Je me demande s’il ne faudrait pas coller un avertissement sur la couverture du nouveau roman d’Éric Mouzat, Petites confidences estudiantines, paru le 14 mai 2014 aux Éditions La Bagatelle : « Attention, lecture dangereuse ! Ce roman va absorber toutes vos capacités mentales et imaginatives et risque de vous faire entrer dans un univers parallèle d’où vous ne voudrez plus sortir. » C’est exactement ce qui m’est arrivé, mais je me demande si un avertissement m’aurait empêché de m’exposer à ce risque délicieux. Je parie même que cela aurait encore augmenté l’envie de se perdre dans les méandres d’une imagination aussi débordante que celle d’Éric Mouzat. Une fois commencée la lecture, je n’ai pas pu m’arracher à ma liseuse, et c’est les yeux rougis par les heures de veille que je me suis couché aux petites heures du matin, toujours en train de revivre, aux côtés de la protagoniste, la jeune étudiante Mathilde, les aventures loufoques et terriblement érotiques qu’elle a pu vivre en compagnie d’une véritable ménagerie de personnages, les uns plus déjantés que les autres, croisés au cours des trois mois qu’elle relate dans son journal.
Bon, après cette ouverture quelque peu enthousiaste, prenons un peu nos distances et commençons par une brève présentation. Petites confidences estudiantines, c’est déjà le deuxième titre des Éditions La Bagatelle que le Sanglier littéraire a daigné accueillir dans sa Bauge, et dans cette maison-là, dernier-né du domaine de l’édition numérique, on semble avoir un penchant assez prononcé pour la période agitée que sont les années de passage entre l’adolescence et l’âge adulte, marquées par la fin du lycée, la sortie de la maison paternelle et les premières brises d’un vent de liberté dont on s’enivre dans les couloirs de la fac, dans le studio avec son lit étriqué qu’on essaie pourtant de partager avec un maximum de partenaires, et dans les rues et les bars de la ville où on a choisi d’élire domicile pour un séjour plus ou moins prolongé. Les protagonistes de deux des quatre premiers titres de la jeune maison sont ainsi de jeunes étudiantes (Alison dans le texte homonyme et Mathilde dans Petites confidences estudiantines d’Éric Mouzat), tandis que Claude Otto raconte, dans Hélène m’échappe, les mésaventures de Thomas, élève de Terminale. Seul le quatrième titre du catalogue, Cet envoûtant voisin, arrive à se soustraire aux contraintes d’une ligne éditoriale quelque peu particulière. Mais rassurez-vous, chers lecteurs, même si on peut avoir, en entamant la lecture de Petites confidences estudiantines, l’impression d’avancer en terrain connu, la verve de l’auteur (ou plutôt de la narratrice) et une imagination des plus fertiles ne manqueront pas de vous faire perdre pied et de vous emmener vers des contrées de débauche aux délices tout simplement exquis.
Mathilde est donc une jeune femme qui donne, sous forme de journal, le récit des premiers mois de sa vie estudiantine, procédé qui permet aux lecteurs de suivre de très près ses réflexions, voire de se glisser dans la peau de la protagoniste et de voir le monde à travers les yeux d’une personne près de s’embarquer dans de nouvelles aventures – et prête à couper les ponts s’il le faut :
« J’ai rompu avec Simon. Il fallait que je le fasse. […] J’avais de la peine pour lui. Mais je ne me vois pas m’attacher à un garçon en ce moment. » (Vendredi 9 septembre)
Dès la première entrée, le ton est donnée, et la Mathilde fraîchement dépucelée et fière de voir « couler de [son] vagin du sperme et du sang mêlés » (Jeudi 8 septembre) côtoie de très près, de par la force des souvenirs, la nymphe impudique en train de se faire violer, dans une mise en scène savamment organisée dans les vestiaires du gymnase, par une fille plus âgée convoitée en silence depuis un certain temps déjà. Voilà posés les jalons du parcours de Mathilde et voilà que le lecteur peut concevoir une première idée des extrêmes que cette fille-là est capable d’imaginer, de convoiter et d’atteindre.
Sur le parcours de la combattante, les étapes s’enchaînent à un rythme vertigineux : l’adieu à la meilleure amie, la découverte des colocs (possibilité de futures escapades clairement ébauchée), premiers pas en milieu universitaire (à la Sorbonne, s’il vous plaît), premières rencontres, dont celle d’Angélique qui ouvrira les écluses de tous les fantasmes et fera pénétrer Mathilde dans un monde qu’elle n’a aucun mal à intégrer, même si elle se rend compte, au fur et à mesure de ses découvertes, que le raffinement sexuel, cela aussi doit s’apprendre. Même si le personnage d’Angélique, rasant de très près, voire les transgressant, les frontières de la prostitution, présente un assez grand intérêt en soi, sa fonction principale dans le récit est d’amener une autre rencontre, décisive autant qu’insolite, à savoir celle de Mathilde et de Maud. Voir une femme, une « naïade blonde », plonger entre les cuisses d’une fille qui vient de se faire sauter par une dizaine de mecs pour lui lécher le minou, au milieu d’un concert punk, une femme belle à faire oublier jusqu’au dégoût inspiré par les sécrétions mêlées de la bande d’inconnus, cela peut déstabiliser plus d’un, surtout une jeune file qui vient de quitter sa province, mais se voir invitée, quelques heures plus tard, à « défoncer » la naïade en question, se retrouver « munie d’une verge noire aussi longue et large qu’un avant-bras » pour préparer le terrain de son premier fist en bonne et due forme, cela crée des souvenirs obsédants qu’on n’est pas près d’oublier. C’est précisément ce qui arrive à Mathilde qui se posera plus d’une question mais qui n’arrivera pas à se libérer du filet où elle a été prise par la naïade en question. Qui, il faut l’avouer, sait comment s’y prendre.
