Voici donc Carnaval, le titre qui inaugure la collaboration entre Stéphane Million, fondateur des Éditions homonymes, et Hugo Roman, éditeur qui fait partie de la « maison d’éditeurs » Hugo & Cie, la structure qui abrite, entre autres, les Éditions Blanche sous son toit merveilleusement large. Carnaval est donc un premier roman à plusieurs titres, tout d’abord celui de son auteur, le comédien Manuel Blanc, mais aussi celui de la nouvelle collection.

Carnaval, c’est un récit livré à la première personne par un narrateur resté anonyme, acteur de son état, qui, après avoir été délaissé par son amant, part pour un voyage à destination de Berlin. Un changement de train à Cologne en décide autrement, et le narrateur s’embarque à la découverte d’une ville hivernale engagée à fond dans la « cinquième saison », c’est à dire que le carnaval y bat son plein. En plus, c’est dans la métropole rhénane que l’amant disparu lui a fixé rendez-vous « dans une quinzaine de jours devant la cathédrale de Cologne » (p. 10).
Le séjour commence par quelques (faibles) touches de couleur locale : une bière, une saucisse et le spectacle des passants déguisés qui annonce la folie des jours à venir. Ensuite, c’est la recherche d’un abri, l’installation dans un premier hôtel, le déguisement (en gorille), un premier jour passé en solitaire, happé par la ville et l’effervescence des événements qui se préparent. Le lendemain, c’est la rencontre d’une équipe de tournage improbable à laquelle le narrateur se lie, le temps de quelques prises, toujours déguisé en primate, avant de troquer son costume contre un autre, le jour suivant, celui de Batman. Entre temps, il y a eu changement d’hôtel et la rencontre d’Eduardo, jeune Italien venu pour une pheromone party. Par le plus grand des hasards, le narrateur croise son amant perdu et se met à le filer, plantant là l’équipe soudainement à court de super-héros. Le narrateur apprendra plus tard que sa filature s’est doublée d’une autre et qui lui-même a attiré un poursuivant, à savoir le photographe de l’équipe de tournage. L’intrigue elle-même se faufile entre des entretiens avec Eduardo, des réflexions sur les états de primate et de super-héros, la soirée annoncée dédiée aux odeurs et aux attractions chimiques, de nouvelles poursuites à travers les rues glaciales et nocturnes, quelques escapades sexuelles, honorant les deux sexes de façon équitable, et une proposition presque méphistophélique de la part du photographe qui aimerait immortaliser (!) le moment des retrouvailles des deux hommes, sans pourtant (vouloir) connaître la nature des liens qui peuvent exister entre ces deux personnages à lui inconnus. Le tout se termine sur une plage italienne, l’amant perdu ayant été remplacé par un autre, avec peu avant la conclusion un fait divers pour donner du relief au photographe, personnage énigmatique dont les contours seulement se dessinent sous la lumière des projecteurs.
Revenons un peu à ce mot de « projecteurs » qui clôt le paragraphe précédent. Manuel Blanc est, je l’ai dit, acteur, et il y a, dans son roman, un grand nombre d’éléments qui renvoient au monde du septième et du huitième Art. Il y a, bien évidemment, la rencontre prolongée avec l’équipe de tournage, et l’épisode capitale du photographe, mais on trouve dans ce texte d’autres éléments encore relevant du même domaine, des éléments plus obscurs, mais qui montrent par cela même à quel point le discours fictionnel est empreint des origines (professionnelles) de son auteur. Qu’on ne pense qu’à ce fait tiré de l’adolescence du narrateur, à savoir la rencontre avec un autre ado dont il vient de regarder (!), de façon sans doute un peu trop appuyée, « la bosse au niveau de son maillot », et qui ensuite le met en garde de manière peu ambiguë :
« Si tu me regardes encore une fois comme ça, t’as plus de tête. » (p. 115)
Ou la vue plongeante sur la pheromone party, le regard du narrateur, monté au premier étage, embrassant la salle bondée, véritable variation moderne du procédé classique de la teichoscopie :
Je m’arrête contre la rambarde de la coursive, m’y accoude, observe les danseurs envahir la piste. (p. 99)
Si cela n’était pas suffisant, qu’on pense à la vidéo à propos des primates que visionne le narrateur, au personnage de Batman, héros « visuel » par excellence, de BD d’abord et de plusieurs films ensuite, ou encore à une question de détail comme celle de la rage du narrateur qui, confronté à l’assurance envahissante du photographe, aimerait lui « refaire son portrait » (p. 123).
Une telle obsession jusqu’au moindre détail ne laisse pas indifférent, et le contexte fait ressortir le personnage (anonyme toujours) du photographe comme un des éléments les plus importants (et les plus touchants en même temps) du texte, ce photographe qui ne peut se séparer de sa caméra devenue un véritable attribut du personnage comme s’il devait incarner la Photographie avec majuscule dans une sorte d’allégorie moderne du huitième art. Personnage, au demeurant, à la stature légendaire, subissant une peine à la hauteur de celle d’un Tantale ou d’un Sisyphe, condamné à revivre l’instant le plus terrible de sa vie pour l’avoir éternisé, même accidentellement, et cherchant à trouver, sur les figures de ses modèles, la violence et la peur (cf. la rencontre du photographe et du narrateur aux pages 118 – 126, une des scènes les plus longues du roman).
