En-tête de la Bauge littéraire

Her­vé Fuchs, Les Folles de la Natio­nale 4.

« Tout ce monde est sor­ti du creux de sa cervelle. »
Robert Des­nos, La ville

Les Folles de la N4, Louise

Terre de folie, la Lor­raine ? Oh que oui ! Après celle, guer­rière, de la Pucelle et du Grand Géné­ral, assez fous tous les deux pour s’op­po­ser à l’é­vi­dence de la défaite, et celle, polé­miste et natio­na­liste, du chantre du « moi » et de la « terre sacrée », elle inves­tit, cette fois-ci, la lit­té­ra­ture et puise une telle éner­gie à même le relief tor­tu­ré d’une région labou­rée par le glaive que les pages du roman d’Her­vé Fuchs s’en mettent à vibrer entre les mains du lec­teur ; des pages où se débattent déses­pé­ré­ment les per­son­nages de cette Saga de la Route pour échap­per à la main de fer de celui qui a réus­si à les y emprisonner.

Ce déses­poir, ce com­bat, se tra­duit, d’un bout à l’autre de ce roman de la Folie, par une vio­lence inouïe, que ce soit celle du soleil qui se fait un malin plai­sir de cogner sur les nau­fra­gés de la route dont le cor­tège se traîne à tra­vers une cam­pagne luxu­riante ; celle des bûche­rons, noueux et char­nus comme les racines que poussent les arbres cen­te­naires dans leur com­bat achar­né contre le sol rocheux, sor­tis de leur forêt natale pour mener à bout leur revanche ; celle des assas­sins espa­gnols qui y retrouvent la cha­leur démente de leur foyer ; ou celle encore de la blanche Marthe, la plus tou­chante de toutes, qui s’a­grippe à son fusil à canon scié comme à la paille qui l’empêche, pen­dant un temps, de som­brer dans le tour­billon qui l’emmènera loin, si loin, de celle qu’elle aime.

Cette vio­lence qui mène la danse macabre de tous ces fous, elle guette par­tout, que ce soit dans le micro­cosme de la famille de la Vega où l’in­ceste fait des enne­mies mor­telles du père et du fils dans leur lutte pour l’a­mour de Car­lot­ta, fille et sœur trop frêle pour faire le poids dans le monde déjan­té où elle est for­cée d’évoluer, que ce soit dans le macro­cosme des socié­tés de l’Eu­rope après-guerre où les mou­ve­ments ter­ro­ristes s’ap­prêtent à faire explo­ser la suf­fi­sance et la fatui­té héri­tées d’un bien-être maté­riel trop facile.

Au milieu de tout ça, Fuchs a pla­cé un couple, clas­sique, for­mé par Joseph, garde du corps, et Car­lot­ta, fille d’un pha­lan­giste tra­fi­quant d’armes. Celui-ci  cherche sa place au seuil d’un monde où il a per­du, après la mort de Fran­co, ses amarres jus­qu’à ce qu’une mer hou­leuse le fasse échouer en face de la gare de Stras­bourg où il devient l’au­teur et le témoin impuis­sant du plus grand coup de vio­lence ima­gi­nable, à la hau­teur de ceux que racontent les mythes grecs. Pen­dant que De la Vega se dresse devant le mal­heur, debout et pâle, le lec­teur se rend compte qu’il assiste à l’ef­fon­dre­ment de celui qui est arri­vé au but de sa vie, et dont les quelques années qui lui res­tent seront désor­mais vouées à voir fina­le­ment arri­ver les Éri­nyes, ces oiseux de mal­heur, qu’on ima­gine per­chées sur les arcs-bou­tants et sur les gar­gouilles de la cathé­drale de Stras­bourg qu’elle souillent de leurs défec­tions, impa­tientes de fon­cer sur leur proie dont elles flairent la peur qui déli­cieu­se­ment monte le long de leurs narines.

Dans un monde obs­cur­ci par la vio­lence et la peur au point de suf­fo­quer, il reste pour­tant un brin de ten­dresse, et c’est pré­ci­sé­ment quand l’au­teur ins­crit cette infime pré­sence de quelques lignes indé­lé­biles dans l’i­ma­gi­na­tion de ses lec­teurs qu’on se rend compte de toute la maî­trise d’Her­vé Fuchs qui manie la palette aux cou­leurs du zéphyr avec la même faci­li­té que celle de l’ou­ra­gan qui, à grands coups de cou­teau, menace de déchi­rer la toile.

On se demande à quoi peut res­sem­bler un cer­veau han­té par de tels per­son­nages. Ou com­ment l’au­teur a pu conce­voir ne fût-ce que l’i­dée de confi­ner ceux-ci entre les cou­ver­tures d’un livre. Parce que tout ce monde qu’on croise sans cesse sur les routes de l’Est de la France est mû par une telle éner­gie qu’on ne s’é­tonne pas de voir tout ce manège lâché dans la nature. On referme le livre ? Ils conti­nuent à han­ter l’u­ni­vers de celui qui a eu le bon­heur de tou­cher aux pages conta­gieuses de ce mer­veilleux roman.

Her­vé Fuchs, Les Folles de la Natio­nale 4
Édi­tion papier aux Édi­tions Stu­dio Ima­gi­nons
304 pages
ISBN-13 : 978−2−95371−340−4

Édi­tion numé­rique (Kindle)

Rem. : Tous les des­sins sont © Her­vé Fuchs