Gio­van­na Casot­to, Oh ! Giovanna !

Giovanna Casotto. Crédits photographiques :  David Zellaby (CC BY-NC-ND 2.0)
Gio­van­na Casot­to. Cré­dits pho­to­gra­phiques : David Zel­la­by (CC BY-NC-ND 2.0)

Il est quand même rare de tom­ber, dès le début de la rédac­tion d’un article consa­cré à une artiste contem­po­raine, sur des liens qui ne se consultent plus qu’à tra­vers la Way­back-Machine, un grand nombre des sites ori­gi­naux ayant déjà dis­pa­rus de la toile. Aler­té, je me suis plon­gé sur les publi­ca­tions récentes de la des­si­na­trice en ques­tion et sur ses prises de parole sur les réseaux sociaux – dans la mesure où j’y ai accès – et j’ai dû consta­ter qu’il s’est fait un grand silence autour de Gio­van­na Casot­to. Sur son pro­file Ins­ta­gram, la der­nière publi­ca­tion date du 5 octobre 2018, les sites dédiés à la vente de ses des­sins ont dis­pa­rus[1]Il y a tou­jours moyen de les consul­ter à tra­vers la Way­back Machine, ce que je vous conseille très cha­leu­reu­se­ment de faire vu qu’il y a encore de belles décou­vertes à y faire : Le Gio­van­na … Conti­nue rea­ding, et s’il y a eu une expo­si­tion au Musée WOW de Milan qui lui était dédiée en 2014 – Il pun­to C -, la liste de ses publi­ca­tions semble désor­mais close, et on risque de la trou­ver plus faci­le­ment sur les sites d’en­chères en ligne que dans les nou­veau­tés des libraires. Avec tout ça, j’ai par­fois eu l’im­pres­sion d’être occu­pé à faire des recherches de phi­lo­logue plu­tôt que de sim­ple­ment par­ler d’une artiste, de ses œuvres et des impres­sions qui se sont déga­gées de mes éditeurs.

Tout cela étant dit, j’ai quand même déci­dé de gar­der le début ini­tial de mon article sauf que, au lieu de dire : « Est-ce qu’il faut encore pré­sen­ter Gio­van­na Casot­to ? », on serait ten­té de refor­mu­ler en : « Est-ce qu’il est temps de redé­cou­vrir Gio­van­na Casot­to ? » Je n’i­rais pas aus­si loin, l’ar­tiste étant tou­jours bien pré­sente dans les cata­logues, même si on peut avoir l’im­pres­sion que son œuvre est aujourd’­hui bien plus facile d’ac­cès en France que dans sa patrie. Mais comme Gio­van­na fait par­tie de ces artistes qu’on redé­couvre avec un plai­sir tou­jours renou­ve­lé et que son ins­pi­ra­tion est de toute façon très vin­tage et donc très peu lié à une cer­taine époque, ses des­sins ne pas­se­ront pas de mode de sitôt. Et puis, ayant appris que la Musar­dine pré­pare la sor­tie, en sep­tembre 2020, d’un art­book Casot­to de 300 pages, avec des pin-up et des pho­tos d’elle[2]Gio­van­na a aus­si été modèle de charme, et il est assez facile de retrou­ver des témoi­gnages de ce temps-là, par exemple sur le blog d’une de ses copines, Gise­la Scer­man., c’est sans doute le moment pour mettre l’eau à la bouche de celles et de ceux qui seraient pas­sés à côté d’une artiste qu’on a pour­tant pu qua­li­fier de « pre­mière des­si­na­trice éro­tique ita­lienne »[3]Dans l’ar­ticle de la Wiki­pe­dia fran­co­phone (consul­té le 23 mars 2020. ou qui auraient envie de plon­ger plus avant dans la vie et l’œuvre de la Casotto.

Quoi qu’il en soit, je suis sûr que n’im­porte quel ama­teur de bandes des­si­nées éro­tiques a au moins enten­du par­ler de celle qu’on pour­rait qua­li­fier de reine de l’au­to-por­no­gra­phie, tel­le­ment l’ar­tiste se place elle-même au milieu d’une grande par­tie de ses récits, au point de faire pen­ser à une séance d’ex­hi­bi­tion­nisme par BD inter­po­sée. Mais avec une artiste pareille, il ne suf­fit évi­dem­ment pas d’en avoir enten­du par­ler, il faut par contre se plon­ger dans ses planches, à la ren­contre de cette chair si super­be­ment des­si­née que le terme hyper-réa­liste, au point de faire res­sem­bler cer­taines pages à celles d’un roman-pho­to, semble presque trop faible pour décrire un style qui puise dans la vie, invi­tant à cro­quer, à tou­cher, à sou­pe­ser, à plon­ger entre les cuisses grandes ouvertes de cette femme, alter ego d’une des­si­na­trice qui met en scène sa propre per­sonne avec une verve et une force qui ne lais­se­ra per­sonne indif­fé­rent, noyant toute vel­léi­té de résis­tance sous un tsu­na­mi de désirs.

