Chris, Épouse bour­geoise sou­mise à un voyou

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Pre­mière cou­ver­ture de l’Épouse bour­geoise, parue en 1994.

Chris, scé­na­riste et des­si­na­teur espa­gnol, est un des grands noms de la BD por­no des années 1990, quand il a contri­bué, entre 1994 et 1998, une petite dizaine de titres à la col­lec­tion Confes­sions éro­tiques de chez Média 1000. Comme le nom de la col­lec­tion l’in­dique, les récites publiés étaient cen­sés être des témoi­gnages, sans doute pour mieux cha­touiller les fan­tasmes des lec­teurs en leur fai­sant croire qu’il suf­fi­rait de quit­ter le foyer pour se rendre au bou­lot ou de prendre le train pour croi­ser des femmes déver­gon­dées, prêtes à offrir leurs ori­fices à la pre­mière queue venue.

Après Vices au Cam­ping et Jeune fille au pair, voi­ci donc que votre ser­vi­teur accueille un troi­sième opus du Maître au trait aus­si rapide et éco­nome qu’ef­fi­cace quand il s’a­git de faire enva­hir le monde par la per­ver­si­té. Cette fois, c’est à l’Épouse bour­geoise d’at­ti­rer non seule­ment tous les regards – et son voyou-domi­na­teur a trou­vé le moyen effi­cace pour ce faire en l’o­bli­geant de se pro­me­ner dans la rue sans culotte ou encore de s’of­frir à lui en public – mais d’al­lu­mer la convoi­tise des lec­teurs. Prou­vant par là que ses charmes – et sur­tout la façon de Chris de les rendre éter­nels – n’ont rien per­du de leur efficacité.

À l’o­ri­gine, l’al­bum a été publié, en mai 1994, sous le titre légè­re­ment plus bavard et à la pre­mière per­sonne – détail propre à tous les titres de la col­lec­tion, comme si l’é­di­teur tenait abso­lu­ment à ne sur­tout pas rater son coup de super­che­rie lit­té­raire – Maud – Femme de méde­cin insa­tis­faite je suis deve­nue l’es­clave sexuelle d’un voyou… Et pour ren­for­cer encore le carac­tère de récit vécu, de témoi­gnage auto-bio­gra­phique, Média 1000 pous­sait le vice jus­qu’à renon­cer à mettre sur les cou­ver­tures les noms de leurs des­si­na­teurs et de leurs scé­na­ristes, rem­pla­cés pour l’oc­ca­sion par celui de la pro­ta­go­niste dont les planches étaient cen­sées conte­nir une tranche de vie par­ti­cu­liè­re­ment juteuse. À cela s’a­jou­tait, comme pour démon­trer qu’il ne fal­lait sur­tout pas lési­ner sur les moyens, une sorte de col­lant « Témoi­gnage vécu ». Vous convien­drez que, presque trois décen­nies plus tard, cela peut paraître un peu lour­dingue, et les réédi­tions suc­ces­sives ont peu à peu tenu compte du bon sens du lec­to­rat en remet­tant ces his­toires dans leur contexte fic­tion­nel. Et l’ar­tiste a lui aus­si pu prendre sa ven­geance en voyant fina­le­ment appa­raître son nom sur la cou­ver­ture, même si, dans le cas de Chris et de son Épouse bour­geoise, il doit se conten­ter d’une petite place tout en bas qu’il est facile de ne pas remar­quer. Mais qui s’en plain­drait quand à côté se dresse une créa­ture aus­si sublime que Maud, la bour­geoise en manque qui, culbu­tée par un queu­tard qu’elle a eu le bon­heur de croi­ser, aura vite fait de trou­ver le moyen de – d’a­bord – décou­vrir et ‑ensuite – de satis­faire son appé­tit déme­su­ré pour la bite ?

À lire :
Emma Cavalier, L'Éveil des sentiments

À voir Maud se dres­ser ain­si sous les regards lubriques des deux voyous qui viennent de l’at­ta­cher – et sous celui, bien enten­du, des lec­teurs deve­nus voyeurs pour l’oc­ca­sion -, dans l’at­tente de rece­voir sa puni­tion bien méri­tée, et en pre­nant soin de tout dévoi­ler de son ana­to­mie de déesse, quel lec­teur ne rêve­rait pas d’a­voir une beau­té d’un tel calibre dans son quo­ti­dien ? Si j’ai choi­si cette case pour illus­trer l’art de Chris, ce n’est pas uni­que­ment pour vous mon­trer une belle femme à poil (encore que ce point-là entre tou­jours dans mes consi­dé­ra­tions quand je pense à mon lec­to­rat de vicieux), ni pour mon­trer Chris à même de cap­ter une cer­taine beau­té fémi­nine, mais sur­tout pour faire appré­cier aux inter­nautes à quel point ce des­si­na­teur maî­trise les expres­sions. Regar­dez un peu avec quelle déli­ca­tesse Chris a su cap­ter la vraie-fausse pudeur de la femme qui sait qu’elle ne tar­de­ra pas à fran­chir une étape sup­plé­men­taire de sa sou­mis­sion qui, mesu­rée à l’aune du plai­sir qu’elle en retire, s’ap­pa­rente pour elle à une des­cente aux enfers où sa chair sera consu­mée par un mael­ström d’or­gasmes dans un tour­billon des sens chauf­fés à blanc.

