Xavier Fis­se­lier, Mau­vaises nouvelles

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Mau­vaises nou­velles, voi­ci un titre qui fait réflé­chir. Parce qu’on aime­rait savoir quelles sont au juste ces mau­vaises nou­velles. Celles qui, jour après jour, nous arrivent d’un peu par­tout dans le monde, que ce soit depuis la côte orien­tale des États-Unis rava­gée par San­dy ou depuis l’O­rient où les gens s’entre-déchirent en Syrie ? Ou est-ce qu’il s’a­gi­rait d’une allu­sion à ce genre lit­té­raire appa­rem­ment mal aimé par les édi­teurs fran­çais ? Allons voir ça de plus près.

Le texte en ques­tion vient de paraître aux Édi­tions Numé­rik­livres, dans la col­lec­tion e‑lire diri­gée par Ani­ta Ber­chen­ko. Col­lec­tion dont nous connais­sons déjà toute la valeur après avoir lu les contri­bu­tions d’Au­drey Betsch, La Pile du Pont et de Jeff Balek, Lisa. Deux textes de très bonne qua­li­té dont le mérite lit­té­raire fait briller la col­lec­tion entière. Ce qui, d’un côté, lui assure une noto­rié­té cer­taine, tout en rele­vant, de l’autre, la barre au-des­sus de laquelle doivent pas­ser les nou­veaux-venus. Exer­cice, on le conçoit, pas tou­jours facile.

Le texte de Xavier Fis­se­lier est d’un genre tout à fait dif­fé­rent que ceux des deux auteurs cités. C’est de la prose, certes, mais c’est à peu près le seul point com­mun entre un roman assez tra­di­tion­nel comme celui de Mme Betsch, la nou­velle oni­rique, toute en dou­ceur de M. Balek, et le mono­logue sans fin qui rem­plit – et char­rie – les Mau­vaises Nou­velles.

Vous avez bien com­pris, « sans fin », et ce mal­gré sa taille assez réduite. Parce que c’est un texte qui se mord dans la queue, qui tient en haleine, non pas à la manière des cou­reurs qui arrivent en fin de par­cours, mais à celle des ânes ou des vaches qu’on fait tour­ner en rond pour moudre le grain ou pour faire mon­ter l’eau dans les puits. Une acti­vi­té qui n’a pas de fin ni de limites et dont on ne sort que par cette porte qu’on ne fran­chit qu’une seule fois. Une image d’ailleurs par­ti­cu­liè­re­ment bien adap­tée à ce texte, parce que l’u­ni­vers qu’on y découvre, à tra­vers la plon­gée au fond des pen­sées embrouillées du nar­ra­teur, est par­ti­cu­liè­re­ment aride. Rare­ment, une cou­ver­ture a été mieux choi­sie pour accom­pa­gner un texte que celle du volume en ques­tion, ins­pi­rée par une pho­to de Louise Ima­gine.

À lire :
Questions à Paul Leroy-Beaulieu, éditeur numérique

Le nar­ra­teur en est d’ailleurs conscient, de son périple qui ne le mène nulle part, et ce depuis les pre­mières phrases :

Chaque matin est iden­tique au matin pré­cé­dent. Je crois. Je ne me sou­viens jamais de rien. Les jours s’enchaînent et je ne sais pas pour­quoi, je n’en com­prends pas le sens.

Les jours s’en­chaînent, et le nar­ra­teur se réveille, chaque jour, enfer­mé dans un huis-clos dont les issues sont condam­nées depuis tou­jours, au point qu’on se demande si celles-ci ont jamais exis­té. Le maître-mot y est la soli­tude. La soli­tude et l’in­si­gni­fiance de l’é­tat où on se trouve. Je dis bien état, parce qu’on ne sau­rait dire s’il s’a­git de vie ou de mort, d’ab­sence ou de pré­sence. La seule cer­ti­tude, c’est celle d’en­tendre le tic tac de l’hor­loge, de voir le jour pas­ser, assis à la table dont on se lève uni­que­ment pour aller dans la salle de bain pour y contem­pler le spec­tacle de sa propre nudi­té et des gouttes d’eau qui s’é­crasent, au même rythme tou­jours, contre l’é­mail de l’évier.

Tout ce texte est une longue et lente réflexion sur l’être et le non-être, à la mesure des jours qui se res­semblent, qui s’ouvrent sur un coup de revol­ver et qui se ter­minent par le som­meil qui, mal­heu­reu­se­ment, n’est pas éter­nel. Un texte dif­fi­cile à digé­rer, dont émane une fatigue de plomb qu’il faut com­battre pour évi­ter que les pau­pières ne se ferment, que las vision ne s’embrouille. Un texte vis­queux qui s’é­tire, aux lettres impré­gnées d’en­nui qui pénètre insi­dieu­se­ment dans le monde de ce coté-ci de l’é­cran, et on se sur­prend à lor­gner l’ar­moire qui contient les bou­teilles pour suivre l’exemple du narrateur :

Seule la brû­lure ardente de l’al­cool fort qui s’é­coule et se plaque le long de ma gorge par­vient à res­sus­ci­ter mes sens et mes émotions.

Je n’ai pas vrai­ment aimé ce texte, où rien ne se passe, ou presque, et où les réflexions semblent ralen­tir, voire anéan­tir, la vie. Mais, après tout, quelle impor­tance ? Parce que, même si je n’ai pas aimé, je l’ai relu par deux fois. Et j’ai inter­rom­pu la lec­ture pour relire des para­graphes dont le sens m’é­chap­paient. Qui n’ont peut-être pas de sens, d’ailleurs. La lec­ture des Mau­vaises Nou­velles me laisse décon­cer­té, avec un sen­ti­ment de soli­tude devant ces lettres dont je n’ar­rive pas à per­cer le secret. Qui n’é­ta­blissent aucune com­pli­ci­té entre moi et le nar­ra­teur ou encore l’au­teur. C’est ça, la mau­vaise nou­velle ? À moins que ce soit celle qui s’a­dresse au nar­ra­teur qui, mal­gré sa volon­té d’en finir, constate, chaque matin, qu’il se réveille, encore une fois.

À lire :
Le mec de l'underground - des souterrains de la ville à ceux de l'âme

Xavier Fis­se­lier
Mau­vaises nou­velles
Édi­tions Numé­rik­livres
ISBN : 978−2−89717−344−9

Xavier Fisselier, Mauvaises Nouvelles
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

Une réponse à “Xavier Fis­se­lier, Mau­vaises nouvelles”

  1. Un grand, grand mer­ci à vous. Très tou­ché par votre article que je viens de découvrir.
    Très bon wee­kend à vous,
    Xavier