En-tête de la Bauge littéraire

Nina Mari­gny, Coïts dans les prés

Quand j’ai déci­dé d’a­che­ter ce texte et de le faire entrer – assez tar­di­ve­ment – dans les Lec­tures esti­vales, j’ai encore cru que j’al­lais être confron­té à de belles affaires sor­dides de pros­ti­tu­tion, por­tées par des jeunes femmes naïves et inno­centes et prêtes à se jeter dans la gueule du loup, empor­tées vers les rela­tions tari­fées par la ten­ta­tion du sor­dide dans le pire des envi­ron­ne­ments, à savoir les par­kings d’au­to­routes, livrées à des hommes en rut pri­vés de baise pen­dant des jours voire des semaines, rêvant de défon­cer de jeunes chattes juteuses dans le mys­tère et l’obs­cu­ri­té de leurs habitacles…

Mais quelle ne fut pas ma sur­prise quand j’ai dû décou­vrir que ce texte navi­guait sous faux pavillon, et que la qua­trième de cou­ver­ture avait fait des pro­messes aux lec­teurs que le texte était tel­le­ment loin de pou­voir tenir qu’on peut se deman­der si ce n’est pas car­ré­ment se foutre de la gueule de ses lec­teurs… Mais jugez par vous-mêmes ! Voi­ci ce que pro­met la qua­trième de couv :

À la suite d’un caprice, elle [la pro­ta­go­niste, Amé­lie] et sa copine Char­lotte décident de se faire pas­ser pour des tapi­neuses d’autoroute. Habi­tués aux rela­tions mon­nayées, les rou­tiers n’y voient que du feu. Prendre de l’argent pour s’envoyer en l’air débous­sole étran­ge­ment notre aven­tu­rière en quête d’émotions fortes… A l’instant de pas­ser à la cas­se­role sur la ban­quette qui occupe le fond de l’habitacle, elle se sent rem­plie d’une folle excitation.

Si vous tenez à lire le texte com­plet, vous le trou­ve­rez sur la page des titres ou sur la page consa­crée au texte sur la librai­rie 7switch. Vous vous ren­drez compte que je vous ai cité l’es­sen­tiel. Et vous consta­te­rez que le texte parle bel et bien de pros­ti­tu­tion et de jeunes femmes qui « décident de se faire pas­ser pour des tapi­neuses d’autoroute. » Et puis, j’en­tame la lec­ture, je vois les pages défi­ler, et je me demande bien quand on va enfin pas­ser aux choses sérieuses. En atten­dant, j’as­siste à l’ar­ri­vé d’une belle blonde dans un vil­lage du Mor­van où elle dis­pose d’une mai­son léguée par sa grand-mère. Et où elle a appa­rem­ment ses habi­tudes, char­nelles et autres. Je la vois péné­trer chez son amie et voi­sine où elle ne tarde pas à se lan­cer dans une belle ses­sion de trio­lisme avec l’a­mie en ques­tion et le mari de celle-ci. Une belle scène, je dois l’a­vouer, d’au­tant plus qu’elle se pare des joies et de la légè­re­té de la sai­son esti­vale. Mais la pré­sence de « camions » et de « camion­neurs » voire de leurs attri­buts se réduit à quelques petites phrases et réflexions insé­rées aux cha­pitres I et III. Où la pro­ta­go­niste, consciente et fière de ses charmes, ne dédaigne pas de se lan­cer dans des ses­sions d’ex­hi­bi­tion­nisme dans les­quelles elle s’ex­pose aux camion­neurs qu’elle double sur l’au­to­route. Et qui, eux, pro­fitent de leur posi­tion sur-éle­vée dans leurs cabines pour se rin­cer les yeux. Et quand on sait à quel point la demoi­selle est por­tée sur les gali­pettes, on ne s’é­ton­ne­ra pas de la voir plus tard qui ima­gine défiler

« de grosses bites de camion­neurs, des dizaines, des cen­taines de bites de camion­neurs, des forêts de bites mons­trueuses dres­sées rien que pour elle.« 1

