Jon Black­fox, Les incendiaires

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Voi­ci donc le texte qui, de par la force brute des paroles de Jon Black­fox, vient d’illu­mi­ner mon été. Plus chaud que le soleil qui fait bouillir l’as­phalte et cra­quer le bois des pins, plus lan­ci­nant que la pluie des étoiles du mois d’août, plus tran­chant que la foudre qui éventre l’obs­cu­ri­té de sa lame incan­des­cente les nuits d’o­rage. Une aven­ture, une cavale, conden­sée dans un texte qui devrait ser­vir de dra­peau à une jeu­nesse qui, assoif­fée de pas­sion, en a marre d’en­tendre rado­ter les vieux, marre de voir s’a­gi­ter les pro­messes des len­de­mains qui chantent, et qui, pas contente de s’en prendre aux cli­chés et aux mirages, fait écla­ter la déco à coups de balles avant de foutre le feu à l’u­ni­vers qui, doré­na­vant, se consume en consom­mant l’u­nion de deux – incendiaires.

Rare­ment un texte aura été mieux nom­mé que celui de Jon Black­fox, Les incen­diaires. Le feu, fidèle com­pa­gnon, ten­ta­tion tou­jours prête à se réveiller au pre­mier coup de bri­quet, leur tient com­pa­gnie de la pre­mière page jus­qu’à la der­nière, et la route que des­cendent Can­dice et Ayden les guide vers la com­bus­tion dans une pro­messe d’illu­mi­na­tion – pas­sa­gère certes, mais totale et irréversible.

Culbu­tés par le néant qui s’a­gite au fond de leurs entrailles, Can­dice et Ayden com­mencent par jouer avec le feu et libèrent un démon dont la puis­sance tout sim­ple­ment les balaye. Prise de panique face à la des­truc­tion qu’ils ont appe­lée sans avoir été prêts, leur fuite prend des accents épiques nour­ris par une atten­tion remar­quable aux détails de la des­truc­tion qui s’opère :

La clim’ était sur le point de rendre l’âme. Le ven­ti­la­teur ne char­riait plus que de l’air brû­lant. Les plas­tiques, ces espèces de joints dégueu­lasses bouf­fés par le temps et les intem­pé­ries, com­men­çaient à fondre. Et le moteur, ce putain de moteur au bruit de loco­mo­tive, Ayden se deman­dait jus­qu’où il serait capable de les conduire avant d’exploser sous l’effet de la chaleur.

Cette fuite tout dou­ce­ment se trans­forme en voyage ini­tia­tique, un voyage nour­ri de mort, gra­tuite, et de sexe, besoin tou­jours près de se chan­ger en vio­lence, épan­che­ment de sèves ser­vant à noyer la peur et à exal­ter la vie, minus­cule étin­celle qui brille face aux démons qui pro­mettent de s’en nour­rir pour consu­mer l’univers.

À lire :
Clara Basteh, Correspondance Charnelle

La cavale de Can­dice et d’Ay­den, sorte de coming of age ren­ver­sé et sans issue, puise une bonne par­tie de sa force dans le cou­rant sou­ter­rain des grands mythes de l’Eu­rope. Et cela ne s’ar­rête pas à la bana­li­té du sou­ve­nir de Phaé­ton, fils du Soleil mort fou­droyé pour avoir per­du le contrôle du char solaire qui, dans sa course effré­née, mena­çait de réduire le monde en cendres. Jon Black­fox emmène ses lec­teurs vers d’autres contrées, et celui qui ne l’au­rait pas encore com­pris en déchif­frant les noms des pro­ta­go­nistes n’a qu’à relire, dans le deuxième cha­pitre, l’é­pi­sode hal­lu­ci­nant du fast food, clin d’œil à la scène d’ou­ver­ture de Pulp Fic­tion et à la dis­cus­sion des deux tueurs à pro­pos de la nomen­cla­ture des res­tau­rants Mac Donald’s en France par rap­port à celle des États-Unis. Dans le texte de Jon Black­fox, c’est Ayden qui s’in­ter­roge (lui-même et la ser­vante en même temps) à pro­pos des deux varié­tés de Big Mac et qui, dans une digres­sion remar­quable, passe par les ato­mistes grecs pour arri­ver à la ques­tion du choix, ques­tion qui, elle, don­ne­rait la défi­ni­tion de la vie :

Tant que l’on peut faire des choix […] eh bien nous vivons. Mais quand on n’a plus de choix… ou que l’on aban­donne sa capa­ci­té à choi­sir… ou que l’on est allé au bout de ses choix, qu’est-ce qu’il se passe ?

Com­ment ne pas suivre le fil rouge (en disant bon­jour à Ariane, nièce du dieu solaire) ten­du par le nar­ra­teur pour sor­tir du laby­rinthe des allu­sions et des­cendre à la ren­contre du célèbre holo­causte, la reine mythique de Car­thage, l’écla­tante Didon (can­di­da Dido dans la langue de Vir­gile), reine et femme à laquelle l’Aeneas moderne, arri­vé au bout de son périple, ten­drait enfin la main pour se his­ser avec elle au bûcher après avoir lâché le pater­nel, jeté en pâture aux flammes qui allaient consu­mer l’an­cien monde, se libé­rant par ce geste du poids du pas­sé et  en même temps de celui de l’avenir :

Sur le point d’être pris au piège par le tour­billon incen­diaire, Ayden et Can­dice se tenaient tous deux par la main, ils avaient aus­si peur l’un que l’autre.

Jon Black­fox vient de signer, avec Les Incen­diaires, un roman d’une rare inten­si­té, por­té par des per­son­nages aux dimen­sions légen­daires, aus­si fas­ci­nants que l’u­ni­vers que, à tra­vers leur cavale, ils révèlent aux lec­teurs. Par­ta­ger cette aven­ture, ne fût-ce que pen­dant les quelques ins­tants de la lec­ture, est un bon­heur aus­si rare qu’inattendu.

À lire :
Collectif, Sea, sex and sun

Jon Black­fox
Les incen­diaires
SKA
ISBN : 9791023404340

La Sirène de Montpeller

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