Il y a de ces livres qu’on rumine encore longtemps après les avoir lus. On ferme ses yeux, et leurs personnages surgissent de nulle part, vous dévisagent et vous invitent à les suivre dans un monde imaginaire – imaginé – plus vrai que nature. Ce sont ces livres-là pour lesquels on se bat volontiers et sans relâche. Les Folles de la Nationale 4, la saga lorraine d’Hervé Fuchs, en fait partie, et si, chers lecteurs, chères lectrices, vous me faites un tant soit peu confiance, si mes articles vous ont déjà inspiré la moindre réflexion, ne fût-ce qu’une seule petite fois, je vous invite à vous embarquer dans un voyage sur les chapeaux de roues, à travers les paysages lorrains, sur ses routes tour à tour brûlées par le soleil et gercées par un froid abominable, repère de terroristes, de bûcherons sortis d’autres âges à la lisière de l’humain et de toute une population étrangement familière dans ses habitudes et en même temps comme décalée par rapport au monde que fréquente la lectrice confortablement installée dans son fauteuil, penchée sur sa liseuse, quelque part en Île de France, à proximité de cette grande capitale au quotidien soudainement devenu si rassurant.




Hervé Fuchs nous emmène dans un monde en marge. Cette marginalité est le propre de la Lorraine elle-même, pas tout à fait la France, ni tout à fait autre chose, retranchée derrière le massif de ses Vosges, et dont la nature et l’histoire offrent des abris où pullule une faune peu rassurante. Mais Fuchs défie cette marginalité et place ses personnages au milieu des conflits sociaux des années 70 qui ont façonné le dernier quart du XXe siècle et dont les échos ont franchi le seuil du nouveau millénaire. Le terrorisme de la Fraction de l’Armée Rouge allemande, les relents du régime phalangiste de Franco, la restructuration de l’économie mondiale, tout cela se retrouve dans les cinq volumes de l’épopée d’une Lorraine en travaux. Et au drame politique et social s’ajoute celui de l’humain, vécu par les protagonistes que Fuchs chasse impitoyablement à travers ses campagnes et ses villes et qui touchent aux figures mythiques que sont devenues Thelma et Louise dans leur quête d’une liberté inconditionnelle, ou plus encore Bonnie et Clyde qui ont appris à la modernité horrifiée que la violence aussi peut être une solution.
Et pourtant, en dépit de la violence sanguinaire, la beauté aussi fait partie de cet univers-là, et c’est le défi qu’elle leur crache à la figure qui fait vibrer ceux qui osent y plonger. Mais elle passera sans doute inaperçue de l’intelligentsia germano-pratine qui ne saura jamais qu’autour de ses pieds de géants grouille une faune qui échappe aux regards qui se perdent dans les brumes d’un monde vu de trop haut et de trop loin, et qui restera éternellement sans connaître la beauté qui existe là où ils ne daignent pas errer.
Hervé Fuchs
Le rapt du fils Janel
Les Folles de la Nationale 4, tome 2
ISBN : 978–2 95371−342−8