Une phrase des plus allé­chantes, vous ne trou­vez pas ? Com­ment alors s’é­ton­ner de ce que le San­glier, consta­tant l’a­bîme de plus en plus pro­fond et large qui se creuse entre ce qu’on lui pro­met et ce qu’on daigne lui jeter en pâture, sent ses poils se dres­ser ? D’au­tant plus que, mine de rien, on en est déjà arri­vé à la moi­tié du texte sans voir la moindre tapi­neuse sor­tir du bois afin de se faire défon­cer par les camion­neurs en ques­tion et leurs bataillons de bites…

À lire :
Cornnell Clarke, Peanut Butter, vol. 2

Les choses se corsent enfin quand, au cha­pitre V, Amé­lie arrive à convaincre sa « copine Char­lotte » – oui, celle-là même qu’on a déjà pu croi­ser sur la qua­trième de couv” – de se lan­cer dans un reloo­kage – rasage de chatte com­pris. Et quand les deux filles se mettent en route pour ren­trer au vil­lage, le lec­teur a le plai­sir de les voir appro­cher d’une aire d’au­to­route où les attend une belle « file de camions à l’ar­rêt ». On va donc enfin pas­ser aux choses sérieuses, et le lec­teur – ain­si que l’au­teur de ces lignes – se sent déjà enclin à tout par­don­ner, d’au­tant plus qu’il vient d’as­sis­ter à une belle ses­sion chez l’es­thé­ti­cienne du coin.

Mais com­ment vous dire ? On voit Char­lotte ter­gi­ver­ser pour la forme avant de se lais­ser gui­der par Amé­lie vers une troupe de camion­neurs, quelques billets changent de main, tout le monde dis­pa­raît dans les cabines et – le tour est joué. Dans l’es­pace d’à peine une page ! Dans tout le roman, à peine une page consa­crée à ces belles aven­tures inavouables ? Si on veut rendre un San­glier furieux, voi­ci la route à suivre… Et quand on a à faire à une de ces bêtes-là, un beau coup de défense dans les par­ties n’est pas à exclure !

Bon, ni l’au­trice ni un col­la­bo­ra­teur de chez Média 1000 n’é­tant à por­tée de défense, on serre les rangs, prend son cou­rage dans les deux pattes et avance en sif­flo­tant dans le noir des forêts du Mor­van. Un cou­rage qui ne reste pas sans récom­pense, puisque on y assiste à une belle scène de chasse qui voit Amé­lie rem­por­ter un nou­veau tro­phée, à savoir un artiste du coin qu’elle saute (lit­té­ra­le­ment, d’ailleurs… Quand je vous dis que cette fille-là, c’est fran­che­ment l’é­toffe des star du X !) dès la pre­mière occa­sion. Et je dois avouer que cela fait plai­sir de pou­voir assis­ter à de tels élans libi­di­neux, à des avan­cées por­tées avec une fran­chise et une fraî­cheur qui n’ont rien à envier à per­sonne. Deux qua­li­tés aux­quelles elle joint une bonne dose d’au­to­ri­té quand elle s’im­pro­vise pro­fes­seur ès affaires amou­reuses et enseigne à l’a­mant de sa com­plice de son esca­pade pros­ti­tu­tion­nelle les bonnes façons de satis­faire une femme. Une scène qui ne manque pas d’un cer­tain charme bur­lesque et de laquelle un auteur moins pres­sé que Nina Mari­gny aurait sans doute pu faire un chef d’œuvre du genre. Mais ne soyons pas trop dur avec notre autrice, d’au­tant plus que les aven­tures d’A­mé­lie et de ses copines res­pec­tives sont loin de se terminer.

