Quand j’ai décidé d’acheter ce texte et de le faire entrer – assez tardivement – dans les Lectures estivales, j’ai encore cru que j’allais être confronté à de belles affaires sordides de prostitution, portées par des jeunes femmes naïves et innocentes et prêtes à se jeter dans la gueule du loup, emportées vers les relations tarifées par la tentation du sordide dans le pire des environnements, à savoir les parkings d’autoroutes, livrées à des hommes en rut privés de baise pendant des jours voire des semaines, rêvant de défoncer de jeunes chattes juteuses dans le mystère et l’obscurité de leurs habitacles…
Mais quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai dû découvrir que ce texte naviguait sous faux pavillon, et que la quatrième de couverture avait fait des promesses aux lecteurs que le texte était tellement loin de pouvoir tenir qu’on peut se demander si ce n’est pas carrément se foutre de la gueule de ses lecteurs… Mais jugez par vous-mêmes ! Voici ce que promet la quatrième de couv :
À la suite d’un caprice, elle [la protagoniste, Amélie] et sa copine Charlotte décident de se faire passer pour des tapineuses d’autoroute. Habitués aux relations monnayées, les routiers n’y voient que du feu. Prendre de l’argent pour s’envoyer en l’air déboussole étrangement notre aventurière en quête d’émotions fortes… A l’instant de passer à la casserole sur la banquette qui occupe le fond de l’habitacle, elle se sent remplie d’une folle excitation.
Si vous tenez à lire le texte complet, vous le trouverez sur la page des titres ou sur la page consacrée au texte sur la librairie 7switch. Vous vous rendrez compte que je vous ai cité l’essentiel. Et vous constaterez que le texte parle bel et bien de prostitution et de jeunes femmes qui « décident de se faire passer pour des tapineuses d’autoroute. » Et puis, j’entame la lecture, je vois les pages défiler, et je me demande bien quand on va enfin passer aux choses sérieuses. En attendant, j’assiste à l’arrivé d’une belle blonde dans un village du Morvan où elle dispose d’une maison léguée par sa grand-mère. Et où elle a apparemment ses habitudes, charnelles et autres. Je la vois pénétrer chez son amie et voisine où elle ne tarde pas à se lancer dans une belle session de triolisme avec l’amie en question et le mari de celle-ci. Une belle scène, je dois l’avouer, d’autant plus qu’elle se pare des joies et de la légèreté de la saison estivale. Mais la présence de « camions » et de « camionneurs » voire de leurs attributs se réduit à quelques petites phrases et réflexions insérées aux chapitres I et III. Où la protagoniste, consciente et fière de ses charmes, ne dédaigne pas de se lancer dans des sessions d’exhibitionnisme dans lesquelles elle s’expose aux camionneurs qu’elle double sur l’autoroute. Et qui, eux, profitent de leur position sur-élevée dans leurs cabines pour se rincer les yeux. Et quand on sait à quel point la demoiselle est portée sur les galipettes, on ne s’étonnera pas de la voir plus tard qui imagine défiler
« de grosses bites de camionneurs, des dizaines, des centaines de bites de camionneurs, des forêts de bites monstrueuses dressées rien que pour elle.« 1
Une phrase des plus alléchantes, vous ne trouvez pas ? Comment alors s’étonner de ce que le Sanglier, constatant l’abîme de plus en plus profond et large qui se creuse entre ce qu’on lui promet et ce qu’on daigne lui jeter en pâture, sent ses poils se dresser ? D’autant plus que, mine de rien, on en est déjà arrivé à la moitié du texte sans voir la moindre tapineuse sortir du bois afin de se faire défoncer par les camionneurs en question et leurs bataillons de bites…
Les choses se corsent enfin quand, au chapitre V, Amélie arrive à convaincre sa « copine Charlotte » – oui, celle-là même qu’on a déjà pu croiser sur la quatrième de couv” – de se lancer dans un relookage – rasage de chatte compris. Et quand les deux filles se mettent en route pour rentrer au village, le lecteur a le plaisir de les voir approcher d’une aire d’autoroute où les attend une belle « file de camions à l’arrêt ». On va donc enfin passer aux choses sérieuses, et le lecteur – ainsi que l’auteur de ces lignes – se sent déjà enclin à tout pardonner, d’autant plus qu’il vient d’assister à une belle session chez l’esthéticienne du coin.
Mais comment vous dire ? On voit Charlotte tergiverser pour la forme avant de se laisser guider par Amélie vers une troupe de camionneurs, quelques billets changent de main, tout le monde disparaît dans les cabines et – le tour est joué. Dans l’espace d’à peine une page ! Dans tout le roman, à peine une page consacrée à ces belles aventures inavouables ? Si on veut rendre un Sanglier furieux, voici la route à suivre… Et quand on a à faire à une de ces bêtes-là, un beau coup de défense dans les parties n’est pas à exclure !
