Auré­lie Gaillot, À la vie, à la mort

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« À cause de cela, l’homme quit­te­ra son père et sa mère, et s’at­ta­che­ra à sa femme,
et les deux devien­dront une seule chair » (Évan­gile selon Saint Mathieu, 19, 5)

C’est donc sous le titre À la vie, à la mort que vient de paraître, aux Édi­tions Numé­rik­livres, le pre­mier roman d’Au­ré­lie Gaillot. Il faut sou­li­gner ce fait, parce que le texte fait par­tie de ceux qui ont échap­pé au nau­frage des Édi­tions Kiro­gra­phaires, et que cette mai­son-ci, dis­pa­rue en avril 2013, avait pré­vu de l’ap­pe­ler Petites dérives invo­lon­taires. C’est sous ce titre-là que j’en ai par­lé, après avoir pu pro­fi­ter d’une sorte d’a­vant-pre­mière, dans une pre­mière ver­sion de l” article que vous êtes en train de lire. Il n’est donc pas impos­sible de tom­ber sur des liens et des textes affi­chant l’an­cien titre de ce roman, et je tiens à appor­ter un peu de clar­té dans cette his­toire afin d’é­vi­ter des confu­sions. Quoi qu’il en soit, la patience des lec­teurs ne sera pas res­tée sans récom­pense, vu que le texte a non seule­ment pu pro­fi­ter du tra­vail édi­to­rial qu’il mérite, mais aus­si d’une dis­tri­bu­tion à la hau­teur des exi­gences du XXIe siècle.

C’est donc l’his­toire d’une vie épa­nouie et détruite par l’a­mour que nous raconte Auré­lie Gaillot. D’une vie dont le rythme est don­né dès les pre­mières pages, tiraillée entre des courses folles et des périodes d’une stag­nante inac­ti­vi­té. Mais qui aura été tout sauf un long fleuve tran­quille. En fait, ni tran­quille, ni longue.

Il y fait chaud, dans ce roman, que ce soit sous les tro­piques, dans les bidon­villes du Caire ou encore – et sur­tout – entre les bras et les cuisses de la pro­ta­go­niste, Lilou. Nous ren­con­trons celle-ci pour la pre­mière fois, en pleine ado­les­cence, le jour du mariage de son père, pro­fon­dé­ment bles­sée par cet acte qu’elle consi­dère comme une tra­hi­son, en train de rageu­se­ment cou­rir, de voci­fé­rer et de s’of­frir ensuite en spec­tacle à la nature et à qui­conque pren­drait seule­ment la peine de s’ap­pro­cher pour enfon­cer ses regards avides entre les cuisses grandes ouvertes de la jeune fille, cou­chée au bord de l’eau. À la base de cette exhi­bi­tion, il y a la rage, celle d’être déser­tée par le père, le pre­mier amour, et celle de se faire repé­rer, à tout prix, par celui qui sau­rait enfin com­bler le vide qui lui tour­mente les entrailles. Un vide qui appelle non seule­ment les sexes dres­sés et plus ou moins aptes à la besogne, mais l’a­mour ultime, indé­pas­sable, celle qui apaise la folie par la démence. Et c’est à force de coups de rein vio­lents, de déflo­rai­son sau­vage en rela­tions éphé­mères, que Lilou essaie d’a­van­cer, de se frayer un che­min à tra­vers le monde, en pas­sant par les quatre coins de la pla­nète. Jus­qu’au jour où elle ren­contre Lilian.

À lire :
Hervé Fuchs, Le rapt du fils Janel. Tome 2 des Folles de la Nationale 4

Celui-ci marque effec­ti­ve­ment le début d’un amour fou, qui s’empare d’une vie et n’en fait plus qu’à sa guise, mais la tou­jours jeune Lilou devra payer cher ces ins­tants, seuls capables de faire oublier, par inter­mit­tence, le vide : désor­mais elle voya­ge­ra en com­pa­gnie de la mort. Et elle devra apprendre que l’a­mant, à l’i­mage du père, ne fait pas le poids pour bou­cher ce vide qui n’est fina­le­ment pas qu’en elle, mais qui sour­noi­se­ment conti­nue à s’é­chap­per du ventre de Lilou ; qui se mêle à l’eau de la rivière dont le pas­sage fait bruire les pages du livre ; qui dou­ce­ment rem­plit le monde et fini­ra par sub­mer­ger l’univers.

Comme le père, l’a­mant la tra­hi­ra – dis­pa­raî­tra – et Lilou pas­se­ra à tra­vers l’en­fer des morts-vivants. Et si elle semble s’en réchap­per, c’est uni­que­ment pour retrou­ver les rivages de l’en­fance où elle sombre dans un acte qui, seul, a le pou­voir d’illu­mi­ner, a pos­te­rio­ri, ses péri­pé­ties. À savoir celui de suivre son amour, inconditionnellement.

Le par­cours de Lilou, c’est un voyage à tra­vers le monde, mais c’est aus­si  et sur­tout un voyage vers elle-même, ce qui se reflète dans la forme qu’a choi­sie Auré­lie Gaillot : Tan­dis que, dans les pre­miers cha­pitres, c’est un nar­ra­teur ano­nyme qui raconte les péré­gri­na­tions de la jeune femme, le per­son­nage retrouve ensuite sa propre parole, et le der­nier cha­pitre est par­se­mé de témoi­gnages plus per­son­nels, de réflexions consti­tuant une sorte de jour­nal rela­tant l’ul­time catas­trophe de cette vie que consti­tue la perte de l’a­mant. Celui de Lilian après celui, péché ori­gi­nel et res­té fon­ciè­re­ment inex­pli­cable, du père. Mais la mort même se révèle impuis­sante devant la force de Lilou que rien n’ar­rête, et qui dépasse les bornes de la vie humaine pour rendre son témoi­gnage plus reten­tis­sant. C’est en som­brant que la vie de Lilou rejoint celles de ces autres témoins morts pour un amour plus fort qu’eux.

À lire :
Le Mal mythique - Ière partie : Le peuple de la Loi

Auré­lie Gaillot
À la vie, à la mort
Édi­tions Numé­rik­livres
ISBN : 978−2−89717−660−0

Aurélie Gaillot, À la vie, à la mort
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

2 réponses à “Auré­lie Gaillot, À la vie, à la mort”

  1. heu­reux de cette naissance !