La richesse de l’imagination d’Éric Mouzat est tout simplement impressionnante, et le lecteur trouve à peine le temps de se remettre des émotions d’une rencontre particulièrement chaude que Mathilde se trouve à nouveau embarquée dans une prochaine aventure, que ce soit par Martine, agente d’une agence de modèles, lui proposant de participer à un casting pour un film coquin (Jeudi 6 octobre) ou encore par Angélique l’ayant engagée, à son insu, à figurer comme pièce de résistance dans un enterrement de vie de garçon tout ce qu’il y a de plus glauque (Samedi 8 octobre). On peut même se demander si M. Mouzat ne ferait pas mieux de tenir les rênes de son imagination avec un peu plus de fermeté, afin de dompter ce monde en ébullition dont les habitants se sont sans doute donné le mot pour faire la fiesta dans les méninges de ce pauvre auteur avant de pénétrer de l’autre côté du miroir et de se perdre dans la nature. Parce qu’il y a parfois des personnages dont on peut se demander ce qu’ils apportent à l’intrigue, en plus de donner une touche supplémentaire au tableau surréaliste et bariolé auquel ressemble l’univers de Mathilde. C’est notamment le cas de Sophie, autre étudiante qui, après deux, trois petites apparitions, disparaît sans laisser de traces et sans nous avoir éclairés sur sa mystérieuse relation avec le couple Tompson. Et puisqu’on y est, parlons-en un peu, de ce couple-là, qui me donne l’impression d’être une sorte de vestige d’un projet abandonné en cours de route. Universitaires tous les deux, on ne voit pas très bien la raison de leur présence dans le texte et de leurs multiples apparitions qui ne contribuent pratiquement rien à l’intrigue ou au développement de la protagoniste. À moins que ce soit une sorte d’introduction pour les réactiver plus tard, dans un récit futur ?
Quoi qu’il en soit, cette petite faiblesse (si c’en est une, d’autres peuvent être amenés à leur trouver une importance qui m’échappe) est vite oubliée face au carnaval grotesque qui bouillonne sous les yeux du spectateur et qui me fait penser aux scènes du Sabbat des sorcières sur la montagne en ébullition où le docteur Faust a été convoqué par son diabolique compagnon. Et Maud, serait-elle alors la tentatrice, celle qui fait rimer luxe avec luxure et qui porte en elle une faille inexpliquée mais bien visible pour qui sait lire dans les regards :
« Dans son [i.e. de Maud] regard, il y avait de la folie. Une folie douce. Quelque-chose de profondément désespéré, un rouage cassé. » (Vendredi 23 septembre)
À moins de vouloir voir en elle la face cachée de Mathilde, son double, notion qui nous ramène en plein romantisme noir, obsédé par le dédoublement et la libération des forces occultes et terribles. Parce que, après tout, Maud et Mathilde, c’est le même nom, le premier étant tout simplement la contraction du second, signifiant celle qui est forte au combat. Et n’est-elle pas forte, Mathilde, qui finit par maîtriser les pulsions sexuelles qui l’assaillent, qui arrive à se prendre en main afin de pouvoir exercer sa domination sur Maud, forte elle aussi quand il s’agit de faire face à l’abject, mais si faible quand elle se voit placée devant la vie et la question d’un sens à lui trouver. Ne sont-ce pas là effectivement les deux faces d’une seule médaille, Mathilde avec sa soif de nouveautés, sa volonté de relever tous les défis, de se jeter dans le tourbillon de la vie, et Maud, désabusée, fatiguée, tentée par le suicide, contente seulement quand elle peut se vautrer dans la fange ?
Je vous ai prévenu, ce texte est dangereux. Il vous fera certes bander, mais surtout fantasmer. Et vous y trouverez de quoi vous inquiéter, de quoi vous faire oublier le fait que vous vous trouvez, après tout, toujours dans le Paris du XXIe siècle, un Paris dont Éric Mouzat sait révéler le revers d’habitude caché au fond de la plus banale réalité, un monde secret qu’il fait vibrer à l’unisson des cœurs forts qui demandent à l’univers d’être aussi beau et aussi multiple que leurs imaginations, mais surtout d’être tout simplement – insolite.
Petites confidences estudiantines
Éditions La Bagatelle
ISBN : 978−2−37210−000−7