Après Sexe cité, paru en 2015 chez IS Éditions, Stella Tanagra donne, avec Sexe primé, son deuxième recueil, troquant au passage son ancien éditeur contre une maison dont la renommée dans le domaine de l’érotisme littéraire n’est plus à faire, à savoir Tabou Éditions. Le nouveau recueil réunit douze textes, précédés d’un Avant-propos, dont certains tiennent en une seule page tandis que d’autres, se conjuguant en plusieurs chapitres, fournissent plus ample matière aux lecteurs avides de nourritures littéraires.
Stella Tanagra propose à ses lecteurs de parler sexe. Le titre ne laisse que peu de place au doute, encore qu’il y a bien sûr plus d’une façon de parler du côté charnel de la chose, et certains pourraient être surpris. Mais avant d’aborder le sujet, il y a un autre élément de l’écriture de Stella que j’aimerais aborder, à savoir son amour inconditionnel pour les jeux de mots, poussant le vice jusqu’à les arborer en première de couverture, au point d’en faire une sorte de marque de fabrique (exemple tiré de l’Avant-propos : « Les désirs s’expriment mais à quel prix le sexe prime ? »). Une fois le lecteur embarqué, celui-ci se pose quand même assez rapidement la question de savoir si l’autrice n’en fait pas un peu trop, avec des phrases et des expressions d’une préciosité borderline comme celle-ci, par exemple :
« [les] ondes orgasmiques effervescentes qui écumaient ta vulve spumescente » [1]Stella Tanagra, La dérive amoureuse. In : Sexe primé
ou celle encore qui franchement abuse de l’imaginaire aquatique utilisé à fond dans la deuxième nouvelle du recueil, La dérive amoureuse :
« L’alcool nageant le crawl à une allure olympique dans nos vaisseaux sanguins… »
Je ne dis pas que ce style quelque peu ampoulé gâche la lecture ou la rendrait carrément impossible, mais l’autrice, il faut le reconnaître, y a mis un bel obstacle qu’il faut savoir enjamber avant de pouvoir déguster les textes dont certains ne manquent pourtant pas de ravir les imaginations et de mettre le lecteur sous le charme des imaginations de la Tanagra.
Si tous les textes ont un lien certain avec la sexualité, on hésite pourtant, pour certains au moins, à les qualifier d’érotiques. Au même titre qu’on ne concéderait pas cet épithète-là, par exemple, à un manuel de biologie expliquant la reproduction humaine. Ce qui bien entendu ne veut pas dire que l’autrice adopte une approche didactique de la sexualité, mais que la présence, dans ses textes, d’éléments plus ou moins classiques de l’érotisme, comme la fellation ou la copulation, ne suffit pas pour les placer sous ce dénominateur commun et de leur coller une étiquette. À y regarder de plus près, on les y trouve pourtant, ces « éléments plus ou moins classiques », comme par exemple la pipe sous-marine concédée par Océane à son mari (La dérive amoureuse), les « trous béants » des femmes que le narrateur d’Écran total se plaît à évoquer dans ses délires d’éternel branleur, ou encore « l’irruption bouillonnante [qui] jaillit à profusion » pour évoquer l’orgasme masculin dans Peau percée, mais on ne rendrait pas justice à ces textes si on s’arrêtait-là. Loin des orgasmes et des traditionnels échanges de fluides qui figurent comme pièces de résistance dans une bonne partie des textes du genre, les meilleurs textes de Stella Tanagra emmènent les lecteurs dans des délires qui, loin des instants chantilly d’une approche plus classique, retournent le propos contre celui qui se croyait à l’abri, inaccessible derrière son écran ou devant ses pages, et qui n’a d’autre choix désormais que de précocement abandonner le texte ou de se remettre en question, en même temps que ses attentes.
Parmi les textes les plus remarquables, des textes que je conseillerais sans hésiter à la lecture, on doit compter La dérive amoureuse (celui, précisément, qui a servi à illustrer, quelques lignes plus haut, une certaine dérive stylistique), courte nouvelle qui rapproche les affres de l’amour de celles de la mort dans un tête-à-tête des plus macabres ; Peau percée, délire d’une serial baiseuse qui se livre jusqu’aux entrailles dans un gang bang aux dimensions épiques ; Sans sortir, récit d’une existence transformée en viol éternel, tellement touchant par les réflexions d’une narratrice dont la naïveté n’est autre que l’innocence de l’enfance ; Puppy love, une histoire où le premier amour côtoie de bien trop près le dernier ; Les profondeurs, récit d’une descente aux enfers de l’érotisme où les hommes et les femmes ne s’abordent plus que sous la forme de mannequins ou de pièces détachées. Dans d’autres textes, l’autrice essaie de mettre les lecteurs sur une mauvaise piste en leur proposant une sorte de devinette, mais l’artifice manque de produire ses effets, les textes étant tout bêtement trop longs pour être efficace (Scène de crime ; Ma chair et tendre), tandis que d’autres encore me laissent tout simplement perplexe, sans que je puisse trouver la moindre réponse à propos de leur présence dans le recueil ou de leur pertinence (Ces messieurs me disent).
Il y a dans le recueil en question des textes qui m’ont fait un effet certain, et l’autrice brille, dans ses meilleurs instants, par une imagination fertile qui se saisit avidement des sujets courants du genre pour leur tordre le cou et ensuite jeter les morceaux du cadavre à la gueule du lecteur, un procédé qui ne manque pas de laisser des traces. Malheureusement, elle arrive aussi à se faire des croche-pieds à elle-même en se servant d’un style ampoulé [2]Que faire, par exemple, de cette métaphore tout à fait incompréhensible : « Avant que mon attention ne succombe au fruit de la tentation » ? et d’un vocabulaire qu’elle essaie d’adapter à ses exigences en le faisant plier avec bien trop de violence. Ce qui peut décourager certains lecteurs qui pourtant profiteraient tellement de la brise fraîche qui fait frémir les pages de Sexe primé.
Sexe primé
Tabou Éditions
ISBN : 9782363266620