Comme quoi tout peut arriver… Imaginez-vous confortablement installé(e) sous la douche en train de soigneusement couvrir votre épiderme d’une belle mousse parfumée et de langoureusement succomber aux chants de sirène de vos parties qui demandent quelques caresses supplémentaires quand, soudain, c’est l’éruption du Vésuve, the tremblement de terre, le big one promis à San Francisco dans un futur aussi proche que le verbe aller ne suffit plus pour exprimer l’imminence, le tsunami qui soulève les eaux de la Mer Indienne dans un seul et unique but – vous fracasser la gueule comme s’il n’y avait pas de lendemain. C’est à peu près l’effet qu’a sur Dorothée Bressler un hennissement de cheval qui résonne dans le couloir de son HLM en banlieue parisienne, au 28e étage. Et c’est à peu près ce qui est promis à la terre entière dans les années qui vont suivre cette irruption de l’irréel dans une vie aussi peu banale que celle de Dorothée, ancienne hardeuse reconvertie dans le catch et incidemment l’héroïne d’un récit qui, on peut le dire, démarre sur les chapeaux de roues, ouvrant une trilogie aussi déjantée qu’on a le droit de l’attendre de Julien Simon et de sa maison pure player, Walrus Books : Time-Trotters signé Nicolas Cartelet. Trilogie dont le premier volume, amoureusement sélectionné pour entrer dans la série des Lectures estivale 2014 du Sanglier, arbore fièrement le sobriquet que Dorothée doit au tatouage résidant sur son épaule gauche, Tarentula.
J’apprends, au moment d’écrire cet article, que le troisième – et dernier – épisode de la série vient de sortir. Je ne l’ai pas encore lu, et je ne sais pas si j’aurai le temps de le faire un de ces jours. Ce qui n’est pas un jugement de qualité, mais un constat du peu de temps dont je dispose pour des activités qui, pourtant, comptent au nombre des plus passionnantes que je connaisse, à savoir la lecture et l’écriture. Quoi qu’il en soit, je pense pouvoir vous parler du texte en question étant en possession de tous les éléments qu’il faut pour se faire une idée à propos du style de l’auteur et de ce à quoi ressemble l’intrigue. Il se peut certes que je manque des péripéties savamment amenées ou des influences pas encore visibles dans la première partie, mais Nicolas Cartelet a profité de celle-ci pour illustrer son talent, et c’est tout ce que je demande pour en parler dans la Bauge.
Il suffit de faire quelques recherches sommaires pour savoir que Nicolas Cartelet est décidément polyvalent. Après avoir donné en tant qu’auteur de science fiction et être passé par la case éditeur (de façon excellente, au demeurant !), il a décidé de s’embarquer sur les traces de Quentin Tarantino dans une histoire de pulp tellement trash qu’il vaut mieux se munir d’un parapluie, tellement il y pleut – des couilles… Parce que l’épée que trimbale un peu partout la Dame Bressler ne lui sert pas de pièce de décor pour participer à des jeux de rôle et à y effrayer des geeks, non, elle s’en sert avec une précision que viendront à regretter les malfaiteurs qui ont le malheur de croiser sa route. Et il n’y a pas pénurie de malfaiteurs dans le monde de la Tarentule. Ou plutôt les mondes, vu qu’elle finit par se trouver, à l’improviste, projetée dans une faille temporelle qui la dépose dans un avenir qui ressemble à rien autant qu’au Far West des films de la grande époque du cinéma américain, et on ne serait nullement surpris de voir débarquer John Wayne, Doc Holliday ou encore Billy the Kid, en train de se rendre, à midi sonnant, à un rendez-vous des plus mortels. Au lieu de ces personnages légendaires, le décor est hanté par une caricature de flic qui répond au doux nom de Martial Godillot, par Ralph Spieler, agent secret et double qui a eu la mauvaise idée de partir en vacances en septembre 2001, par une bande de cavaliers de noir vêtus et un troupeau de bacchantes ayant appris elles aussi l’art de faire tomber les couilles aux mains de leur libératrice, la Tarentule en personne.
On l’aura compris, les protagonistes ne sont pas vraiment des modèles pour un lecteur en mal d’identité. La Tarentule, outre son passé haut en couleur, se montre raciste à ses heures, et les vies humaines ne comptent pas grand chose quand elle a décidé de dégainer. Godillot, même s’il a choisi, d’emblée, le bon côté de la loi, se retrouve, grâce à une connerie qu’il faut qualifier d’exemplaire, si souvent dans des situations les unes plus désespérantes que les autres, qu’il ne saurait passer pour un role model plus exemplaire que sa contrepartie féminine. Malgré tout cela, on finit par s’attacher aux personnages, et on se demande sérieusement comment ils s’arrangeront pour sortir du pétrin où les a mis la cervelle remarquable et légèrement tordue de M. Cartelet.
La narration n’a rien de bien spectaculaire, et il n’y a pas d’artifice à signaler dont se serait servi l’auteur pour se faire ressortir de la masse de ses confrères. Toutes les lettres de l’alphabet y sont au rendez-vous, les personnages ont autre chose à faire que de ramasser des points Godwin, et ils s’expriment un peu comme tout le monde, sans naviguer en permanence au ras des égouts. Nicolas Cartelet n’en a tout simplement pas besoin pour emballer ses lecteurs, et on peut dire que ses phrases s’effacent devant une intrigue haute en couleurs. Une intrigue qui, en même temps qu’elle absorbe ses lecteurs, communique à ceux-ci la joie de l’auteur devant les merveilles qu’il a su fermenter, les laissant perplexes devant la force irrésistible qu’il étale sous leurs yeux pour en user ensuite pour leur lancer ses créatures en pleine gueule. L’effet dévastateur se trouve augmenté encore par la dextérité de M. Cartelet qui sait mettre à profit l’hétérogénéité de ses influences pour en faire une intrigue unie dont les facettes gardent pourtant tout le scintillement de leurs origines tout en s’adaptant aux besoins de la narration. Et ceci est sans doute un des plus beaux compliments qu’on puisse adresser à M. Cartelet : qu’il ait réussi à digérer ses lectures et ses expériences visuelles pour en faire quelque chose qui vaille la peine d’en parler, qui fasse sortir son texte de la déferlante de la rentrée soi-disant littéraire.
Nicolas Cartelet
Tarentula
Time-Trotters #1
Walrus Books
ISBN : 978−2−363−76244−3