À côté de la beau­té phy­sique des pro­ta­go­nistes, les mâles ne tiennent d’ailleurs pas le beau rôle dans ces Confes­sions éro­tiques, can­ton­nés le plus sou­vent à celui de la brute plu­tôt moche et tout juste bonne à prê­ter sa bite aux inté­rêts de l’in­trigue, outil qui sert à sou­mettre les héroïnes en leur fai­sant naître le goût déme­su­ré de la queue et de l’hu­mi­lia­tion sexuelle. Curieu­se­ment, le titre en ques­tion n’est pas exempt d’une petite dose d’ho­mo-éro­tisme, pal­pable sur­tout dans la scène où Maud tombe, en entrant dans le repaire de son voyou, sur son mari, deve­nu copain avec Denis le queu­tard. On se demande quels délices les deux copains auraient pu trou­ver en accos­tant ensemble aux rivages de Sodome, un détail qu’un scé­na­riste du XXIe siècle aurait sans doute ado­ré explo­rer. En atten­dant, les deux nou­veaux copains auront vite fait de trou­ver les moyens de par­faire l’é­du­ca­tion sexuelle de Maud qui fini­ra par appré­cier les coups de fouet au même titre que les coups de rein.

Après avoir bu jus­qu’à la lie le calice de la honte et après avoir pous­sé les limites de la sexua­li­té au-delà de ce qui, même dans les années 90, était accep­table pour une socié­té tou­jours embour­geoi­sée (moins tou­te­fois que trente ans plus tard, mais bon), Maud et son mari, qui ne pour­ra plus exer­cer son métier de méde­cin suite à la décou­verte des arran­ge­ments dont il fai­sait pro­fi­ter ses patients, seront obli­gés de quit­ter la France et de se réfu­gier en Afrique. Le texte pré­cise que c’est une terre « où les gens sont moins regar­dant sur les diplômes »[1]Chris, Épouse bour­geoise sou­mise à un voyou, p. 131, mais on peut se deman­der si ce n’est pas plu­tôt une vision colo­nia­liste de la vie des Blancs en Afrique qui serait à l’o­ri­gine de la déci­sion de l’au­teur d’of­frir à ses pro­ta­go­nistes une terre d’exil sur le conti­nent noir, vu qu’on peut y pro­fi­ter du pres­tige de ses ori­gines et du sta­tut social que celles-ci confèrent afin de se mettre à l’a­bri de la loi et des cou­tumes. Et où, détail sup­plé­men­taire dif­fi­ci­le­ment sup­por­table dans un contexte post-colo­nial, des Boys seraient à la dis­po­si­tion des maî­tresses blanches qui, elles, en pro­fi­te­raient pour com­bler leurs dési­rs d’exo­tisme et de chairs noires gon­flées et déme­su­rées. Et qui retrou­ve­raient, le temps d’une séance de jambes en l’air, leur rôle de domi­na­trices. On peut certes mieux com­prendre ces détails en remet­tant le texte dans le contexte de sa genèse, mais comme l’in­té­rêt pri­maire de la réédi­tion ne consiste sans doute pas à four­nir une source pour se docu­men­ter à pro­pos de cer­tains fan­tasmes sur­an­nés blancs, un petit mot pour accom­pa­gner la lec­ture et la réflexion n’au­rait fait de mal à per­sonne. Et par la même occa­sion, on aurait pu se débar­ras­ser du mot « nègre »[2]Cf. p. 104 : « Montre-lui com­ment les nègres sont mon­tés… », ves­tige d’un temps révo­lu qui peut bien avoir sa place dans un texte lit­té­raire ou un témoi­gnage contem­po­rain, mais qui ne peut que heur­ter les sen­si­bi­li­tés modernes. Sur­tout parce que le texte ne perd rien en renon­çant à ces vocables tom­bés hors du temps.

À lire :
François Fournet, Banlieues chaudes

Mis à part ces quelques remarques, je ne peux que recom­man­der cette réédi­tion d’un des maîtres de la BD por­no dont on suit l’in­trigue avec très grand plai­sir, tou­jours impa­tient de décou­vrir la belle pro­ta­go­niste sous des angles nou­veaux et de l’ac­com­pa­gner dans son voyage ini­tia­tique jus­qu’aux bas-fonds d’une sexua­li­té qui se réveille de son som­meil de Belle au bois dor­mant. Et rien qu’à consi­dé­rer le nombre de titres ayant, dans le temps, été publiés dans la col­lec­tion, il reste à faire de belles décou­vertes pour les uns, et plein de sous (on croise les doigts !), pour les autres ;-)

Chris
Épouse bour­geoise sou­mise à un voyou
Dyna­mite
ISBN : 9782362348402

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Chris, Épouse bour­geoise sou­mise à un voyou, p. 131
2 Cf. p. 104 : « Montre-lui com­ment les nègres sont montés… »
La Sirène de Montpeller