À lire :
Alberto del Mestre, Orient Sexpress - La Guérisseuse
Giovanna Casotto, Rôles. In : Oh ! Giovanna !, p. 16
« …au point de faire res­sem­bler cer­taines pages à celles d’un roman-pho­to ». Gio­van­na Casot­to, Rôles. In : Oh ! Gio­van­na !, p. 16

J’ai dit, dans le para­graphe pré­cé­dent, que son style pour­rait être qua­li­fié d” « hyper­réa­liste »[4]Gio­van­na Casot­to parle d’un « ren­du réa­liste maxi­mum » dans l’inter­view concé­dée à Ink en mai 2000. Dans son ita­lien natif elle parle de « ren­dere al mas­si­mo il rea­lis­mo », et, à contem­pler ses des­sins, on se pose effec­ti­ve­ment assez sou­vent la ques­tion de savoir si on se trouve bien devant un des­sin ou plu­tôt une pho­to­gra­phie ? Cette confu­sion s’ex­plique pour­tant faci­le­ment quand on connaît sa façon de pro­cé­der, expli­quée sur le site de la Comi­clo­pe­dia Lambiek :

To pro­duce her work, first either she or Fran­co [i.e. Sau­del­li] takes pho­to­graphs of her­self, then she draws them over in a rea­lis­tic style – so, in a way, she is an actress in her own sto­ries.[5]Gio­van­na Casot­to, article sur Lam­biek.

Le recueil que je vous pré­sente com­porte neuf récits. À la lec­ture – ou plu­tôt au vision­nage – on se rend très vite compte que la plu­part de ces récits se passe très bien de paroles, un grand nombre des phy­lac­tères étant consa­crés aux seuls bruits de la pas­sion, aux aha­ne­ments qui expriment l’ef­fort phy­sique de la copu­la­tion, aux cris de l’or­gasme qui approche et s’ac­com­plit. Et pour­quoi s’embarrasser de dia­logues quand l’in­trigue peut si bien se tra­duire en images ? Gio­van­na elle-même a trou­vé les bons mots pour le dire dans une inter­view de mai 2000 :

cre­do che la sto­ria sia un pre­tes­to, anche per­ché lo spa­zio per svi­lup­pare una sto­ria com­ples­sa non c’è. Quel­lo che conta­no, a mio parere, sono le imma­gi­ni.… [6]Inter­vis­ta a Gio­van­na Casot­to, inter­view publiée dans Ink n° 15, mai 2000, pro­pos recueillis par Vin­cen­zo Rauc­ci. Pour la tra­duc­tion fran­çaise, consul­ter Qui est vrai­ment Gio­van­na Casot­to ? … Conti­nue rea­ding

Une conscience très nette de la pré­do­mi­nance de l’i­mage que la des­si­na­trice répète quelques années plus tard, dans l’au­to-inter­view Gio­van­na Casot­to inter­vis­ta me stes­sa :

L’histoire est seule­ment un pré­texte pour des­si­ner. Dans mes bandes des­si­nées, les des­sins racontent par eux-mêmes. […] Le noir et blanc et les nuances de gris me suf­fisent pour tra­duire le côté char­nel des situa­tions. Je n’ai pas besoin d’histoire. Et puis, je n’ai pas de si grandes his­toires à racon­ter, mais seule­ment des sen­sa­tions à mettre en scène.[7]Qui est vrai­ment Gio­van­na Casot­to ? Entre­tiens, par­tie 1. Le texte peut aus­si se consul­ter dans la ver­sion ori­gi­nale ita­lienne.

Recon­naître la pri­mau­té de l’i­mage sur la parole ne veut pour­tant pas dire que l’in­trigue serait tota­le­ment ban­nie de ses his­toires. Il y en a bien au contraire cer­taines qui risquent de sur­prendre et qui étonnent par le choix du sujet, comme Lucy et Miss Dar­la, une de mes pré­fé­rées, qui ajoute à l’é­ro­tisme une bonne dose de fan­tas­tique. Et l’hu­mour n’est pas absente non plus du recueil, comme par exemple dans Dix secondes seule­ment, une his­toire dans laquelle Gio­van­na tord le cou à une des notions pré­con­çues les plus répan­dues à pro­pos de l’or­gasme féminin.