Bon, ni l’autrice ni un collaborateur de chez Média 1000 n’étant à portée de défense, on serre les rangs, prend son courage dans les deux pattes et avance en sifflotant dans le noir des forêts du Morvan. Un courage qui ne reste pas sans récompense, puisque on y assiste à une belle scène de chasse qui voit Amélie remporter un nouveau trophée, à savoir un artiste du coin qu’elle saute (littéralement, d’ailleurs… Quand je vous dis que cette fille-là, c’est franchement l’étoffe des star du X !) dès la première occasion. Et je dois avouer que cela fait plaisir de pouvoir assister à de tels élans libidineux, à des avancées portées avec une franchise et une fraîcheur qui n’ont rien à envier à personne. Deux qualités auxquelles elle joint une bonne dose d’autorité quand elle s’improvise professeur ès affaires amoureuses et enseigne à l’amant de sa complice de son escapade prostitutionnelle les bonnes façons de satisfaire une femme. Une scène qui ne manque pas d’un certain charme burlesque et de laquelle un auteur moins pressé que Nina Marigny aurait sans doute pu faire un chef d’œuvre du genre. Mais ne soyons pas trop dur avec notre autrice, d’autant plus que les aventures d’Amélie et de ses copines respectives sont loin de se terminer.
Bien au contraire, c’est la pièce de résistance qui s’annonce, préparée dès les premières pages par l’apparition d’un drôle de bonhomme qu’Amélie désigne presque aussitôt comme « le vagabond », sans se soucier de la véritable identité de celui-ci. Qui, désolé de le révéler à mes lecteurs, n’est personne d’autre que le noble du coin, habitant une demeure sise au milieu de la forêt. Et qui ne se prive pas d’inviter les deux copines – Amélie et Nina pour l’occasion – à dîner. Trop belle occasion de se familiariser avec ce notable pour la laisser échapper, et le chapitre suivant voit les deux commères débarquer dans un château qui, au milieu de sa forêt, n’est pas sans rappeler ceux des dessins animés Disney. Le vagabond (comte) en question, ne serait-il pas une sorte de bel au bois dormant qui n’attendrait que l’arrivée d’une belle et vaillante (à moins qu’il faudrait dire « entreprenante » ?) princesse aguerrie qui ne craint pas de réveiller le beau prince – ni d’ailleurs ses attributs…
Et c’est précisément dans ce chapitre-ci que le lecteur trébuche sur une de ces phrases à la tournure tellement frivole que la plus enragée des bêtes se sentirait l’âme de pardonner le fait d’avoir été privé du plaisir de pouvoir plonger le groin dans le marasme lubrique de la prostitution de grand chemin. Le moyen, je vous le demande, de résister à un hôte qui, après avoir mis les deux amies sous le charme « par les notes d’une sonate mélancolique« 2 au clair de lune, lance à celles-ci un « Mesdemoiselles, savez-vous que j’ai l’intention de vous baiser ?« 3. Une proposition que les deux amies accueillent avec toute la bonne grâce qu’un tel environnement appelle avant de se retrouver dans un mélange de chairs et de liquides dont elles auront toutes les peines du monde à s’extraire le matin suivant.
Après, le récit n’est pas encore carrément terminé, mais je dirais que l’essentiel est derrière nous. Avant de conclure, l’autrice nous offre une dernière scène de galipettes, éponymes celles-ci puisqu’elles ont lieu sur le gazon du jardin. Et qui fournissent au garçon l’occasion de laisser libre cours à une veine aussi peu poétique qu’insoupçonnée :
Coïts dans les prés, je nique, tu niques, coïts dans les prés, c’est la fête aux nénés…4
Bon, disons que c’est avec une certaine allégresse qu’on referme le texte. Qui sait ce que l’imagination débordante de la Marigny aurait pu nous pondre encore si on lui avait concédé l’espace. Ainsi, c’est le souvemir d’une belle indécente se vautrant sur la pelouse dans le plus simple des appareils qu’on emporte avec un certain regret :
Au milieu de la pelouse, elle se débarrassa de sa chemise de nuit et s’exposa nue au soleil. Riant comme une folle, elle se mit à courir dans l’herbe. Parvenue au pied du plus grand des pommiers, elle se laissa tomber et roula avec délice dans le gazon couvert de rosée. L’odeur d’herbe mouillée agissait sur elle comme un aphrodisiaque puissant. Couchée sur le dos, elle ouvrit ses cuisses et plongea un doigt dans sa chatte.5
Nina Marigny
Coïts dans les prés
Média 1000
ISBN : 9782744814037