Quant à l’intrigue principale, celle du narrateur à la poursuite de son amant, disparu d’abord et miraculeusement réapparu ensuite , elle m’a laissé assez indifférent. On ne sait pas grand chose du narrateur, mais on n’apprend carrément rien à propos de son amant, sinon qu’il est d’origine « latino ». Celui-ci reste un véritable fantôme qui hante les rues de la ville et les rêves du narrateur, mais c’est sans doute trop peu pour permettre au lecteur de créer un quelconque lien avec ce personnage et de s’intéresser un tant soit peu à son sort. Pareil pour la majorité des rôles secondaires, comme le réalisateur un peu fou, l’Italien adorateur de culs, l’inquiétant concierge turc à la violence souterraine et mal contenue. Avec l’exception notable de l” « assistante au tournage » croisée à la phéromone party et qui finit, contre toutes les attentes, entre les bras – et dans le lit – du narrateur. Mais même Eduardo, le touriste italien, camarade de chambre et ensuite de douche et de vacances de notre héros, ne réussit pas vraiment à soulever l’intérêt voire l’attachement du lecteur, resté bien trop pâle malgré son teint de méditerranéen et ses boucles noires.
Il y a un autre élément encore du roman qui reste étonnamment pâle par rapport à ce qu’on aurait pu en tirer, et ce sont les lieux où se déroule l’action. On y trouve certaines « configurations » locales (la pelouse avec vue sur le Rhin, le musée d’art construit sur les ruines d’une église), mais elles sont loin de conférer un caractère aux lieux, de les rendre uniques, identifiables. On se doute que M. Blanc ait pu passer par là, mais sans vraiment s’imprégner de couleur locale. Cela est vrai aussi d’ailleurs pour ce qui est du carnaval qui apparaît plutôt comme un détail folklorique, malgré certains éléments inquiétants comme l’entrée en scènes des loups-garous avec leurs yeux injectés de sang. Qu’on veuille me permettre de souligner un détail particulièrement moche : Quand le narrateur sort, dans son cauchemar, de la cathédrale de Cologne, il est « aveuglé par le soleil » (p. 129), au point de devoir protéger ses yeux des rayons brûlants. Et pourtant, les cathédrales ne sont pas orientées pour rien ! On y entre et on en sort, et c’est bien le cas de celle de Cologne, par le portail principal qui se trouve coincé entre les deux tours, opposé donc au chœur, et s’ouvrant par conséquent du côté – occidental. Et comme la scène se passe très tôt le matin et que ex oriente lux, il n’y a aucun moyen de voir du soleil dans une telle configuration. Cela peut paraître mesquin, mais je vous assure que cela m’a profondément agacé, compte tenu de toutes les heures que j’ai employées à étudier les cathédrales pour pouvoir parler d’une seule entre elles de façon à peu près valable.
J’ai, malgré certaines remarques peut-être un peu rugueuses, aimé ce bref texte. Mais Carnaval est un roman qu’il faut impérativement lire au moins deux fois pour saisir et capter le réseau très dense qui alimente et lie les personnages – réseaux de regards principalement. Et c’est à la deuxième lecture que le texte révèle ses plus belles parties qui ne sont pas nécessairement celles qu’on croit. Si la plupart des personnages nécessiterait, selon moi, un travail plus approfondi pour les rendre plus « complets », plus « vrais », il y en a au moins un qui arrive à se conquérir une place dans le Panthéon des grands maudits. Cela me montre que M. Blanc, dans ses meilleurs moments, dispose de l’art de dresser un portrait en quelques coups de pinceau, et je lui conseillerais vivement de nous donner d’autres exemples encore de ces coups-là !
Manuel Blanc
Carnaval
Hugo Roman
ISBN : 978−2−75561−500−5
8 réponses à “Manuel Blanc, Carnaval”
La vidéo devrait comporter un avertissement pour les épileptiques, s’ils la visionnent ils vont faire une crise à coup sûr. En général, ce genre d’avertissement est sur beaucoup de jeux, de logiciels, vidéos etc…dont les couleurs, les mouvements et les flashes sont des facteurs déclencheurs de crises.
Sinon, la couverture, je n’aime pas du tout, j’i l’impression de sentir l’humidité et l’haleine du groin…mais bon, s’il s’agit de regards je pense que ma curiosité va l’emporter.
öte-moi d’un doute Thomas, Stephane Million, n’est pas Stephane Millon éditeur ? Parce que je vois mal chez Hugo, je sais pas pourquoi
Si, si, c’est le même Stéphane Million. L’attachée presse de Hugo me l’a confirmé. Je m’étais fait la même réflexion que toi…
je ne comprends pas trop cette manoeuvre éditoriale, il a une maison d’édition qui édite des textes avec un ton particulier, que vient-il faire chez Hugo ? Je vais lui poser la question :))
Tu sais, je ne m’en plains pas. M. Million ne m’a jamais cru digne d’un exemplaire SP de ses titres, tandis que les attachées de presse de chez Hugo m’ont tout de suite envoyé le roman…
ça m’intrigue quand même, j’aime bien comprendre moi…
je cherche le format de ce livre, c’est étonnant auparavant sur le site des éditeurs ou sur Fnac ou Amazon figurait le nombre de pages des livres et aujourd’hui je ne le vois plus mentionné nulle part, tu as remarqué cela Thomas ? Carnaval fait combien de pages ?
Coucou Anne, merci d’avoir laissé des commentaires :-) Le livre compte à peu près 150 pages et se lit dans quelques petites heures.
mais peux tu m’expliquer pourquoi cette mention a disparu chez les éditeurs et à chez les libraires sur le web ?