À lire :
Nina Marigny, Coïts dans les prés

Ves­tiges

À lire et relire ses inter­ven­tions, à contem­pler ses des­sins, on se demande pour­quoi cette artiste a pu déci­der de se taire. Pause créa­tive ? Ras le bol de devoir se jus­ti­fier pour ses choix artis­tiques ? Une autre inter­view, celle-ci datant de 2011 et reprise quatre ans plus tard par Dyna­mite, peut don­ner un début d’explication :

J’ai ralen­ti avec ma pro­duc­tion de bande des­si­née pour me consa­crer de plus en plus à la pho­to­gra­phie sans aban­don­ner, natu­rel­le­ment, l’esprit pin-up et le bur­lesque, aux­quels j’ai consa­cré mes der­nières publi­ca­tions.[8]Qui est vrai­ment Gio­van­na Casot­to ? Entre­tiens, par­tie 3

Et si ce ralen­tis­se­ment s’é­tait trans­for­mé en aban­don, la pause deve­nant une rup­ture ? Impos­sible de le dire, mais on peut tou­jours espé­rer que celle qui a fait un tel car­ton au début du mil­lé­naire décide de reve­nir sur la scène. Elle serait la bienvenue !

En atten­dant, je vous assure, en guise de conclu­sion, que faire des recherches à pro­pos de Gio­van­na Casot­to, c’est un peu comme un voyage tem­po­rel, un retour en arrière d’une décen­nie, au temps où le « Web 2.0 » fai­sait des ravages et où les inter­nautes rem­plis­saient les pages des blogs de leurs com­men­taires plus ou moins per­ti­nents. Sur un de ces blogs en ques­tion, celui de Gise­la Scer­man, une col­lègue / copine de Gio­van­na, les ama­teurs pour­ront admi­rer deux belles pho­tos prises à l’oc­ca­sion d’un tour­nage d’un clip BDSM : Gio­van­na Casot­to in bon­dage, article publié le 24 août 2006.

Et aux ani­ma­teurs du site BD-Adultes.com revient le mérite d’a­voir ras­sem­blé et publié en été 2015 une série de trois inter­views avec Gio­van­na Casot­to, des inter­views dont la plus ancienne date de mai 2000 et la plus récente de mai 2011, avec entre ces dates extrême l’é­tape impor­tante de l’Inter­view à moi-même en mai 2007. Ces inter­views ont toutes été tra­duites de l’i­ta­lien, et les ver­sions ori­gi­nales sont dif­fi­ciles voire impos­sible – celle de 2011 sur­tout – à trou­ver. Je vous invite donc à pro­fi­ter de cette belle ressource.

Tous les des­sins sont © Gio­van­na Casot­to et Édi­tions Dynamite.

Gio­van­na Casot­to
Oh ! Gio­van­na !
Édi­tions Dyna­mite
ISBN : 978−2−362340−37−6 (PDF)
ISBN : 978−2−362342−42−4 (EPUB)

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Il y a tou­jours moyen de les consul­ter à tra­vers la Way­back Machine, ce que je vous conseille très cha­leu­reu­se­ment de faire vu qu’il y a encore de belles décou­vertes à y faire : Le Gio­van­na Casot­to Art­work Store et la même bou­tique sous le titre Gio­van­na Casot­to offi­cial web­site & Ori­gi­nal Art­work Store, tous les deux dans le giron de Red Sec­tor Art.
2 Gio­van­na a aus­si été modèle de charme, et il est assez facile de retrou­ver des témoi­gnages de ce temps-là, par exemple sur le blog d’une de ses copines, Gise­la Scer­man.
3 Dans l’ar­ticle de la Wiki­pe­dia fran­co­phone (consul­té le 23 mars 2020.
4 Gio­van­na Casot­to parle d’un « ren­du réa­liste maxi­mum » dans l’inter­view concé­dée à Ink en mai 2000. Dans son ita­lien natif elle parle de « ren­dere al mas­si­mo il realismo »
5 Gio­van­na Casot­to, article sur Lam­biek.
6 Inter­vis­ta a Gio­van­na Casot­to, inter­view publiée dans Ink n° 15, mai 2000, pro­pos recueillis par Vin­cen­zo Rauc­ci. Pour la tra­duc­tion fran­çaise, consul­ter Qui est vrai­ment Gio­van­na Casot­to ? Entre­tiens, par­tie 2.
7 Qui est vrai­ment Gio­van­na Casot­to ? Entre­tiens, par­tie 1. Le texte peut aus­si se consul­ter dans la ver­sion ori­gi­nale italienne.
8 Qui est vrai­ment Gio­van­na Casot­to ? Entre­tiens, par­tie 3
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

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