Certains s’en souviennent peut-être, mais je le répète avec plaisir à l’intention des nouveaux-venus et de toutes celles et ceux à qui, après pas moins de sept ans, le nom de Jon Blackfox aurait tout bêtement échappé. Il s’agit pourtant, et je ne dis pas ces choses-là à la légère, d’un auteur qui, dans le cadre de l’édition 2015 des Lectures estivales, est venu « illuminer mon été »1. Formule quelque peu coquette quand on se rappelle le titre de ce premier opus : Les Incendiaires. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’on puisse croiser celui-ci une deuxième fois dans les colonnes animées par votre serviteur. Et cette fois-ci, l’auteur nous tombe dessus, après sa version complètement détraquée de boy meets girl, avec un récit qui porte inscrite dans le titre l’essence de toute littérature pornographique : le cul, en l’occurrence celui de Katty. Un cul qui saute aux yeux – à défaut de nous sauter à la gueule – sur la couverture du texte qui remet à l’honneur une fois de plus l’esprit des road movies et du rêve américain d’une liberté qui fleure si bon le grand ouest et les grands espaces que sillonnent sous l’immensité du ciel les bolides honnies par les férus d’écologie.
Et puis, le lecteur a la surprise d’entendre la protagoniste – cette Katty dont on vient d’admirer les rondeurs parfaites d’un cul qui s’expose avec la nonchalante impudeur qui a fait la réputation de Média 1000 devant le grand bleu céleste immaculé – de l’entendre donc affirmer, dis je, qu’elle n’aurait jamais « éprouvé de désir sexuel. » Affirmation inouïe dans la bouche de quelqu’un qui s’apprête à devenir la star des fantasmes pornographiques que le nom de l’auteur et le renommé de la collection ainsi que de son directeur promettent avec une assurance que le moindre doute ne saurait venir remettre en question. Mais voici que Katty remet une touche en précisant qu’elle n’a jamais
rien [éprouvé] qui s’approche de près ou de loin de cette ivresse des sens décrite par mes amies. La vue d’une bite ou d’une chatte m’a toujours laissée impassible et il y a longtemps que j’ai enterré l’idée de me faire jouir avec les doigts.2
Et voici donc que le lecteur, après avoir découvert un titre choisi pour résumer tout ce qui va bien dans le monde érotico-pornographique, se trouve sous le choc de découvrir une protagoniste à des années-lumière de toute excitation sexuelle. Il n’en faut pas plus pour deviner la possibilité, dans un texte dont l’intrigue part de telles prémices, non pas celle d’une île, mais celle plutôt d’un voyage tout ce qu’il y a de plus extraordinaire. Et c’est précisément ce qui se passe après que Katty – poussée aux dernières extrémités par un défaut aussi flagrant et infirmant que le manque de sensibilité sexuelle – renonce provisoirement à vouloir se suicider, le temps de faire quelques dernières expéditions dans le domaine du désir sexuel. Et comme le projet est des plus simples – voir si, à défaut d’éprouver du plaisir, elle ne serait pas capable de le faire ressentir aux hommes – cette expédition sera placée sous les auspices d’une sexualité amplement recherchée et de plus en plus débridée. Et voici que le texte laisse entrevoir une première dose de cet humour que Jon Blackfox manie avec un tel bonheur, voir une infirme du sexe s’attaquer aux questions de la sexualité – synonyme pourtant du relâchement de toutes les notions de morale et des transgressions les plus outrancières – de façon systématique – scientifique presque – en évaluant d’abord les pratiques les plus à même de l’assurer d’atteindre à ses buts, et en prenant ensuite des leçons de suçage de bite auprès d’une bande de hardeuses dont elle visionne les vidéos accessibles sur des sites spécialisés et en s’exerçant sur des godes et des – bananes sur lesquelles elle n’omet pas de glisser au préalable une capote. Les détails sont évidemment importants et il n’est pas donné à tout le monde d’être une professionnelle ! Quel projet ! Et quelle belle promesse dans la bouche d’une narratrice qui compte désormais mettre sa cavité buccale au service du plus grand plaisir de ses partenaires.
On imagine qu’un voyage entamé sous de telles prémices offre de belles perspectives à l’auteur qui n’y va pas de main morte quitte à bousculer quelque peu une protagoniste / narratrice qui n’a sans doute pas vu venir tout ce que le Sieur Blackfox lui envoie entre les mâchoires et les cuisses. Et surtout au fond du cul. Parce que, disons-le avec toute la franchise de celui qui a déjà pu goûter aux plaisirs d’une lecture aussi échevelée qu’indécente, le problème de Katty n’est pas d’être insensible aux joies du sexe, mais le fait de s’être servi du mauvais orifice. Parce que son secret est – insoupçonné par la principale concernée – qu’elle ne jouit que par le cul, tandis que sa chatte ne répond tout simplement pas aux stimulations dont le plus expérimenté des partenaires puisse vouloir la faire profiter.
