Oui, je le sais, l’automne a pris la relève de l’été, et le Sanglier en est toujours à ses sempiternelles Lectures estivales. Et ben, les raisons de ce retard sont multiples, mais je ne vais pas embêter mes lecteurs en leur débitant des justifications. Disons seulement qu’il y a parfois des découvertes qui ne peuvent pas attendre, comme par exemple Rebecca, le magnifique roman de Jean-Yves Masson, ou encore celui, superbement noir, de Hugo Drillski, Fourreurs nés, tous les deux d’une intensité dont il faut d’abord se remettre. Quoi qu’il en soit, l’intrigue du Maître de jet, le petit roman de Marie Laurent dont je m’apprête à vous entretenir, se déroule, malgré le soleil qui tape encore fort sur les terres bourguignonnes, dans une ambiance automnale plutôt qu’estivale, avec son cortège de vigneron(ne)s, de cueilleurs et d’autres métiers indispensables pour animer un domaine viticole en pleine période de vendanges. Et toc ! comme dirait Thomas Fiera, cette créature superbe imaginée et amoureusement animée par mon bon ami Jean-Baptiste Ferrero…
Disons-le tout de suite, le texte de Marie Laurent m’a ravi. Et ceci est d’autant plus remarquable que, celle-là, je ne l’avais pas vu venir, mais vraiment pas. Je ne sais même pas dire pourquoi, mais j’ai failli me désister et laisser le roman pourrir dans les profondeurs numériques sans doute peu salubres de ma vieille tablette. Mais, la longueur du trajet quotidien dans les transports en commun aidant, j’ai fini par l’ouvrir, presque malgré moi et plus qu’un peu dégoûté par une couverture tout sauf bandante et qui, à mon avis, dessert le roman. Et que vous dire maintenant, sauf que tout le monde a droit à l’erreur, même le Sanglier ? Profitez donc, chers lecteurs, du spectacle de votre serviteur qui bat sa coulpe et qui se hâte de vous annoncer qu’il a été séduit, dès la première page, par la plume agile et enjouée de Marie Laurent, irrésistiblement emporté par une intrigue riche en rebondissements et des personnages rendus crédibles par les contradictions même de leur nature humaine ! Le moyen de ne pas succomber aux charmes d’une entrée en matière aussi prometteuse, je vous le demande : un entretien d’embauche, une belle femme sexy en tailleur vis-à-vis du protagoniste, un domaine viticole en Bourgogne, une cour chauffée à blanc par le soleil, la visite de la cave et une vigneronne qui décide de déguster la liqueur du maître de chais plutôt que celle de ses propres vignes ? Un départ sur les chapeaux de roues pour un texte qui s’est révélé le champion des Lectures estivales.
Notre héros, Théodore, maître de chais fraîchement débarqué en Bourgogne suite à une aventure trop poussée avec la femme de son ancien patron, se trouve très vite sollicité par le personnel féminin du vignoble, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas le temps de chômer. Le problème, c’est qu’il faut savoir gérer un tel réseau de relations, et Théo commence à entrevoir la possibilité de ne pas se montrer à la hauteur, surtout depuis que Virginie, une des patronnes, lui a fait entrevoir un avenir commun, lui proposant une place à la tête du domaine. Théo, qui tient à son indépendance et qui ne se découvre pas beaucoup d’attirance pour la belle vigneronne, sombre dans une marée de réflexions les unes plus amères que les autres quand, soudain, la bombe éclate, la vraie, celle qui est capable de brouiller les cartes et de mettre fin à la réalité telle qu’on croyait l’avoir enfin comprise.
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Je ne vais pas dévoiler ici le coup de tonnerre imaginé par Marie Laurent, mais je peux vous dire qu’il est de taille. Laissez-moi seulement vous poser une question : S’il devait vous arriver de vous retrouver dans une réalité factice où les plus belles femmes feraient la queue pour s’empaler sur la vôtre et où il suffirait de croiser une femme pour la retrouver, quelques instants plus tard, dans votre couche, en train de solliciter les services de l’étalon que, apparemment, vous êtes, est-ce que vous vous rendriez compte ?
J’ai une très grande admiration pour le savoir-faire de Marie Laurent qui a réussi à me mener par le bout du groin. J’étais pleinement dans l’histoire, absorbé par les aléas de la vie sexuelle et amoureuse de Théodore et des grâces (à moins qu’il ne faille inverser deux lettres) du domaine Robin, en train de me poser des questions à propos des avantages du mariage arrangé et / ou intéressé (!), quand, soudain, d’un coup sec, l’auteure a changé la donne, m’arrachant à mes contemplations en me propulsant dans une ambiance à l’opposé de celle qu’elle avait si habilement créée. Je ne sais pas quel sera l’effet d’un tel revirement sur vous, mais je peux vous assurer que moi, j’étais en colère, tellement cela me contrariait de me retrouver coupé de toutes les attaches que Marie Laurent avait su si patiemment construire, à grand renfort de hanches ondulantes, de cuisses grandes ouvertes, de chattes défoncées et de queues avidement englouties. Susciter une telle réaction chez un lecteur, c’est un art difficile qui n’est pas accessible à tout le monde. Et là, je dis : « Chapeau ! ».
Vous l’aurez compris, l’intrigue du Maître de jet est très joliment menée et la ronde où Marie Laurent entraîne ses protagonistes ressemble furieusement à une de ces tarentelles endiablées dont résonnent les terres italiques. Mais son art ne s’arrête pas là ! Elle a aussi le secret de vous brosser un caractère en quelques traits, des caractères qu’on n’est pas près d’oublier, comme Albane à la beauté aussi farouche qu’acide ; l’élégante Virginie qui se pavane en miaulant devant Théo et se laisse brouter la chatte par sa femme de ménage, la rondelette Léa ; Clémentine, à peine sortie de l’adolescence mais maniant les hommes et leurs queues avec un art consommé ; et aussi – last but not least – Pablo, le saisonnier dont le charme sauvage opère non seulement sur les femmes, mais aussi sur Théo, ce coq de basse-cour notoire dont les professions de foi dans l’hétérosexualité ne laissaient pourtant pas deviner la possibilité d’un tel revirement.
Après un tel voyage à travers des âmes et des corps, cabossé par les péripéties et à bout de souffle après tant d’aventures d’une rare intensité, il me reste un seul souhait à formuler : celui de voir Marie Laurent reprendre sa plume pour nous concocter une autre de ces histoires complexes et ravissantes dont elle semble avoir le secret ! Et si c’était la suite des aventures de Théo, je demande, ici et maintenant, le ius primae lectionis, à défaut de celui de la première nuit ;-)
PS : Un mot à propos de la couverture. Non, elle ne me plaît pas du tout, mais il faut avouer qu’elle colle assez bien avec le personnage qu’elle est censée représenter, à savoir Albane, la beauté farouche qui sait si bien camoufler ses charmes grâce à un code vestimentaire des plus rigoureux et à des manières revêches qui mettent tout le monde à sa place. De ce point de vue-là, on ne peut pas dire que le dessinateur ait raté son but.
Le Maître de jet
Éditions Dominique Leroy
ISBN : 9782866889869