaire rap­pelle effec­ti­ve­ment l’am­biance noire et vio­lente de ces sources d’ins­pi­ra­tion, mais, contrai­re­ment à ces modèles cen­trés sur le monde vu depuis les États-Unis, dans l’Affaire Haart­men­ger, la pla­nète est domi­née par une Union Euro­péenne trans­for­mée en hyper-puis­sance ayant incor­po­ré la majeure par­tie de l’an­cienne Rus­sie et de l’A­sie, et qui a conquis la pole-posi­tion du pro­grès tech­no­lo­gique. La nou­velle puis­sance mon­diale s’ap­pelle Euro­pa et l’An­glais est deve­nu l’i­diome qui unit ses peuples.

L’af­faire Haart­men­ger – une intrigue complexe

L’in­trigue démarre très pré­ci­sé­ment le 5 mars 2103, quand Anas­tha­sia Kova­rows­ki, ins­pec­trice de la Police natio­nale jouis­sant d’une cer­taine noto­rié­té, est appe­lée sur le site d’un meurtre qui non seule­ment se révèle lourd de consé­quences poli­tiques, mais qui pré­sente des détails qui sou­lèvent aus­si­tôt une mul­ti­tude de ques­tions : Le cadavre du fils du ministre de la Sécu­ri­té natio­nale est retrou­vé vidé de son sang, jus­qu’à la der­nière goutte. Voi­là de quoi inquié­ter jus­qu’aux plus endur­cis des flics. Et d’autres inci­dents ne tardent pas à se pro­duire les uns à la suite des autres, de l’at­ten­tat contre le véhi­cule de Kova­rows­ki aux attaques san­glantes qui res­semblent farou­che­ment à une guerre entre ser­vices. Guerre qui occupe les tomes 2 et 3 du roman, où des attaques sont ron­de­ment (et cruel­le­ment) menées, sans que le lec­teur puisse encore se retrou­ver dans l’im­bro­glio où toutes les pistes, pour l’ins­tant, se perdent dans le sang. D’un côté, il y a la police natio­nale à laquelle appar­tiennent les prin­ci­paux per­son­nages (pour l’ins­tant prin­ci­pa­le­ment Anas­ta­sia et ses co-équi­piers Mat­thew Herz­mann et Heinke Goerst), de l’autre une orga­ni­sa­tion clan­des­tine qui équipe ses membres de gad­gets ultra-sophis­ti­qués et qui pro­cède avec une effi­ca­ci­té meur­trière sans pareille, sans qu’on puisse pour autant connaître leurs buts ou leurs motivations.

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Ces deux orga­ni­sa­tions s’af­frontent, à deux reprises, avec une rare vio­lence, avec au centre des confron­ta­tions un dénom­mé Éli­jah Osa­na, indi­vi­du souf­frant de troubles de la mémoire et tom­bé entre les mains de la police suite à une affaire des plus louches dont on ne connaît pas encore les impli­ca­tions. Tout ce qu’on peut affir­mer, c’est que l’in­di­vi­du en ques­tion joue sans doute un rôle impor­tant dans l’or­ga­ni­sa­tion clan­des­tine, au moins celle-ci est-elle prête à payer le prix fort pour sa libé­ra­tion en sacri­fiant un grand nombre de ses com­bat­tants à cette entreprise.

Tout ça est déjà assez com­plexe, même sans prendre en compte les mys­té­rieux clubs de vam­pires de la capi­tale (i.e. Ber­lin) dont les habi­tués ne sont peut-être pas sans lien avec le meurtre ini­tial à l’o­ri­gine de l’af­faire. Ou le pro­logue du texte qui pro­met rien de moins que la fin du monde, et cela pour bien­tôt. Ou les anté­cé­dents des pro­ta­go­nistes qui viennent rendre ce cock­tail pétillant car­ré­ment explo­sif en lui confé­rant une dimen­sion humaine.

Beau­coup de points forts et un bémol

Tout compte fait, il est encore beau­coup trop tôt pour ne fût-ce seule­ment son­ger à démê­ler les fils de l’Affaire, mais on peut déjà affir­mer que l’au­teur maî­trise l’art d’ap­pâ­ter le cha­land. L’u­ni­vers est pas­sion­nant et nous change des visions de la SF amé­ri­caine, l’in­trigue démarre sur les cha­peaux de roue et laisse espé­rer de mul­tiples rebon­dis­se­ments, et les per­son­nages sont atta­chants, ceux au moins aux­quels l’au­teur s’in­té­resse d’as­sez près pour leur des­si­ner, d’un coup de plume, des vies bien à eux, des vies sur les­quelles il laisse pour­tant sub­sis­ter assez de zones d’ombres pour y cacher bien des secrets et de futures révélations.

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Reste un gros bémol que je ne sau­rais pas­ser sous silence : Le texte est truf­fé de fautes, et on se demande par­fois si l’au­teur a pris seule­ment la peine de se relire. Il y a même des pas­sages où j’ai été près de croire que le texte est tra­duit de l’an­glais, tel­le­ment la tour­nure me sem­blait bizarre. Mais bon, cela n’empêche pas de prendre plai­sir à la lec­ture, même si celui-ci est plu­tôt sus­ci­té par le cadre, les per­son­nages et les évé­ne­ments et moins par les qua­li­tés lit­té­raires du texte. Ceci s’ex­pli­que­rait-t-il par le fait que l’au­teur tra­vaille, selon sa bio, comme script doc­tor, occu­pa­tion qui consiste à « ausculte[r] les scé­na­rios, diagnostique[r] ce qui ne va pas et les soigne[r] […] afin qu’il puisse [sic !] atteindre leur seul vrai objec­tif : tou­cher le public. » Une telle acti­vi­té foca­lise sans doute l’at­ten­tion plu­tôt sur les per­son­nages et les intrigues et moins sur la langue, obs­cur­cis­sant par là l’as­pect pro­pre­ment lit­té­raire de la chose.

Une écri­ture sous pseudo ?

Dans une ver­sion anté­rieure de ce texte j’ai conclu, à cause des pro­prié­taires iden­tiques des noms de domaine laffairehaartmenger.net et animastudioproductions.com, à l’i­den­ti­té de Ghyld V. Holmes et de M. Phi­lippe Coll, gérant d’Ani­ma Stu­dio Pro­duc­tions. J’ai été contac­té ce soir par M. Coll qui m’as­sure que, s’il a bien ache­té les noms de domaine sus-men­tion­nés, il n’est pas pour autant l’au­teur de l’Affaire Haart­men­ger. Comme je n’ai aucune rai­son de ne pas lui faire confiance, et que, après tout, c’est le texte qui compte et pas la per­sonne, j’ai cor­ri­gé ce pas­sage. D’a­près M. Coll, Ghyld est « un col­lègue » (ce qui peut expli­quer le fait que tous les deux sont des script doc­tors) et « un ami de longue date », et je ne vou­drais certes pas pri­ver celui-ci de l’hon­neur d’être l’au­teur d’un roman que j’ai beau­coup appré­cié. Le mys­tère autour de Ghyld V. Holmes reste donc, pour le moment, entier.

Si tou­te­fois, après tout ce que je viens de vous décla­mer, vous auriez encore des doutes, il ne vous reste plus qu’à regar­der par vous-même. Et comme le pre­mier volume de cette téné­breuse affaire est gra­tuit, vous n’y ris­que­rez pas grand chose.

Ghyld V. Holmes
L’af­faire Haart­men­ger
Ani­ma Stu­dio Pro­duc­tion
ISBN : 978−2−89717−591−7

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