Bien au contraire, c’est la pièce de résis­tance qui s’an­nonce, pré­pa­rée dès les pre­mières pages par l’ap­pa­ri­tion d’un drôle de bon­homme qu’A­mé­lie désigne presque aus­si­tôt comme « le vaga­bond », sans se sou­cier de la véri­table iden­ti­té de celui-ci. Qui, déso­lé de le révé­ler à mes lec­teurs, n’est per­sonne d’autre que le noble du coin, habi­tant une demeure sise au milieu de la forêt. Et qui ne se prive pas d’in­vi­ter les deux copines – Amé­lie et Nina pour l’oc­ca­sion – à dîner. Trop belle occa­sion de se fami­lia­ri­ser avec ce notable pour la lais­ser échap­per, et le cha­pitre sui­vant voit les deux com­mères débar­quer dans un châ­teau qui, au milieu de sa forêt, n’est pas sans rap­pe­ler ceux des des­sins ani­més Dis­ney. Le vaga­bond (comte) en ques­tion, ne serait-il pas une sorte de bel au bois dor­mant qui n’at­ten­drait que l’ar­ri­vée d’une belle et vaillante (à moins qu’il fau­drait dire « entre­pre­nante » ?) prin­cesse aguer­rie qui ne craint pas de réveiller le beau prince – ni d’ailleurs ses attributs…

À lire :
Collectif, Osez 20 histoires de sexe torride

Et c’est pré­ci­sé­ment dans ce cha­pitre-ci que le lec­teur tré­buche sur une de ces phrases à la tour­nure tel­le­ment fri­vole que la plus enra­gée des bêtes se sen­ti­rait l’âme de par­don­ner le fait d’a­voir été pri­vé du plai­sir de pou­voir plon­ger le groin dans le marasme lubrique de la pros­ti­tu­tion de grand che­min. Le moyen, je vous le demande, de résis­ter à un hôte qui, après avoir mis les deux amies sous le charme « par les notes d’une sonate mélan­co­lique« 2 au clair de lune, lance à celles-ci un « Mes­de­moi­selles, savez-vous que j’ai l’intention de vous bai­ser ?« 3. Une pro­po­si­tion que les deux amies accueillent avec toute la bonne grâce qu’un tel envi­ron­ne­ment appelle avant de se retrou­ver dans un mélange de chairs et de liquides dont elles auront toutes les peines du monde à s’ex­traire le matin suivant.

Après, le récit n’est pas encore car­ré­ment ter­mi­né, mais je dirais que l’es­sen­tiel est der­rière nous. Avant de conclure, l’au­trice nous offre une der­nière scène de gali­pettes, épo­nymes celles-ci puis­qu’elles ont lieu sur le gazon du jar­din. Et qui four­nissent au gar­çon l’oc­ca­sion de lais­ser libre cours à une veine aus­si peu poé­tique qu’insoupçonnée :

Coïts dans les prés, je nique, tu niques, coïts dans les prés, c’est la fête aux nénés…4

Bon, disons que c’est avec une cer­taine allé­gresse qu’on referme le texte. Qui sait ce que l’i­ma­gi­na­tion débor­dante de la Mari­gny aurait pu nous pondre encore si on lui avait concé­dé l’es­pace. Ain­si, c’est le sou­ve­mir d’une belle indé­cente se vau­trant sur la pelouse dans le plus simple des appa­reils qu’on emporte avec un cer­tain regret :

Au milieu de la pelouse, elle se débar­ras­sa de sa che­mise de nuit et s’exposa nue au soleil. Riant comme une folle, elle se mit à cou­rir dans l’herbe. Par­ve­nue au pied du plus grand des pom­miers, elle se lais­sa tom­ber et rou­la avec délice dans le gazon cou­vert de rosée. L’odeur d’herbe mouillée agis­sait sur elle comme un aphro­di­siaque puis­sant. Cou­chée sur le dos, elle ouvrit ses cuisses et plon­gea un doigt dans sa chatte.5

Nina Mari­gny
Coïts dans les prés
Média 1000
ISBN : 9782744814037

  1. Nina Mari­gny, Coïts dans les prés, chap. III ↩︎
  2. Coïts dans les prés, chap. VIII, 146181 ↩︎
  3. l.c., chap. VIII, 149181 ↩︎
  4. l.c., Coïts dans les prés, chap. IX, 176, 181 ↩︎
  5. l.c., chap. IX, 158181 ↩︎