Aujourd’hui, j’ai le bonheur de pouvoir vous présenter une maison d’édition qui aura réussi l’exploit de me mettre de bonne humeur rien qu’en entendant son nom : Nutty Sheep, ce qui se traduit dans la belle langue de Voltaire et de Hugo par : Le mouton déjanté ou barjo. Et si je n’ai pas pour l’instant l’ambition d’aller chercher au fond de leur catalogue pour voir ce qu’il en est de la pertinence d’une telle dénomination, je peux vous assurer que le titre que je viens de dégoter chez mon libraire numérique préféré, Nutty shades of sheep, réunit quelques nouvelles qui ne laisseront pas indifférents les amateurs de textes plus déjantés que de raison. Et c’est sans considérer que parmi les variations sur le titre de la tristement célèbre saga américaine – celle qui a réussi l’exploit de parfumer le BDSM d’un arôme vanillé indigeste – celle-ci est sans doute à ce jour la plus rigolote. Ce qui a contribué dans une grande mesure à me mettre de très bonne humeur avant même d’avoir feuilleté les premières pages du recueil.
Commençons par l’élément censé attirer l’attention du chaland, la couverture. Celle-ci est d’une belle composition où la beauté du nu s’allie à la fascination étrangement érotique des créatures tentaculaires chères aux Animes [1]Clin d’œil en passant à l’autrice dont le nom de plume traduit si clairement ses préférences littéraires, Annie May, et sa série érotico-pornographique Escadron Bio Super Élite. Série qui … Continue reading sans négliger l’appel aux sens des ustensiles des mémaîtres de BDSM, tout en faisant, comme en passant, un coucou à la corporate identity avec la présence en plein milieu de la scène d’un mouton au rire aussi fou que lubrique, dans une position qui laisse entrapercevoir l’envie de la bête de sauter la belle qui, songeuse et les cuisses grandes ouvertes, se tient entre les pattes de l’ovidé, le tout sur fond de belles nébuleuses pour rappeler la vocation SF de la maison qui se présente comme « spécialisée en Science-Fiction, Fantasy et Fantastique »[2]Cf. la présentation de Nutty Sheep sur la page À propos.
Après cette belle entrée en matière, l’amateur de littérature se demande évidemment si les textes retenus pour cette collection font le poids. Mais il faut peut-être commencer par une mise en garde : Malgré les apparences, et malgré la présence dans cette anthologie de bites fièrement dressées qui ne se privent pas de remuer des marées de cyprine au fond de chattes bien détrempées, je n’irais pas jusqu’à coller l’étiquette « érotique » sur un recueil qui fait appel à « Huguette la vieille démone ou à Xalanthussia l’extra-terrestre sexy » pour dire ses quatre vérités aux amateurs d’érotisme qui risqueraient « de ne plus jamais voir l’érotisme de la même façon »[3]Nutty Shades of Sheep, Texte de présentation. Je n’ai pas peur d’affirmer que ce risque-là me semble bien éloigné, même si l’un ou l’autre des amateurs en question sera peut-être surpris de découvrir les vertus d’un petit sourire ou même d’un grand rire bien franc que l’un ou l’autre des textes du recueil risque de provoquer.
Les textes rassemblés proposent un grand choix de créatures qu’on ne s’étonne pas plus que ça de croiser dans une anthologie SFFF et si les démons, les extraterrestres et les intelligences artificielles ne manquent pas au rendez-vous, il y a aussi des protagonistes dont la présence peut surprendre, comme par exemple une gargouille, une plante carnivore et un – préservatif. Et c’est d’ailleurs ce dernier qui rafle haut la main la palme de l’histoire la plus rigolote, celle qui m’a fait me marrer à pratiquement chaque ligne, même si c’est plutôt le rire sans lendemain causé par une belle farce, un rire dont il ne reste pas grand chose après lecture – sauf évidemment le souvenir de quelques bons moments passés en bonne compagnie, ce qui n’est pas rien ! Chapeau donc à Alice E. May et son texte The Final Condom ! Si seulement d’autres pouvaient se laisser tenter par un peu d’humour dans les textes érotiques …
Mais il n’y a pas que ce coté léger dans le recueil, loin de là, certains auteurs ne se privant pas d’introduire un remarquable sérieux dans une anthologie qui, au premier coup d’œil, ne s’y prête guère. C’est le cas notamment du texte signé Cécile Mercey que l’autrice a placé sous le titre quelque peu maniériste Un ange et une gargouille sont sur un autel… On le sait depuis Frankenstein que les créatures peuvent avoir des sentiments, et Mercey en donne un bel exemple dans un scénario apocalyptique à souhait où le désespoir qui se dégage des ruines se propage aux protagonistes aussi bien qu’aux lecteurs. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas le souvenir, longtemps évoqué pendant ces quatre années de centenaire qu’on vient de laisser derrière nous, de la ville de Reims et de sa cathédrale mutilée par les obus qui est à l’origine de descriptions aussi intenses que courtes.
