Adore, de Chloé Saffy (initialement publié sous le pseudonyme Dahlia) est un petit roman, paru en 2009 dans la collection M@nuscrit des Éditions Léo Scheer. À force de faire des recherches autour de ce texte et de son autrice, on ne peut s’empêcher de mettre les pattes dans les eaux stagnantes et troubles de la toile, où les polémiques et les règlements de compte sont légions, au point de donner l’impression que celles et ceux qui les hantent ne font que tourner autour d’eux-mêmes, avec leurs argumentaires ruminés ad nauseam et leur refus obstiné de céder au moindre argument de la partie adverse, tous rangés derrière l’actuel chef de file, le tout à l’allure d’une tarentelle débridée qui ne ferait que mieux répandre, au lieu d’évacuer, le poison dans le corps de la victime. Ainsi, tout le monde, ou presque, connaît la violente polémique qui a opposé Lise-Marie Jaillant, sans doute mieux connue sous le pseudonyme de Wrath, et les Éditions Léo Scheer, au sujet, entre autres, de la collection M@nuscrit, créée par ELS en octobre 2008 et qui a vu la publication de quelque treize titres dans les deux ans et demi à peu près de son existence. Polémique dans laquelle ont été impliqués Chloé Saffy et son roman et dont une bonne partie semble inspirée par l’envie et la jalousie devant le fait de voir son texte publié de préférence à d’autres. [1]Il est impossible de citer ici les nombreux commentaires qui impliquent voire dénoncent l’autrice, faites une recherche Google, svp !
Je ne suis aucunement impliqué dans ces histoires-là, et j’ai toujours préféré me tenir à l’écart de ce genre de polémiques qui finissent trop souvent en règlement de compte mesquin. Aussi aime-t-on à croire que, depuis le temps, les esprits se sont calmés et qu’on peut affronter le petit texte avec la sérénité nécessaire. Toujours est-il que, si je parle aujourd’hui de Adore, ce n’est pas suite à des recherches sur l’histoire de l’édition participative, mais grâce à une rencontre tout à fait fortuite sur Facebook, à l’occasion d’un bref échange à propos d’une de mes lectures du moment, à savoir le dernier texte de Clara Basteh. J’avoue que j’ai été aussitôt intrigué. Parce que quelle femme, même de nos jours, affirme avec aussi peu de gêne qu’elle est « chroniqueuse pour les livres érotiques et pornographiques » comme le fait celle-ci sur son profil Facebook ? J’ai donc fait quelques recherches autour de ses activités et de ses textes, et une petite conversation s’est soldée par l’envoi d’un fichier pdf aux attentions bouquinovores du Sanglier.
Disons-le tout de suite, le texte en question ne contient rien de pornographique, et les quelques allusions aux activités torrides des protagonistes, ne dépassant jamais les limites de ce qu’on pourrait, la conscience tranquille, exhiber dans les colonnes du premier magazine féminin venu, sont les marques presque discrètes d’un respect devant le corps qu’on ne trouve plus guère que chez les très jeunes femmes :
Puis elle fermait les paupières comme si elle voulait lui dissimuler le flot de douleur mêlée de jouissance qui coulait d’elle, par tous les pores, tous les orifices. (p. 32)
L’histoire est celle de Verlaine et d’Anabel. Celle-ci passe ses heures perdues, quand elle ne travaille pas comme serveuse dans un salon de thé, à hanter les rayons de La Hune, librairie fétiche du milieux germanopratin, tandis que lui, en tant qu’auteur, fait partie du décor du même milieu et notamment du Café de Flore. Ces deux-là se rencontrent, dans La Hune, évidemment, et se fréquentent pendant deux mois à peu près, deux mois jalonnés de rencontres aux allures SM, deux mois aussi qui suffisent à la rendre tellement amoureuse qu’elle concocte le projet de séquestrer son amoureux. C’est ainsi que celui-ci se retrouve, dès la première page du livre, attaché sur un fauteuil d’osier, bâillonné, en réduit à subir le réquisitoire de son bien-aimé. Parce que c’est là le sens premier de son plan, récupérer la parole face à celui qui, manieur professionnel du verbe, l’a accaparée au cours de leurs rendez-vous. Ou, et c’est peut-être pire encore, n’a jamais prononcée celle qu’elle attendait. Dans un certain sens, c’est donc, aussi, l’histoire de celui qu’on doit faire parler. Que cela passe par le bâillonnement est sans aucun doute une des plus belles inventions du roman.
L’idée de départ est assez prometteuse, et les pages du livre qui montrent le couple dans son suffocant tête-à-tête comptent assurément parmi les plus fortes du texte. La jeune femme, prise entre désinvolture et panique, dépassée par ses propres actions, face à l’homme qu’elle aime et dont elle n’a jamais compris – ni accepté – la désertion, c’est une image forte qu’on retient de cette lecture, image rendue plus forte encore par les facultés entravées de Verlaine qui a du mal à suivre les évolutions de sa geôlière et doit se contenter trop souvent de quelque détail, toujours plus inquiétant que la totale par la part de secret qu’il implique. Elle n’en est – hélas ! – pas la seule. Intercalés entre les passages du temps du récit (principalement le tête-à-tête dans l’appartement de Verlaine et la conclusion), se trouvent des rewinds, des épisodes antérieurs qui illuminent le passé du couple, la rencontre, l’amour, la rupture. Ces épisodes, s’ils sont bien racontés, sont des plus banals, et donnent dans des clichés dont ils ne font aucun effort de sortir ni les personnages ni le lecteur. Au lieu de donner de la profondeur au récit, ils font échouer le roman dans des eaux trop peu profondes pour permettre au texte de librement naviguer.
Mais on pourrait, à la limite, s’accoutumer de ces quelques passages, n’était la conclusion qui vraiment enfonce le clou. Verlaine, drogué et libéré de ses entraves, se réveille et décide d’aller voir la belle. Où il se pointe quelques heures plus tard muni des ustensiles d’un bon petit déjeuner assez copieux. Rencontre qui se termine par une belle réconciliation, tout en tendresse, au lit. C’est là que je me suis dit qu’il aurait vraiment fallu arrêter la lecture à la page 140, dans le flou qui entoure la chute de Verlaine. Ou si seulement les flics étaient venus… J’aurais continué à croire à la complexité de ces personnages qui, en l’espace de quelques pages, rétrécissent aux deux dimensions du papier sur lequel sont enfermées leurs histoires, mais non…
Mais n’oublions pas, avant de conclure, que même dans les passages les moins forts se trouvent des morceaux qui brillent, si ce n’est à la façon des miroirs brisés :
La lumière annonçait encore une journée chaude. Humant les derniers effluves frais de la nuit par les vitres ouvertes, il retrouva la marque un peu grasse que les mains d’Anabel avaient laissée sur la froideur du verre quand elle lui avait tourné le dos pour s’empêcher de pleurer. (p. 147)
C’est pour de tels morceaux qu’on ne peut regretter d’avoir lu ce petit roman. Petit roman dont l’autrice a sans doute encore beaucoup de choses à voir et tant d’expériences à faire, mais à laquelle on souhaite de la persévérance afin de faire éclore une écriture dont la beauté, par endroits, perce déjà dans un printemps quelque peu précoce.
Chloé Saffy
Adore
Éditions Dominique Leroy
ISBN : 9782866888138
Références
↑1 | Il est impossible de citer ici les nombreux commentaires qui impliquent voire dénoncent l’autrice, faites une recherche Google, svp ! |
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