Lau­ra Lam­brus­co, Com­ment j’ai raté ma vie sexuelle

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Voi­ci, après la vie sexuelle de Jolène Ruest, « fuckée par une chan­teuse coun­try », la vie sexuelle « ratée » de Lau­ra Lam­brus­co, une autrice qui jusque-là a lais­sé peu de traces sur la toile, mais qui a pon­du un texte que votre ser­vi­teur a dévo­ré et dont il peine à se remettre. Voi­ci donc ce petit roman qui, en plein mois de novembre avec ses gros nuages qui étouffent la lumière et ses gouttes de pluie qui rendent aveugles les fenêtres, voi­ci un texte, dis-je, qui m’a sur­pris, qui m’a fait sou­rire, qui m’a fait vibrer, qui m’a fait péné­trer, aux côtés d’une femme extra­or­di­naire, dans les bas-fonds de la sexua­li­té, qui m’a fait entre­voir les ténèbres au fond de moi-même, et qui m’a fait bénir le jour où j’ai eu l’heur de tom­ber des­sus dans ma librai­rie numé­rique pré­fé­rée et de céder, une fois de plus, à cette curio­si­té qui, si elle me bouffe les sous péni­ble­ment gagnés, me rend capable d’a­li­men­ter et de pro­pul­ser la Bauge lit­té­raire. Je vous pré­sente donc, après cette entrée en matière quelque peu enthou­siaste, un texte tout ce qu’il y a de plus inso­lite, vivace et atta­chant, signé Lau­ra Lam­brus­co : Com­ment j’ai raté ma vie sexuelle.

Sur la cou­ver­ture, des jolies cou­leurs, et le sym­bole par excel­lence d’une approche décom­plexée du plai­sir fémi­nin, épa­noui et plei­ne­ment assu­mé, un petit canard jaune des plus enga­geants, tel qu’il a été ren­du célèbre par la série culte Sex and the City, tout frin­gant comme s’il sor­tait tout droit d’entre les cuisses de Saman­tha Jones ou de Car­rie Brad­shaw, tou­jours empreint d’un déli­cieux par­fum fémi­nin. Ensuite, aucune sur­prise, Lau­ra Lam­brus­co parle (ou plu­tôt : fait par­ler sa nar­ra­trice qui, pour rendre les choses moins faciles, porte le même nom que l’au­trice), et dès le pre­mier cha­pitre, de sexe. Et au lieu de tour­ner autour du pot, elle fonce dans le tas. Parce qu’il ne s’a­git pas ici, et l’au­trice prend soin de le faire com­prendre, d’en­chaî­ner des petites his­toires de peu de consé­quence, non, elle sort tout de suite le gros calibre pour par­ler frus­tra­tion, vio­lence sexuelle, véna­li­té, mora­li­té, tout ça, tout ça, et bien plus encore. Comme par exemple la notion de – beau­té. On peut main­te­nant dis­cu­ter pen­dant de longues heures de ce qu’est la beau­té, du concept tel qu’il se construit dans les dif­fé­rentes socié­tés, au fil des siècles. Ou on peut illus­trer la ques­tion, ébau­chée par l’au­trice en quelques phrases, par un beau sui­cide sur­ve­nu au bout d’à peine quelques pages. Plein dans le tas, vous avez été aver­tis… De quoi cal­mer les ardeurs. Et de quoi illus­trer la verve et le savoir-faire d’une autrice qui arrive à rendre, en quelques phrases, comme en pas­sant, le poids d’une vie entière, avec ses aspi­ra­tions, ses échecs, ses ins­tants de joie, son ter­mi­nus, et le silence qui entoure, qui étouffe, ce départ. Et tout ça avec un voca­bu­laire et un phra­sé loin de tout reproche, loin des doigts levés et des moues phi­losphes régu­liè­re­ment arbo­rées dans des émis­sions bidons de la télé copieu­se­ment peu­plées d’experts.

À lire :
Pierre Dupuis, Notaire le jour, escort girl la nuit

On peut dire que cela tranche sur l’i­dée véhi­cu­lée par ce si joli canard. Et pour­tant, les délices du corps fémi­nin, le charme des amours saphiques, les tur­lutes et les encu­lages, tout ça y est aus­si, et évo­qués avec un sou­rire – par­fois, il est vrai, bien en coin – mais pour­tant des plus enga­geants. Un exemple ? Avec plai­sir ! Voi­ci une auto-des­crip­tion de la narratrice :

Moi ! Belle comme un foie de veau avec mes 25 ans, […] jeune et fraîche, les seins en obus avec des tétons fré­tillants comme des lar­dons dans la poêle, un cul de  para­dis et une moule baveuse, tou­jours d’ac­cord et dis­po­nible pour lui man­ger la Kna­cki et me faire four­rer sous toutes les cou­tures, patiente et atten­tion­née, rien que du bon ! (Cha­pitre 4. Encore une chi­corne dans la gueule à la beauté)

