En général, le Sanglier n’aime pas (ou plus ?) les textes parlant d’affaires de domination. Après tout, rien qu’à imaginer le nombre de maîtres et autres dominateurs qu’on aura vu se pavaner avec à leurs pieds un cortège des plus improbables de soumises / dominées / esclaves affublées des accoutrements les plus baroques, les orifices obstrués par des plugs / godes / strap-on et autres instruments d’un plaisir qui souvent se double de douleur, comment ne pas regretter la disparition (sans qu’elle soit passée par la moindre liste rouge) de la bonne vieille ménagère royalement ignorante des plaisirs qu’on pouvait tirer d’un bête canard voire de ceux que procure une flagellation amoureusement (ou non) administrée ? Il faut se rendre à l’évidence que la faune qu’on voit peupler l’univers de la littérature érotique voire pornographique a bien changé depuis la popularité des 50 nuances de cet indicible milliardaire américain. Malheureusement, la qualité des textes n’a pas augmenté au même rythme que le nombre de publications, et j’en viens à regretter l’époque qui a vu fleurir des joyaux comme ceux de Pauline Réage ou d’Emma Cavalier dont les débuts ont fait, à l’époque, les délices de votre serviteur.
C’est donc justement à cause de la banalisation de ce phénomène que, quelque peu blasé voire fâché, j’ai pris l’habitude de renoncer aux textes illustrant ce genre de relations, malgré un nombre de propositions qui, lui, ne baisse pas. Quoi qu’il en soit, il m’arrive de me laisser séduire par un texte – ou mieux : par une quatrième de couverture habilement concoctée – et de me retrouver avec sur les bras une femelle qui n’aspire qu’à se faire corriger. C’est l’exploit qu’a réussi, tout récemment, celle ou celui qui a écopé du devoir de présenter, de façon alléchante, un titre de Steff S., Prends-moi… en photo. Franchement, rien que le choix du titre mérite un coup de chapeau ! Cela n’a certes rien de très original, et pourtant, la proximité entre la vulgarité de l’exclamation qu’on a désormais l’habitude de trouver dans les textes de tous les niveaux, et l’évocation du huitième art, propice à élever les délices de la chair au rang d’art, m’a conquis en moins de deux, et je me suis laissé absorber par l’histoire de Muriel, jeune photographe sur le seuil d’une vie qu’elle ne pouvait imaginer.
Muriel se trouve donc dans la dèche. Réduite à vivoter dans un studio délabré qui ne mérite pas son nom, sans perspective professionnelle (ou autre), elle décide pourtant d’oublier toute cette misère l’espace de quelques heures pour fêter son dix-neuvième anniversaire. Et c’est en se préparant qu’elle tombe sur un vieux galeriste, la soixantaine, qui l’invite à passer la soirée en sa compagnie. Scénario des plus classiques, dites-vous ? Ben non, attendez la suite : le bonhomme finit par confier à cette photographe en herbe la réalisation d’un projet d’une rare intensité. Au contraire de ce que l’on pourrait imaginer (et ce que la donzelle ne se prive pas de craindre), il ne s’agit pas de coucher, mais de mettre en images un scénario monté par le viel homme, celui de l’histoire d’une relation homosexuelle reposant sur la domination. Muriel se retrouve donc, des journées entières, en compagnie de deux hommes très bien faits de leurs personnes qui revêtent sans hésiter leur costume d’Adam devant la belle pas si effarouchée que ce que l’on pourrait attendre de la part d’une authentique – vierge. Quoi qu’il en soit de l’état de son entrejambe, Muriel se met à fantasmer sur le bel étalon qui incarne le rôle du dominateur, sans se douter de ce qu’il s’agit de son propre avenir qu’elle a l’occasion d’entrevoir en en fixant les étapes et les détails à travers son objectif.
Prends-moi… en photo est loin d’être le texte parfait qui pourrait vaincre mes réticences à propos du genre en question, et je n’ai pas vraiment apprécié le côté fleur bleue de la protagoniste – encore qu’il faut avouer que l’auteure sait tirer son petit effet de la confrontation brusque et presque (!) violente entre ce trait apparemment indélébile des vierges trop rêvasseuses et, d’un côté, la misère matérielle des premières pages et, de l’autre, les exigences du futur dominateur quand celui-ci vertement apostrophe la jeune femme par un joyeux « Suce-moi ! ». Et puis, certains clichés ont la vie bien trop dure, et si j’aimerais vraiment voir ceux-ci disparaître des devants de la scène, révélés pour ce qu’ils sont par l’évidence du trop beau et du trop propre qui leur colle à la peau, il faut sans doute me résigner à les voir fleurir pour gâcher le plaisir qu’un texte bien ficelé et même surprenant par bien des côtés vient de susciter. Si j’ai donc un conseil à donner à Steph S., c’est d’ouvrir grands les yeux pour y voir plus clair, et de jeter aux oubliettes la vision pourrie de la belle société libertine telle qu’elle s’incarne sous les traits d’un M. Gray, d’un Paul ou d’un – Max (personnages voire protagonistes du texte qui nous occupe). Et si, pour finir, Mme S. pouvait mettre plus de verve (un peu) et plus de franchise (beaucoup) dans les scènes de cul, ce serait parfait et je lui promettrais de dévorer son prochain texte (il suffit de me l’adresser !). Il me semble pourtant qu’elle a choisi la bonne voie et qu’elle a tout ce qu’il faut pour aller loin, vu qu’elle a eu le culot de montrer une jeune vierge (finalement très peu effarouchée) mouiller devant deux mecs qui s’enculent.
Steff S.
Prends-moi … en photo
L’Ivre-Book
ISBN : 9782368922743
Bonjour, comme vous pouvez le constater, je suis l’auteure de la nouvelle ci-dessus. Ayant remercié chaque chroniqueuse (parce que jusque-là il n’y avait que des chroniqueuses !), je remercie donc le chroniqueur pour son analyse. J’assume totalement le côté fleur bleue de l’histoire, le fait est que je lis beaucoup de littérature sentimentale, donc, cela déteint sur mes écrits. Après vous me demandez d’ouvrir les yeux, et malheureusement pour moi, ma vision de la vie dans la réalité est bien moins idyllique. Pour finir, comme vous demandez si gentiment de vous faire parvenir mon prochain texte, je me ferai une joie de le faire. Steff S.