La fille au pair est très clairement un des fantasmes majeur de la littérature porno. Et comment en serait-il autrement vu que celle-ci réunit un grand nombre d’atouts qui en font l’ingrédient parfait pour plein de scénarios épicés. Elle est jeune, elle est forcément belle, elle est isolée dans un environnement étranger, souvent même perdue dans un pays différent du sien. Elle dépend de la bonne volonté d’autrui qui n’est pas toujours gratis, elle doit être déniaisée, à moins qu’elle ne soit, malgré sa jeunesse, une salope confirmée qui passe son temps à se taper les membres de sa famille d’accueil ainsi que tout ce qui a la bonne idée de lui passer entre les cuisses. Et puis, elle se prête à merveille à tout scénario d’initiation, servi à toutes les sauces par tout pornographe qui se respecte. Ce n’est donc pas un hasard si les filles au pair font partie du paysage dès qu’on approche des textes « à lire d’une seule main ».
Dans le cas du texte de William K. Rhett, le lecteur peut même compter, malgré le titre au singulier, sur un plaisir dédoublé vu que l’auteur se montre peu avare en peuplant la campagne bretonne de deux échantillons de cette espèce si prisée, Fabienne et Mélissa, deux camarades de lycée dans tout l’éclat de la première jeunesse avec leur 17 printemps. Leurs aventures sont racontées à la troisième personne, mais même si cela permet à l’auteur / narrateur de se garder d’une trop grande proximité avec ses personnages, c’est quand même le plus souvent la perspective de Mélissa qui est mise en avant dans les dialogues, au point de parfois avoir l’impression qu’il s’agit d’un récit à la première personne.
Le choix de cette perspective trahit d’ailleurs très vite les intentions de l’auteur : Mélissa révèle très tôt le fait qu’elle est encore novice dans les choses de l’amour :
Mélissa savait que son amie […] n’était plus vierge depuis longtemps. A cette pensée, elle sourit car qui aurait pu imaginer qu’elle-même puisse être encore vierge à 17 ans ?[1]William K. Rhett, Jeune fille au pair, chap. I, Engagée comme fille au pair
Il est donc facile de voir l’auteur venir, et de très loin, et on s’apprête à voir Mélissa vivre les belles heures d’une initiation en règle. Et je ne pense pas vous priver du plaisir de la découverte quand je vous révèle que la route vers les ultimes instants de sa virginité est peuplée de rencontres aussi belles que déstabilisantes. La plus belle, à mon avis d’auteur de récits saphiques, est celle avec la gouine en titre du coin, la belle Laure Anne, qui se fait un malin plaisir de pousser la jeune vierge peu farouche vers l’abîme des amours au féminin, même si l’acte « de passage » lui-même sera finalement confié à d’autres protagonistes.
Comme si souvent chez Média 1000, la Jeune fille au pair n’est pas née de la dernière pluie, et celle-ci en particulier a vu la lumière du jour au plus tard en 2002 – peut-être même plus tôt que cela, mais celle de 2002 est l’édition la plus ancienne que j’aie pu trouver. Si le titre est resté tel quel – bel hommage à la persistance du fantasme en question – la couverture – ainsi que la liberté dans le degré de nudité qu’on osait montrer – a changé au fil des ans, et celle de 2018 donne quand même une autre image de la liberté féminine que celle de 2002 qui apparaît au lecteur moderne comme datant d’une autre époque avec son bonhomme en costard qui semble tout droit sorti d’un scénario inspiré par l’époque victorienne avec son « vice anglais ».
L’auteur a d’ailleurs publié plusieurs textes chez Média 1000 sous le nom de William K. Rhett, dont quatre sont actuellement disponibles[2]À ces quatre textes s’ajoutent au moins deux autres que j’ai pu trouver grâce aux efforts de Google, mais qui sont actuellement indisponibles : Les interdits n°160 : l’Employée de maison et Les … Continue reading. À parcourir la liste des publications, on y découvre d’ailleurs un autre texte qui traite de l’initiation et pousse le vice jusqu’à inviter le sujet dans le titre : Initiation d’une oie blanche. On ne s’étonne donc pas de voir William mettre en avant ce côté-ci de Mélissa, encore qu’il prend soin de contrebalancer l’affaire et d’introduire un peu de variété en lui donnant une camarade avec nettement plus d’expérience. Qui peut aussi à l’occasion se charger du rôle de tentatrice / d’initiatrice, encore qu’elle n’est pas seule à assumer une si grande responsabilité, les membres de la famille d’accueil ainsi que leurs amis et amies se chargeant de prendre en main une bonne partie de l’éducation sexuelle de Mélissa. Parce que les deux jeunes filles ont eu le bonheur de tomber au milieu d’une troupe aux mœurs assez particulières qui profite de la solitude bretonne pour s’adonner à une multitude de pratiques qui vont de l’exhibitionnisme au BDSM en passant par l’échangisme, le tout relevé par une bonne dose de bisexualité. On y voit même des queues se glisser dans le cul d’un autre homme – dans des conditions assez particulières, même dans un texte porno – détail toujours assez rare dans l’érotisme littéraire pour être mentionné.
