Pour les habitués de la Bauge littéraire, Ji Bocis [1]Je recommande la visite du site de l’autrice, remarquable par la mise en scène d’un érotisme raffiné. n’est pas une inconnue, l’autrice [2]Il me semble avoir compris qu’il s’agit d’une femme, réalisation pas toujours donnée avec les noms de plume volontiers ambigus. ayant déjà participé à l’édition 2016 des Lectures estivales avec Jardin secret et sa délicieuse héroïne, Clara. Cette fois-ci, elle sort du buisson (petit souvenir de l’exubérante toison de Clara) avec un nouveau texte, Nell ou Ambre, sorte de roman dont certains chapitres – parfois assez librement reliés entre eux par la présence des mêmes protagonistes et celle d’un maître-fesseur au nom bizarre qui me rappelle constamment celui d’un toutou – pourraient passer pour des nouvelles à part entière.
Nell et Ambre, ce sont deux femmes assez jeunes encore – le début de la trentaine – deux amies aux attitudes et au physique assez différents :
« Ambre, la brune noir de jais à la peau si blanche, et de l’autre toi Nell, la douce blonde à la gerbe d’or » [3]Ji Bocis, Nell ou Ambre, Soirée impromptue
Si Ambre est toujours prête à se lancer dans les bras accueillants des mâles croisés sur sa route, Nell, jeune maman, est bien plus réticente, ce qui ne veut pas dire qu’elle fuit le plaisir, bien au contraire, même si sa sexualité est quelque peu unidimensionnelle et s’épanouit exclusivement entre les bras de son mari. C’est ainsi que, au départ, Nell vit un peu par procuration, à travers les expériences de sa copine, que ce soit en se masturbant dans son lit conjugal, l’imagination emportée par un halètement qui la conduit à imaginer son amie engagée dans une partie de jambes en l’air, que ce soit en tant que voyeuse, fascinée par le spectacle porno offert par Ambre en train de se faire enfiler en pleine nature, aux abords du camping naturiste ou les deux copines passent leurs vacances ensemble. Et c’est peu après que le légendaire Waldo est pour la première fois évoqué, le Maître « à qui [Ambre] obéi[t] corps et âme. » [4]Nell ou Ambre, Au camping Depuis cet aveu de la part de sa copine, on imagine Nell en proie à la pire et en même temps la plus délicieuse des tentations, celle de pouvoir enfin échapper à ses inhibitions, de pouvoir se lancer à son tour dans toutes les aventures, en abandonnant sa volonté entre les mains d’un maître, acte qui lui permettrait de se dédouaner de tout reproche en s’abritant derrière la volonté d’un autre. Une approche troublante, en effet.
Mais la suite de ses aventures révèle au lecteur que Nell n’a finalement pas besoin de la présence d’un maître – fesseur ou autre – pour se libérer. Parce que, de retour des vacances naturistes, elle enchaîne les galipettes en profitant des hommes que le hasard met sur sa route : Aldric, le collègue farouchement baisé dans la fougue de l’instant dans un Formule 1, Arnold, l’amour de jeunesse, Lucien, poète normand doublé d’une sorte de Satyre aquatique guettant les femmes au bord des fontaines et des lacs. Un trait commun à ces trois épisodes, c’est la confrontation avec sa propre nudité, concédée presque malgré elle dans le cas d’Aldric, et conquise par les deux autres hommes qui profitent de la sensualité qu’ils sentent remuer au fond des entrailles de la jeune femme, prête à l’incendier et à consumer la femme sage et rangée. Ce sont ces trois épisodes qui constituent, pour moi, l’essentiel de ce texte, des épisodes où le lecteur assiste à la libération par la sensualité d’une femme qui ne refuse plus son plaisir. Et le tout porte le sceau de l’authenticité par le combat que Nell se livre à elle-même, à la personne telle qu’elle a été forgée à travers l’éducation et la conformité aux rôles proposés endossés. Et puis, il y a de belles trouvailles dans ces chapitres, comme cette phrase presque crachée à la gueule du collègue quand celui-ci la découvre nue, en sortant de la douche :
« C’est ce que tu voulais, n’est-ce pas ? Je ne me suis pas lavée depuis hier matin, c’est à prendre ou à laisser » [5]Nell ou Ambre, Formule 1
Ou encore cette étrange façon de Julien de mettre Nell au diapason de la nature normande qui l’entoure et l’enferme dans un tête à tête qui ne connaît qu’une seule issue :
— La traite ! te glissa-t-il dans un chuchotement.