Mais avant de voir Katty recevoir cette révélation anale, il faut surtout admirer une approche tout ce qu’il y a de plus professionnelle dans sa quête du plaisir inconnu. Soucieuse d’efficacité, sa bouche désormais habituée à recevoir des objets oblongs, elle choisit l’endroit parfait pour débusquer ce qu’on peut qualifier d’un bon coup « vite fait, bien fait » (surtout vite fait bien sûr…), un de ces hôtels hantés par les professionnels en déplacement, avides de sortir du cadre maussade de leurs vies rangées et du décor tout en tristesse de leurs déplacements ne fût-ce que le temps de quelques instants passés à besogner une inconnue croisée dans la rue ou dans un bar. La plupart du temps, les inconnues susmentionnées sont bien évidemment des putes, et la route de Katty semble toute tracée pour la conduire vers un milieu à l’opposé de sa vie au moins aussi rangée que celle de la plupart de ses partenaires éphémères. Mais tout ça, que d’autres pourraient être tentés de prendre pour une belle intrigue de roman-porno, ne sert que de point de départ à Jon Blackfox résolu à faire voir à sa protagoniste de toutes les couleurs et de la conduire aux limites de ce qu’elle peut supporter, physiquement aussi bien que psychiquement. Je n’ai aucune intention de dévoiler dans ces colonnes le détail des caprices de l’imagination d’un auteur d’un tel calibre, mais vous autres lectrices et lecteurs – tout comme la belle Katty en train de (se faire) sonder les capacités d’excitation sexuelle que lui réserve son cul – pouvez compter sur de belles rencontres parmi lesquelles figurent les parties de jambes en l’air à répétition avec la propriétaire d’un sex shop, des rendez-vous avec une fucking machine inventée par un hardeur doublé d’un artiste et, pour finir, la fréquentation d’une sorte de philosophe hippy qui poursuit, en plein XXIe siècle, la tradition des Galles, ces prêtres de Cybèle qui, pour avoir le privilège d’exercer une telle charge, doivent consentir à se séparer de quelques parties essentielles de leur masculinité.
Mais, à défaut de vous dévoiler les détails des péripéties du parcours de Katty, je consens à vous offrir un bel échantillon de l’indécence de notre héroïne anale en vous citant ici ces quelques paroles que Blackfox a su glisser dans la bouche (je sais, il s’agit ici de sa voix intérieure, mais comment passer à côté d’une telle occasion pour évoquer un des trous de la protagoniste pour introduire cette belle phrase dans laquelle se résument l’entière perversité de l’auteur et de sa créature ?) de sa narratrice :
Tester la fucking machine m’apparut tout à coup une nécessité. Mais avant cela j’étais bien décidée à m’exploser le cul toute seule comme une grande.3
Un texte comme une parenthèse de pur délire puisé au fond d’une chair épanouie et enfin palpitante. Et avant cela, voici un aperçu des sensations de Katty au moment de découvrir ce plaisir tant recherché et qui pourtant n’a jusqu’ici jamais été au rendez-vous :
Il m’a défoncé et défloré le cul. Je chialais de plaisir. […] Plus encore que mon cul, je sentais surtout la pulsation fantaisiste de mon cœur cherchant à s’extraire de ma cage thoracique pour venir prendre place directement dans mes intestins afin d’y projeter tout autant de sang que de sécrétions gluantes.4
On reste bouche-bée devant de telles phrases qui affichent bien plus, dans la quête de la nature du plaisir, que la seule volonté de conduire le lecteur vers l’instant Chantilly si cher à Esparbec. Blackfox, lui, ne se contente pas de nos bites, et sa protagoniste l’a sans doute bien compris quand, à l’instant même de s’apprêter à brouter sa première chatte, elle (se) pose la question – à elle-même, à l’auteur, à nous autres ? – de savoir si « peut-être allai[t]-[elle] y perdre [son] âme ? »5
Je qualifierais volontiers l’attitude de Blackfox, telle qu’elle s’exprime dans Le cul de Katty et telle qu’on a pu l’entrevoir dans Les Incendiaires, d’existentialiste. Quand il invente et nous propose un personnage, ce n’est pas pour le consommer, mais plutôt pour le voir se consumer dans les flammes des excès qui rendent tout simplement impossible de pouvoir continuer à exister dans un monde où les escapades sont cantonnées à des cinq à sept, bientôt rendus indigestes par l’ennui d’une mécanique répétée à l’infini, peu importe la valse des partenaires qui changent pour déboucher sur toujours le même ennui.
Je vous laisse avec cette phrase qu’il faut déguster comme une chatte juteuse et qui continuera à retentir dans les oreilles de celle et de celui qui a eu le bonheur (à moins que ce ne soit un malheur ?) de se perdre dans l’univers fantasque de Jon Blackfox :
Alors que j’étais en pleine crise de spasmes, les pieds tapant sur le sol à cause du trop-plein de sensations, elle [Charlotte, ancienne pute et propriétaire d’un sex shop] me décrivait comme un fléau prêt à s’abattre sur une humanité empêtrée dans un ressassement nostalgique et qui ne croyait plus à la possibilité d’une nouvelle ère.
Lisez donc du Blackfox, cela vous fera du bien …
Jon Blackfox
Le Cul de Katty
La Musardine
ISBN : 9782744828805