Quand on s’intéresse de près à la drôle de faune des auteurs érotiques – et celle de surcroît qui prospère dans les champs fertiles de l’auto-édition – on assiste assez souvent à des disparitions. J’ai eu, par exemple, il y a à peine quelques jours la désagréable surprise de voir un grand vide s’étaler à la place où naguère encore étaient répertoriés les textes d’Agathe Legrand, une autrice que j’ai fait entrer par deux fois dans les Lectures estivales. Inutile pourtant de pleurer, l’érotisme étant un champ où les auteurs se relayent à un rythme assez soutenu, et la relève est promptement assurée. Et rien ne garantit qu’une disparition ne soit pas tout simplement un changement de pseudo. Et puis il y a ceux aussi qui – tout bêtement – choisissent de revenir. Comme par exemple Ji Bocis, un auteur avec lequel j’ai eu quelques échanges cordiaux autour de ses textes et qui n’a jamais oublié de me tenir au courant de ses parutions. Des parutions dont vous trouverez deux dans les colonnes de la Bauge littéraire.
Ji Bocis, écoeuré par ce qu’il percevait sans doute comme un manque de retours de la part du public, avait décidé de se retirer, ce qui m’a fait bien de la peine quand j’ai appris la nouvelle. Mais il est finalement revenu sur cette décision, sans doute parce qu’une créativité comme la sienne ne se laisse pas tout bêtement étouffer. Après tout, on ne demande pas à une bouteille de champagne d’arrêter de faire des bulles, non ? Et rien qu’à parcourir son nouveau site d’auteur, rempli à craquer de récits aussi salés que salaces qu’il propose à la voracité d’un public toujours avide de croquer la chair des belles femmes, on se demande comment le crâne de cet auteur prolixe résiste depuis des années que je le fréquente – et que je peux donc attester de sa perversité toute littéraire – à la pression d’une effervescence peu commune. Et on se demande encore pourquoi celui-ci a décidé de revenir sur sa décision de ne plus jamais publier ? Il aurait tout simplement crevé s’il avait dû continué à se taire.

Je vous colle ici, en guise de portail qui vous invite à entrer dans l’univers de Ji Bocis, une de ses photos. Oui, vous avez bien compris, il allie à son talent indéniable d’auteur érotique celui de photographe, et je pense que la photographie qui s’affiche au-dessus de ce paragraphe fait ressortir un sens certain de la composition allié à celui de la beauté qu’il faut savoir captiver au bon instant afin de lui rendre justice. Il a utilisé la photo en question pour illustrer un de ses sites hébergés sur Medium où je l’ai découverte il y a déjà des années. Et dire qu’elle m’a laissé un bon souvenir serait rester bien en-deçà de la réalité. J’ai fait des rêves à propos de cette photo, et pas des plus innocentes, je vous rassure ! J’ai rarement vu une telle beauté, un tel équilibre de couleurs dans lequel la beauté non seulement occupe le centre, mais rayonne jusqu’à déteindre sur les murs qui la cernent, se propager et se prolonger jusque dans la pierre. Comment imaginer une meilleure invitation pour entrer dans l’univers indécent d’un auteur érotique ?
Ji Bocis est donc de retour avec un nouveau texte, La Serveuse nue (Rita), qui non seulement tient la promesse contenue dans le titre – vous verrez Rita se dévoiler dès le troisième chapitre -, mais qui va bien au-delà de la seule nudité des corps pour pousser dans le domaine des amours vénales. Comme vous avez pu le constater, j’ai déjà eu l’honneur de présenter des textes de Ji Bocis à mes lecteurs. Et à la lecture d’un de ceux-ci, Jardin secret (Clara), il a tellement su châtouiller mes désirs que je me suis dit que j’aimerais en savoir bien davantage à propos de ces créatures qu’il lâche dans la nature et qui viennent ensuite nous hanter, pauvres amateurs de galipettes que nous sommes, avec leur indécence pleinement assumée et leur chattes aussi profondes qu’insatiables. J’ai même formulé le souhait de le voir composer un ouvrage plus long afin de pouvoir plus longtemps goûter aux charmes qu’il vient d’étaler sous mes yeux juste pour ensuite me laisser sur une faim à peine réveillée :
… on aimerait voir l’auteur s’embarquer au long cours pour nous concocter des mets plus consistants …[1]Thomas Galley, Ji Bocis, Jardin secret (Clara)
Et voici qu’il me sort, avec La Serveuse nue, un texte qui diablement ressemble à une réponse à ce défi, un texte dans lequel je me suis engouffré avec toute la curiosité de celui qui, ayant déjà goûté aux délices de sa plume, se demande ce qu’il aura trouvé cette fois-ci pour vous faire embarquer vers de nouvelles contrées sensuelles.