Ça vous fait sali­ver, non ? Et puis, on croit voir trem­bler un sou­rire sur les lèvres de la nar­ra­trice, un sou­rire d’au­to-déri­sion, un sou­rire qui illustre la condi­tion humaine, un gage de l’hu­ma­ni­té pro­fon­dé­ment res­sen­tie de la nar­ra­trice – sauf qu’elle y res­sort dans les ins­tants qui font tout sauf – sou­rire. Parce que Lau­ra (n’ou­blions pas que la nar­ra­trice a ten­dance à se confondre avec l’au­trice) se trouve sou­vent dans des situa­tions glauques. Je dirais même, de plus en plus glauques. Des situa­tions qu’il faut d’a­bord savoir déchif­frer, com­prendre. Au début, on se pose encore des ques­tion, genre, « Est-ce bien sérieux, tout ça ? », ensuite on se dit que celle-là a quand même le chic pour se four­rer dans des situa­tions bien par­ti­cu­lières, et on attend le franc rire qui va libé­rer les ten­sions, qui va nous faire reve­nir dans un monde où tout y est beau et où tous y sont gen­tils. Et bien, non, hors de ques­tion de faire croire à qui que ce soit qu’il peut y avoir un monde où les pro­blèmes puissent se résoudre. Atten­dez un peu la suite des aven­tures de Lau­ra, le cha­pitre sur­tout où elle chope « le virus des putes » [1]Cha­pitre 10, « L’argent, source de tous les vices, bis », un virus des plus puis­sants qui la pousse dehors, à la recherche de fré­quen­ta­tions inavouables, une recherche qui la révè­le­ra à elle-même et qui la lais­se­ra dans un face à face bien lamen­table avec la grande faucheuse.

Mais quel talent quand même que celui qui, mine de rien, en affi­chant un sou­rire des plus enga­geants, fait péné­trer le lec­teur dans un bar sor­dide où Lau­ra tra­vaille comme « entraî­neuse » pour plu­mer le cha­land, et de le sou­mettre au moindre de ses grés en pre­nant un ton qui fait croire, de par les inter­ven­tions de la nar­ra­trice dont la voix semble venir d’un off où on l’i­ma­gine confor­ta­ble­ment ins­tal­lée dans un fau­teuil en train de siro­ter un whis­ky et de com­men­ter les bali­vernes des per­son­nages, un ton donc qui fait croire ce même lec­teur à un épi­sode comique, quand il s’a­git en véri­té de peu­pler une scène déso­lante d’êtres humains en détresse… quand il s’a­git de déga­ger, sous les rides et la peau flasque, la beau­té des corps usés. Qui, fina­le­ment, se trouve ailleurs que là où l’on aurait pu l’imaginer…

À lire :
Ji Bocis, La serveuse nue (Rita)

Cher lec­teur, vous n’êtes pas au bout de vos peines, ni la nar­ra­trice non plus d’ailleurs, et il vous reste du che­min à par­cou­rir avant de débar­quer, en même temps que Lau­ra – qui, pour l’oc­ca­sion, prend des allures de Can­dide – dans sa mai­son déla­brée dans le sud de la France, en pleine cam­pagne, où, munie d’une moto­bi­neuse et de toutes sortes d’outil,

[elle] apprend patiem­ment à faire pous­ser les tomates et les carottes et à sup­por­ter les assauts de la pié­ride du choux… [2]Cha­pitre 14, les meilleures choses ont une fin, les pires rare­ment

Je vous laisse donc décou­vrir ce texte excellent, éton­nant, un texte auquel je sou­haite de trou­ver un maxi­mum de lec­teurs. Un tel nombre, au fait, que l’é­di­trice – une per­sonne, pour me ser­vir des mots de la nar­ra­trice, « abso­lu­ment cra­quante, avec un sou­rire à se cou­per un bras pour y avoir droit et des yeux de velours et faite au moule » [3]Cha­pitre 14. les meilleures choses ont une fin, les pires rare­ment – qu’elle finisse donc par se ser­vir de ces mêmes charmes pour convaincre cette chère Lau­ra de se remettre à l’écriture.

Avant de vous lais­ser pour de bon, un tout petit mot à pro­pos de l’é­di­teur, ACT Édi­tions, une toute petite struc­ture avec à son actif une poi­gnée de textes. Trois choses à constater :

  • L’édi­trice est effec­ti­ve­ment « craquante »
  • Nulle trace du texte de Lau­ra sur le site entier, une absence qui me semble assez bizarre et devrait être répa­rée sans tarder
  • D’autres tré­sors y attendent d’être arra­chés aux pro­fon­deurs du site !

Sur ce, je vous sou­haite « Bon voyage ! »

Lau­ra Lam­brus­co
Com­ment j’ai raté ma vie sexuelle
ACT Édi­tions
ISBN : 9791091599115

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Cha­pitre 10, « L’argent, source de tous les vices, bis »
2 Cha­pitre 14, les meilleures choses ont une fin, les pires rarement
3 Cha­pitre 14. les meilleures choses ont une fin, les pires rarement
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

2 réponses à “Lau­ra Lam­brus­co, Com­ment j’ai raté ma vie sexuelle”

  1. Je n’ai pas encore lu ce roman, mais cette des­crip­tion m’en a don­né l’en­vie. Ver­dict dans quelques semaines (mois ?). En atten­dant, les quelques extraits, et le ton m’ont furieu­se­ment fait pen­ser au film d’Em­ma­nuelle Ber­cot, « mes chères études ». Glauque à sou­hait, là aus­si, mais tel­le­ment « vrai » qu’il en ferait peut. Un film qui m’a lais­sé vrai­ment mal à l’aise.

    1. Content je suis de vous avoir fait décou­vrir ce texte :-) ! Et j’ai hâte de connaître votre avis …