On ne peut certes pas reprocher aux auteurs ici réunis de manquer d’inspiration, et la parade des créatures drôlatques chargées de distraire les lecteurs donne une idée là-dessus : Il y a donc la vieille démone obligée de se trouver une belle bite bien dure pour lui servir de cuillère ; une plante avide de chair d’homme ; une commerciale extraterrestre en proie à la solitude des longs voyages d’affaire et qui, son engin spatial tombé en panne dans un secteur éloigné, profite du dépanneur pour apaiser ses appétits ; les vertus d’un philtre d’amour et les malheurs de celui qui en abuse ; et, pour terminer le cortège en beauté, le rodage d’une intelligence artificielle destinée à devenir une sorte de jouet sexuel. N’y manque pas non plus, dans une approche plutôt orientée SF, la présence de technologies résolument futuristes comme par exemple cette transcorportation, technologie qui permet à Céline Thomas, éditrice de Nutty Sheep passée pour l’occasion dans le rôle d’autrice, d’aborder, dans Nick et Levrette, le récit d’un changement de perspective assez radical. Parmi ces textes de facture et d’inspiration aussi diverses, il n’y en a aucun, pour résumer, que j’ai regretté de lire, même si la plupart s’évapore une fois la lecture terminée.
Mais il y en a un dans le tas qui très clairement sort des rangs, bien plus encore que les deux déjà nommés dans le paragraphe précédent, et c’est à celui-ci que j’aimerais décerner la palme, distinction que Magali Lefebvre remporte haut la main avec Les quatre saisons d’un héliophile. C’est un texte qui n’a pratiquement rien d’érotique, un texte qui renoue avec le vieux fantasme de l’Occident de voir revenir les anciens dieux pour sauver un monde désenchanté et rendu brutal, un texte qui focalise l’attention sur un seul personnage dont le lecteur suit les déplacements et les rencontres qui l’attendent aux quatre coins du globe avec une attention aux détails qui ne serait pas déplacé dans un poème. Et si on ajoute à cela la magie des descriptions, une magie qui rend l’autrice capable de mettre ses lecteurs sous le charme avec quelques pauvres paroles, on comprend que c’est ici un véritable joyau qui donne envie de fréquenter Magali Lefebvre de bien plus près. Je n’ai pas pu ni voulu suivre dans le détail la genèse de tous les textes réunis dans Nutty shades of sheep, mais j’ai pu constater, en suivant quelques liens proposés par mon moteur de recherche favori, que le récit d’un héliophile a été publié une première fois, en juillet 2012, dans le n° 16 du fanzine Piments & Muscade, publié par l’association L’Armoire aux Épices. Une publication dont la ligne éditoriale a tout pour me plaire : « Légèreté, sensualité, érotisme ».[4]Délicieuse consigne effectivement et résumée ainsi par l’autrice en question dans un article paru sur son site pour en annoncer la publication : Parution dans Piments & Muscade. Une consigne que l’autrice a rigoureusement respectée, tout en donnant à la légèreté du style un tour qui en fait ressentir tout le sérieux.
Si les textes rassemblés par Émilie Chevallier Moreux, directrice éditoriale Nutty Sheep et responsable de cette belle anthologie, sont à la vérité assez loin de culbuter le monde de l’érotisme littéraire, un genre que les textes ne font effectivement que frôler, j’en conseille quand même la lecture à toutes celles et à tous ceux qui aiment prendre le risque de sortir des voies trop courues pour faire, à l’écart des foules, de très belles découvertes.
Collectif
Nutty shades of sheep
Nutty Sheep
ISBN : 9791034202805

Références
↑1 | Clin d’œil en passant à l’autrice dont le nom de plume traduit si clairement ses préférences littéraires, Annie May, et sa série érotico-pornographique Escadron Bio Super Élite. Série qui s’est bêtement arrêtée après la première saison, plantant là votre serviteur avec une bite gonflée au point de faire mal par la lecture haletante des aventures libidineuses de notre jeune aspirante livrée aux mains de ses camarades et aux tentacules de ses puissantes armes biologiques. |
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↑2 | Cf. la présentation de Nutty Sheep sur la page À propos. |
↑3 | Nutty Shades of Sheep, Texte de présentation |
↑4 | Délicieuse consigne effectivement et résumée ainsi par l’autrice en question dans un article paru sur son site pour en annoncer la publication : Parution dans Piments & Muscade. |