En-tête de la Bauge littéraire

Quand le pou­lailler est infes­té par une mémé flin­gueuse qui arron­dit ses fins de mois en taillant des pipes aux habi­tués des lieux, quand un flic se change en tra­ve­lo la nuit et pro­fite de l’oc­ca­sion pour raco­ler son supé­rieur, et quand les per­son­nages de contes de fée prennent vie dans une véri­table orgie de vio­lence, il n’y a pas à s’y méprendre – on se trouve dans l’u­ni­vers enchan­té (cer­tains diraient « mau­dit ») du der­nier polar de Nadine Mon­fils, La Petite Fêlée aux allu­mettes.

Avec Nadine Mon­fils, qui compte à son actif un nombre impres­sion­nant de publi­ca­tions dans les domaines les plus divers (lit­té­ra­ture, théâtre, ciné­ma), c’est l’en­trée en scène des décors de contes de fée, des petites filles dévo­rées par le loup (Cha­pe­ron Rouge), au cœur arra­ché (Blanche-Neige) et aux yeux cre­vés (Petit Pou­cet), ou encore des Mar­quis de Cara­bas aux noms abra­ca­da­brants ayant tro­qué l’am­biance des palais enchan­tés contre les ténèbres d’une chambre déla­brée dans une mai­son en ruines.

Et puis, c’est aus­si la Bel­gique des Magritte, Del­vaux, Spilliaert et autres peintres sur­réa­listes dont les tableaux se seraient ouverts pour faire jaillir les hommes aux cha­peaux boules qui désor­mais entrent libre­ment dans les mai­sons des mori­bonds ; la Bel­gique des dunes de la Mer du Nord aus­si, avec ses bandes de sable inter­mi­nables que ponc­tuent les cara­vanes, où l’on marche sur des raviers à moi­tié enfouis et où se consomment des moules frites qu’on fait des­cendre à l’aide d’une grosse gor­gée de whis­ky pui­sée à même le gou­lot. Celles-là même où des mémères en rut (encore !), plan­quées der­rière des touffes d’herbes, des­cendent les com­pagnes de jeu de leurs proies, à l’a­bri des regards curieux qui grouillent au fond des vitres. Des vitres trans­for­més elles-mêmes en yeux qui enguir­landent les mornes façades des ran­gées de buil­dings – tout aus­si inter­mi­nables que les plages – contem­plant, sans jamais cil­ler, le néant qui s’é­tend à perte de vue.

La Foire du Livre de Bruxelles, Nadine Monfils
Nadine Mon­fils à la Foire du Livre de Bruxelles, le 1 Mars 2012

Nadine Mon­fils, on l’au­ra devi­né, n’est pas un auteur comme les autres, et le monde qui se fer­mente dans ses méninges ne res­semble en rien à celui que nous fré­quen­tons, cher lec­teur, toi et moi. Ses per­son­nages sont des soli­taires qui traînent leurs bulles de vie à tra­vers la gri­saille de jour­nées sans soleil, aux bords d’un gouffre dont les glis­sières sont aux abon­nés absents, fati­gués de trim­bal­ler le poids de leur chairs vieillis­santes et de leur consciences sur­char­gées. Ceci est vrai pour les habi­tants de Pan­dore, cette ville bien-nom­mée qui, telle une boîte aux parois de plombs, recèle tous les maux, et dont on se demande où diable est pas­sée la beau­té de celle qui fut char­gée par les dieux d’y appor­ter le mal. Mais c’est vrai aus­si pour les hommes et les femmes qui hantent les nuits retrous­sées de sa Venise non moins légen­daire et s’y perdent, la nuit, dans les cime­tières, les églises et les ruines dont, par­fois, ils ne sortent plus.

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Il y a des fois où l’on aime­rait pou­voir jeter un coup d’œil dans la tête qui couve un monde aus­si déjan­té, et c’est pour cela que j’ai sau­té sur l’oc­ca­sion qui s’est pré­sen­tée grâce à la pré­sence de Mme Mon­fils à la Foire de Bruxelles où elle a par­ti­ci­pé à un débat avec Auré­lia Auri­ta sur le thème du « Corps sans com­plexe » (un grand mer­ci à Anny Pou­ghon, l’at­ta­chée de presse des Édi­tions Bel­fond, qui s’est char­gée des arrangements).

J’y ai ren­con­tré une femme tout à fait à l’aise au milieu de la four­mi­lière à laquelle res­semble chaque foire qui se res­pecte, une femme vivant avec l’é­cri­ture une pas­sion qui visi­ble­ment ne lui pèse pas et qui porte ses his­toires à fleur de peau. Des his­toires dont elle se sert pour rap­pe­ler aux adultes les contes de fée de leur enfance, leur per­met­tant d’y por­ter un autre regard et de décou­vrir, sous la sur­face aux cou­leurs bario­lées d’une jolie his­toire, un récit empreint d’i­né­nar­rables pro­fon­deurs où, à la manière des pou­pées russes, se cachent tant de choses …  Ouverte aux sono­ri­tés qui char­rient des mondes entiers, Nadine se laisse ber­cer par les sons des noms propres dont on ne sait pas si leur énigme déteint sur le monde, ou si c’est le monde qui leur confère la sienne. Et c’est jus­te­ment là le propre de son écri­ture, de nous faire sen­tir les trem­ble­ments secrets qui rongent les fon­de­ments des mondes, de n’im­porte quel monde, et qui se tra­duisent par la beau­té conta­mi­née des récits que nous enten­dons réson­ner dans les airs. Magi­cienne tou­jours à l’af­fût, elle ouvre à peine la bouche et les pages vierges se couvrent de traits à peine lisibles sous la force géni­trice de ses incan­ta­tions. Et on voit s’y des­si­ner, dans le vide conju­ré, comme une toile de Magritte aux contours estom­pés dont seul le cha­peau boule prend un relief de plus en plus clair.

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Si main­te­nant, ô lec­teur, tu es per­du devant une telle force évo­ca­trice, sache que la bel­gi­tude de cet auteur est tou­jours prête à venir à ta res­cousse, en admi­nis­trant à ses per­son­nages les plus sinistres et à ses scènes les plus insup­por­tables, une forte dose de déri­sion, de sur­réa­lisme et d’hu­mour, des vac­cins effi­caces contre ceux qui se prennent par trop au sérieux.

Est-ce que, avec tout ça, il importe encore de connaître le dénoue­ment des intrigues ? Bien sûr, mais, contrai­re­ment aux conclu­sions qui éclatent sous la gueule des lec­teurs en les écla­bous­sant de toutes sortes d’or­dures, les récits de Nadine Mon­fils se ter­minent en dou­ceur, en chu­cho­tant, et celui qui en émerge aura été le témoin de la façon dont, un jour, le monde se ter­mi­ne­ra : « not with a bang, but a whim­per » [1]Cette ligne est évi­dem­ment tirée du poème extra­or­di­naire The Hol­low Men, par un des meilleurs poètes de son époque, T. S. Eliot. Poète qui a ins­pi­ré un cer­tain couple, dans le cha­pitre … Conti­nue rea­ding

Nadine Mon­fils
La Petite Fêlée aux allu­mettes
Édi­tions Bel­fond
ISBN : 978−2−71445−249−8

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Cette ligne est évi­dem­ment tirée du poème extra­or­di­naire The Hol­low Men, par un des meilleurs poètes de son époque, T. S. Eliot. Poète qui a ins­pi­ré un cer­tain couple, dans le cha­pitre bien nom­mé de l’A­ven­ture de Natha­lie.

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