Si l’initiation de Mélissa est bien la trame principale qui détermine les actions des personnages, Rhett a introduit un autre élément dans l’intrigue, un élément qui non seulement fait diversion, mais qui inquiète et qui dérange, à savoir un viol. C’est la protagoniste elle-même qui se fait violer en tombant entre les mains d’une bande de jeunes, et le chapitre qui raconte cet épisode est – comme on peut s’y attendre – difficile à supporter. Au point que je me suis demandé si le texte peut trouver sa place au milieu de lectures estivales consacrées à la légèreté de l’été et à l’insouciance des vacances. Tout lecteur confirmé de textes érotico-pornographiques sait que le sexe y frôle souvent la limite du consensuel et qu’il faut parfois rappeler aux lecteurs le fait qu’il ne faut pas bêtement transposer le fictionnel dans la réalité, même si c’est justement cette opposition entre ce qui est permis entre les pages d’un livre et ce qui l’est dans le monde où nous vivons au quotidien qui permet aux auteurs de créer une tension parfois à la limite du supportable. Et il faut reconnaître que les textes érotiques tirent une grande partie de leur intérêt de cette opposition profonde et que les auteurs se font un malin plaisir de repousser toujours plus loin les limites de ce qui peut se concevoir en jouant sur les questions du consentement. Qui d’ailleurs ne s’exprime que très rarement par les paroles, mais plus souvent par les actes. Un terrain qui peut se révéler glissant dès qu’on sort du domaine de la littérature et de l’imagination. Quoi qu’il en soit de ces considérations, il est rare de voir un personnage d’une fiction érotique se faire violer pour de vrai, sans la moindre ambiguïté. William K. Rhett a pourtant osé franchir le pas, et c’est là-dessus que j’ai les plus grandes réserves à propos du texte. Celui-ci n’a déjà rien de très remarquable. On peut le consommer au bord d’une piscine en sirotant un cocktail afin de laisser passer les heures d’un après-midi trop chaud pour bouger. Une lecture estivale, donc, qui aurait pu allier légèreté et passion. Mais un viol, cela enlève aussitôt toute idée de légèreté. Si l’élément est insolite, j’ai les plus grandes réserves sur ce qui se passe ensuite. Si le fait d’usurper le travail de la justice peut encore passer, c’est le dernier chapitre qui me laisse comme un goût amer. Le dernier jour des vacances, Mélissa est invitée à dresser une sorte de bilan, et à la question « Tu n’as quand même pas tout apprécié ? », elle répond par « Ce que je n’ai pas aimé c’est évidemment de m’être fait violer par ces petits cons ». On dirait qu’elle parle ici d’une soirée maussade ou d’un film qui ne tient pas ses promesses. C’est faire bien peu de cas d’une expérience aussi bouleversante que la violence qui se déchaîne dans la plus profonde intimité du corps, souillé jusque dans ses entrailles. Et un acte d’amour pourrait ensuite faire oublier voire éliminer une telle violence existentielle ? Cela me semble inadmissible, et l’auteur aurait sans doute mieux fait de renoncer à de telles extrémités. On peut d’ailleurs penser que l’auteur n’est pas allé jusqu’au bout de ses intentions, quelques allusions de la part du narrateur pouvant laisser imaginer que Fabienne, la copine de Mélissa, aurait joué un rôle plutôt douteux dans cette affaire sordide. Le narrateur ne va jamais plus loin, laissant planer un doute sur l’intégrité et le rôle de Fabienne, mais cela laisse à l’intrigue un goût d’inachevé, comme si l’auteur avait voulu relever un défi sans oser aller jusqu’au bout. Parce qu’on peut légitimement se demander pourquoi l’auteur a cru bon d’introduire de tels doutes à propos d’une de ses protagonistes sans finir par conclure. J’aimerais savoir si le texte tel qu’il a été publié est bien celui que Rhett a imaginé ou si des éléments extérieurs sont venus s’opposer à une conclusion initiale différente.
Avant de conclure de mon côté, un mot à propos de la tenue proprement estivale du texte en question. J’avoue ici que je me suis laissé séduire par la couverture qui, avec ses deux beautés en costume d’Ève, sa piscine et son ciel bleu, peut paraître comme l’essence même de l’été tel que je l’imagine. Et si quelques scènes se déroulent effectivement sur la plage – la plage d’une Bretagne sous le soleil, quelque chose qu’on a du mal à imaginer en cette fin d’été passé sous la flotte – on sent bien que ceux-ci sont autant d’éléments greffés sur l’intrigue et qu’on ne touche pas là à l’essentiel. L’été y est donc un décor, rien de plus, même si la seule mention d’une journée ensoleillée avec ses vagues qui scintillent et ses grains de sables chauffés à blanc peut déjà faire rêver. Je ne regrette donc pas d’avoir fait entrer la Jeune fille au pair dans l’édition 2021 de mes Lectures estivales, d’autant plus que l’auteur a vraiment su me surprendre. Même si les considérations liées à cette surprise ne parlent pas nécessairement en faveur du texte. À vous, chères lectrices, chers lecteurs, de voir…

William K. Rhett
Jeune fille au pair
Média 1000
ISBN : 9782744826986
Références
↑1 | William K. Rhett, Jeune fille au pair, chap. I, Engagée comme fille au pair |
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↑2 | À ces quatre textes s’ajoutent au moins deux autres que j’ai pu trouver grâce aux efforts de Google, mais qui sont actuellement indisponibles : Les interdits n°160 : l’Employée de maison et Les interdits n°192 : Château Monplaisir |