Le tout commence de la meilleure des façons, en été, dans un paysage ensoleillé près de la mer, à quelques pas d’une crique qui sert, l’après-midi, de lieu de baignade aux serveuses du Café de la Plage. Et celles-ci s’y baignent, comme il convient à des Sirènes réunies dans leur élément naturel, dans le plus simple appareil. Et tandis que le lecteur ne sait plus où donner de la tête, égaré parmi ces créatures aux peaux scintillantes qui sentent si bon les huiles aux parfums exotiques et dont il aimerait ne fût-ce que frôler les bouts des seins qui, à chaque fois qu’il se déplace, se dérobent, il n’a plus qu’à tendre la main au narrateur qui a promis de lui faire découvrir la Résidence du Bord de mer avec son annexe, le mystérieux Centre de Relaxation. Et c’est là qu’il peut enfin retrouver une certaine paix d’âme en constatant que les divines créatures qu’il vient de fréquenter dans la crique sont bien plus que des chimères et qu’elles attendent, au fond de leurs cabines de massage, qu’il daigne délier les cordons de sa bourse afin de se payer en argent comptant trois petits quarts d’heure de plaisir vénal.
Vous aurez vite compris qu’on se trouve ici dans un bordel qui permet aux serveuses du Café non seulement d’arrondir leurs fins de mois, mais de se payer une année supplémentaire d’études. Et je tiens à remercier Ji Bocis pour son courage de faire de ce lieu mythique la scène de son récit et de faire entrer ses lecteurs dans ce lieu clos et légendaire où se réunissent toutes les tentations et d’où s’exhalent les parfums d’une volupté interdite et d’autant plus envoûtante. Un courage qu’on ne peut que saluer, d’autant plus que ce lieu a depuis longtemps été rayé de la Carte du Tendre d’un royaume de France qui a perdu bien plus que sa couronne et d’où il faut s’exiler, ne fût-ce que le temps d’une galipette, pour goûter aux plaisirs assez particuliers d’une sexualité tarifée.
Je suis tenté de vous laisser ici, chers lecteurs, au seuil de cet endroit si prometteur, et de vous confier aux bons soins de Rita et de ses collègues afin de vous permettre de découvrir leurs secrets à votre guise et à votre rythme. Qui, je vous le promets, aura bien vite rejoint celui des bassins qui descendent et qui montent dans la quête du plaisir dont elles détiennent le secret et qu’elles dispensent en fonction de vos investissements. Mais comment m’abstenir de parler de tout ce que Ji Bocis a su réunir dans ce texte ? De ces filles qu’il sait mettre en scène avec toute l’individualité de leurs corps et de leurs caractères ; du délire que celles-ci font naître quand elles s’apprêtent à vous toucher ou quand elles vous rendent visite après leur service ; de la confusion dans laquelle leurs charmes jettent les protagonistes qui du coup en oublient jusqu’à leurs engagements les plus solennels ? Et qu’en est-il de la protagoniste éponyme du texte, cette Rita qu’on voit franchir le seuil du Centre avec une si déconcertante facilité ? Qui confie à son amant de quelques heures qu’elle se mariera le mois prochain juste avant de laisser glisser sa queue, devenue bien raide sous les caresses expertes de la prostituée, au fond de sa chatte satinée et bien huilée… Et que dire de son état d’esprit quand on l’entend professer une moralité qui ne trouve rien à redire aux parties de galipettes tarifées, condamnant en même temps comme la dernière infamie une partie de jambes en l’air qui a toutes les apparences d’un acte d’amour ? C’est que l’amour peut être la pire des trahisons, et Rita, on va l’apprendre, est bien placée pour le savoir.
Les personnages réunis par Ji Bocis dans ce récit, si léger au premier abord, révèlent, au rythme des chapitres et des rencontres, une complexité inouïe, à la mesure des abîmes qui s’ouvrent sous les pieds de celles et de ceux que réunit et que sépare le ballet, vieux comme le monde, des sexes. Et en attendant une conclusion qui n’a rien de d’évident et qu’on a du mal à deviner, on admire le paysage avec ses étendues sablonneuses, sa crique avec ses rochers léchés par les vagues, le tout sous le soleil du Midi et peuplé par des Naïades qui confèrent à la Résidence et au Centre une sorte de virginité antique. Celle qui ne trouvait rien à redire aux coûtumes qui demandait aux futures mariées de se prostituer sous les yeux des divinités.

Ji Bocis
La serveuse nue
Éditions Ji Bocis
(Auto-édition)
Disponible sur :
Kobo
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Apple
Références
↑1 | Thomas Galley, Ji Bocis, Jardin secret (Clara) |
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