L’un ou l’autre se souviendra sans doute d’un article que j’ai publié, en mars 2013, à propos de La croisière du vice, un titre initialement paru aux MkF Éditions et que je n’ai pas vraiment apprécié à cause des nombreuses « maladresses de vocabulaire » qui m’ont quelque peu gâté la lecture. Ce texte a depuis changé de pénates et se trouve désormais placé sous l’enseigne de la collection Les Érotiques. C’est précisément dans cette collection-ci que je suis tombé, il y a quelques semaines déjà, sur l’épopée d’Anne Dézille, Margaret et ses filles. C’est donc lesté de quelques idées préconçues que je me suis embarqué dans la lecture du premier épisode, Le Scandale, mais comme je tiens à garder un esprit ouvert et que je me laisse facilement séduire, surtout par une écriture élégante et une intrigue bien montée, j’ai très vite succombé aux charmes de la troupe aussi déjantée que particulière qu’on croise dans les pages virtuelles de cette nouvelle série.
Avant d’aborder le sujet en question, regardons de plus près le phénomène qui semble s’être emparé du petit monde de la littérature numérique, dans lequel on peut effectivement constater un engouement, de la part des éditeurs pure player, pour les séries, le cas sans doute le plus notoire étant fourni par les Éditions Numériklivres qui leur ont dédié un site entier. Leur principe est la gratuité du premier épisode et un prix modique pour les livraisons suivantes, ce qui, avec un nombre de six épisodes dans la plupart des cas, approche d’un prix permettant à l’éditeur de continuer ses affaires et à l’auteur de gagner quelques sous supplémentaires. On peut aussi citer l’exemple de l’éditeur berlinois Walrus avec à son actif la série de Neil Jomunsi, Jésus contre Hitler. Les amateurs d’érotisme, quant à eux, trouvent leur compte dans l’univers polymorphe de Léa (la série éponyme ayant fait son entrée dans le monde demi-littéraire sous le titre Les Érotiques de Léa, rebaptisée depuis en Léa Xxxxx, le tout dans la collection Les Érotiques aka (pendant un bref instant) MkF) qui, à l’instar de celui régi par les lois formulées par Albert Einstein, est en continuelle expansion, et dans lequel pullulent les titres, au point de parfois déconcerter le lecteur. Quoi qu’il en soit, les fidèles Baugeonautes apprendront avec intérêt la parution de la « saga familiale chic et sexy » [1]cf. la présentation sur Immatériel de Margaret et de ses filles, signée Anne Dézille, précisément dans la nébuleuse de Léa. D’une saga qui rend justice à sa désignation [2]« Histoire (d’une famille, etc.) racontée sur plusieurs générations » ou encore une « longue histoire mouvementée », selon le Petit Robert 2010. vu qu’elle est prévu de s’étaler sur 12 épisodes programmés le 16 de chaque mois, pendant une année entière.
Une telle ambition mérite qu’on s’occupe des personnages promis à nous tenir compagnie pendant aussi longtemps : Il y a tout d’abord la maman, l’héroïne éponyme, Margaret qui, avec ses 55 ans, manie toutes les astuces de la cougar en bonne et due forme et ne manque pas de constamment attirer les mâles dans ses filets savamment tendus. Séparée de son mari, elle évolue dans un environnement de luxe pour jouir de ce que la vie et les hommes ont à lui offrir, sans se poser trop de questions par rapport aux sentiments d’autrui en général et de ses filles en particulier.
Ces mêmes filles, trois grâces âgées respectivement de 37, 27 et 17 ans, et ayant débarqué dans la vie pourvues d’un héritage maternel des moins ordinaires, ont dû chercher leurs voies pour s’affirmer face à une mère aussi imposante qu’incontournable. Vanessa, l’aînée, perçue par sa mère comme une rivale plus jeune et plus belle, subit le sort classique des mal-aimées, si magnifiquement incarnées par les Cendrillon et autre Blanche-Neige de nos contes de fée. Sentant qu’il faut s’effacer pour pouvoir garder une place au foyer, elle choisit la voie de la sagesse, de la forte en thème trop intelligente pour être tentée par les plaisirs de la chair. La deuxième, Jane, la moins belle, a opté pour le rôle de la salope, certes empiétant de ce fait sur les plates-bandes de sa mère, mais tolérée à cause d’un physique ingrat, surtout par rapport à sa sœur aînée. La benjamine, Faustine, est quelque peu hors concours non seulement à cause de son âge, mais aussi par le fait que, jeune beauté créole, elle est adoptée, et que le regard qu’elle porte sur le monde où elle évolue est déterminé par une plus grande distance. C’est pourtant précisément cette dernière qui déclenche l’intrigue en assistant à une scène de baise sauvage entre Margaret et Vincent, l’ancien paramour de Vanessa. Écœurée par le comportement de sa mère, elle dévoile le secret, à la fin du premier épisode, à ses sœurs, et nous voilà non seulement dans le pétrin, mais surtout pris au piège tendu par un éditeur astucieux.
Anne Dézille a choisi de présenter les événements du récit à travers les yeux des protagonistes respectives, permettant au lecteur de se mettre dans la peau des quatre femmes dont chacune parle à la première personne, procédé qui permet non seulement d’apporter aux récits une dose de subjectivité, mais aussi de rendre plus piquant le vécu des événements rapportés, notamment dans le cas de Margaret et de Jane, les plus délurées de la bande, au moins dans le premier épisode. Parce qu’il ne faut pas se tromper, Vanessa et Faustine, propulsées par la frustration et la jeunesse avide d’expériences, ont le potentiel d’ébranler l’équilibre précaire et de tout faire culbuter dans les affres d’une passion débridée.
Ce premier épisode est bien ficelé, les personnages sont présentés avec une grande attention aux détails, les scènes érotiques sont amenées sans forcer et sans vulgarité (sauf celle évidemment qui trouve son origine dans le caractère du personnage concerné), et l’intrigue est montée de façon à embarquer le lecteur dans un récit haut en couleur et empreint de chaleur érotique, sans délaisser, et c’est là peut-être le plus intéressant, le côté destructeur inhérent aux pulsions humaines. Si Anne Dézille continue de tisser sa toile avec cette même verve du démiurge enthousiasmé par l’univers qu’il vient de créer, cette série a tout pour marcher, malgré le prix en fin de compte assez élevé [3]Douze volumes à 2,99 €, c’est quand même l’équivalent d’une belle édition reliée, et même les volumes les moins chers de la prestigieuse Pléiade sont proposées pour une quarantaine d’euro..
Anne Dézille
Le scandale
Les érotiques by Léa
ISBN : 978−2−919071−37−1
Références
↑1 | cf. la présentation sur Immatériel |
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↑2 | « Histoire (d’une famille, etc.) racontée sur plusieurs générations » ou encore une « longue histoire mouvementée », selon le Petit Robert 2010. |
↑3 | Douze volumes à 2,99 €, c’est quand même l’équivalent d’une belle édition reliée, et même les volumes les moins chers de la prestigieuse Pléiade sont proposées pour une quarantaine d’euro. |