— La traite ? répondis-tu, l’air absent.
Lucien se leva, empoigna tes hanches et te plaça à quatre pattes, la croupe face à l’eau stagnante. Il t’enjamba comme s’il s’asseyait sur ton dos et se mit à tirer tes mamelles puis à les presser consciencieusement du haut vers le bas, puis latéralement l’une contre l’autre. Un rien abrupte au début, la traite prenait une tournure sensuelle.
On constate que l’autrice ne se prive de rien, au même titre qu’elle n’épargne à son héroïne aucun plaisir capable de la faire sortir de son armure. Et celle-ci s’épanouit sous les gestes des mâles, sous les fantasmes qu’elle voit s’animer autour d’elle, sous les coups de langue et de bite que ses partenaires lui administrent.
Une fois passée à travers ces épisodes initiatiques, Nell est prête pour sa rencontre avec Waldo qui lui fera connaître les plaisirs des aveux coupables et de la fessée rédemptrice. Si, à titre personnel, je ne trouve pas le moindre intérêt à voir les textes érotiques envahis par des légions de soumises et des cortèges de flagellants à la recherche du Graal d’un désir épanoui par la douleur, je dois concéder à Ji Bocis qu’elle a trouvé le spin nécessaire pour conférer à cette pulsion à se « dévicier » par la punition corporelle – avec tout ce que cette notion chavire de nostalgie d’un retour à l’enfance avec ses corrections – un intérêt certain, surtout par la nécessité – et la tentation – de la prostitution à laquelle Nell se voit bientôt réduite suite à la multiplication de son recours aux sessions tarifées de Maître Waldo qui la fait payer cher pour le plaisir de pouvoir ensuite librement céder aux tentations et d’assumer ses désirs.
Je ne vais pas vous révéler la chute de l’histoire, sachez seulement que les interventions de Waldo apprendront aux deux femmes que leurs relations sont bien plus compliquées que ce qu’elles imaginaient.
Je ne regrette pas d’avoir finalement cédé aux assauts répétés de l’autrice et d’avoir accepté de lire un texte dont le sujet, dans un premier temps, ne m’avait pas tenté plus que ça. Je l’ai déjà dit, les histoires de maîtres avec à leurs bottes des cortèges de soumises, très peu pour moi, mais l’histoire de ces deux amies contient des pages lourdes d’une belle sensualité et va bien au-delà de l’obsession 50 shades omniprésente qui remplit les caisses des libraires et tient en haleine les éditeurs soucieux de se faire des sous et les auteurs avides de se voir imprimés.
Si je vous invite, lectrice, lecteur à découvrir l’univers de Nell et d’Ambre, ces deux amies indécentes, je voudrais quand même aussi vous mettre en garde, Ji Bocis ayant choisi pour la narration la deuxième personne, ce qui demande un certain effort au lecteur qui n’a vraiment pas l’habitude d’entendre la voix narrative interpeller les personnages à chaque instant. Ce procédé introduit – en faisant sortir de l’ombre le narrateur – dans le récit un personnage supplémentaire et crée une sorte d’intimité entre celui-ci et les personnages, comme si l’histoire se poursuivait ailleurs, à l’abri des yeux trop curieux, ce qui donne l’impression au lecteur d’être laissé sur sa faim, de ne pas être à la hauteur de ce qui se passe, d’être exclu de l’essentiel. Est-ce là l’idée ayant présidé au choix de ce mode de narration très peu répandue ? D’inculquer au lecteur qu’il y a toujours quelque chose qui lui échappe, une dimension supplémentaire, et que le mystère ne sera jamais entièrement percé ? À vous donc de vous faire une idée.
Ji Bocis
Nell ou Ambre
auto-édition
Références
↑1 | Je recommande la visite du site de l’autrice, remarquable par la mise en scène d’un érotisme raffiné. |
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↑2 | Il me semble avoir compris qu’il s’agit d’une femme, réalisation pas toujours donnée avec les noms de plume volontiers ambigus. |
↑3 | Ji Bocis, Nell ou Ambre, Soirée impromptue |
↑4 | Nell ou Ambre, Au camping |
↑5 | Nell ou Ambre, Formule 1 |