Et dire que plus de vingt ans ont passé depuis la chute du Mur de Berlin… Voici une des premières réflexions qu’a suscitées la lecture du roman de Sylvain Kornowski, Les guerriers au repos. Parce que c’est dans cette ambiance de fin d’époque que le récit est né, et une lecture attentive fait ressortir quelques détails qui aident à trouver les repères temporels. Mais comme tout texte littéraire qui se respecte, celui-ci n’a que faire des entraves et des localisations spatio-temporelles, il les dépasse toutes pour vivre au rythme de sa propre vie, et les détails du XXe siècle déclinant ont tout au plus une valeur anecdotique.
Voici donc l’histoire de quatre amis, Ron, Manès, Nicholas et Allan. Et pour eux aussi, et le lecteur se rend compte bien vite de ce fait crucial, il s’agit de la fin d’une époque, même s’ils mettent un certain temps à le comprendre. Parce que la jeunesse est révolue, et les illusions disparaissent derrière l’horizon, parce que tel est le sort de ceux d’ici bas qui ne peuvent pas tout simplement s’arrêter, parce que la vie les oblige à avancer coûte que côute. Et si, en cours de route, les amis et les illusions font naufrage, tant pis, d’autres prendront la relève et les ramasseront par terre. Tout cela est bien banal, mais jamais assez pour qu’on ne puisse pas en tirer une belle histoire. Ce qu’a fait Sylvain Kornowski, à qui l’éditeur pure player Edicool a donné la chance de voir paraître son texte vingt ans après l’avoir rédigé. Mais comme les bons textes mûrissent au lieu de sombrer dans les archives, il s’en dégage une fraîcheur comme au premier jour. Et cette fraîcheur-là, on la doit en très grande partie à la protagoniste féminine, Svetlana, jeune femme roumaine qui respire la séduction innocente et ne jure que par sa liberté. Et voilà qu’elle est confrontée aux quatre amis pour qui cette même liberté n’est plus un concept des plus théoriques, un souvenir de quelque chose acquis depuis toujours, sans la moindre lutte. Quand de tels opposés sont mis en relation, la tension est au rendez-vous, et la décharge violente ne se laisse pas attendre. Et c’est précisément ce qui arrive au quatuor suranné qui sera réduit, par une sorte de déflagration au ralenti, à ses composants. Quant à Svetlana, catalyseur parfait, elle passe, elle fait réagir les autres, elle laisse derrière elle un univers décomposé et continue sur son trajet sans subir le moindre changement, fidèle à elle-même. Ou, pour reprendre les paroles d’Éric Neirynck, à qui on doit la préface :
Comme dans tout bon livre, il y a un personnage à part, et dans ce cas-ci c’est Svetlana, une femme, toutes les femmes à elle seule. (Les guerriers au repos, Préface.)
Une femme à part, effectivement :
Mais quelque chose dérangea ; bien que son comportement ne pût qu’inspirer la confiance, elle [i.e. Svetlana] avait d’étranges apartés silencieux, comme des absences, durant lesquels elle observait minutieusement chacun d’eux, avec des yeux mutins et séducteurs qui les déshabillaient puis les rhabillaient précautionneusement, sans impudeur mais avec un rien de déstabilisant.
Svetlana s’occupera de tout un chacun, à tour de rôle, et cette rencontre laissera des traces dans les vies respectives des quatre Guerriers. Sylvain Kornowski n’est pas le premier à se servir d’un tel procédé qui assimilerait les relations humaines à des réactions chimiques, son plus célèbre prédécesseur étant sans aucun doute Johann Wolfgang Gœthe, l’auteur des Affinités électives. Mais il y a, dans ce roman, bien plus de découvertes à faire que ce riche héritage littéraire. Kornowski allie, à la plume de l’écrivain, l’œil du photographe, et les scènes issues de cette rencontre comptent parmi les plus remarquables, comme celle du portrait de Svetlana immortalisé par le regard d’Allan venu pour débusquer son ami Nicolas :
La porte s’ouvrit violemment et offrit à Allan un spectacle qu’il n’oublierait jamais : derrière son ami, vêtu seulement d’un caleçon, Svetlana, les bras étendus sur le canapé comme si elle tenait à signifier que tout ce qu’elle touchait ici lui appartenait, affichait avec insolence sa nudité provocante ; ses seins, larges et lourds, étaient une invitation obscène et tentante, et ses longues jambes, croisées nonchalamment, étaient si longues qu’elles offraient le spectacle de la naissance de son pubis, serré contre ses cuisses laiteuses… (Première partie : Paris)
De tels clichés, quand même le roman n’aurait aucune valeur littéraire, mériteraient à eux seuls d’être arrachés aux tiroirs poussiéreux. Et cela donne une très grande envie de lorgner vers le bureau de l’écrivain pour savoir quels trésors on pourrait encore y dénicher. Je vous invite à votre tour de faire des découvertes dans ce texte, et d’exercer votre regard sur les paroles de Sylvain Kornowski.
Mise à jour
Suite aux remarques de quelques lecteurs, je me suis rendu compte que le terme « cliché » utilisé dans le paragraphe précédent pouvait prêter à confusion. Je ne voulais pas reprocher à l’auteur l’usage d’une « idée ou expression toute faite trop souvent utilisée » (définition d’après le Petit Robert), mais seulement parler d’une scène à valeur photographique (ce qui, toujours d’après le Petit Robert, est possible, mais, dans le contexte actuel, maladroit). Je croyais mon intention assez claire après avoir parlé de « l’œil du photographe » que possédait Kornowski. Mais il faut constater qu’il y a des occasions où on n’est jamais assez explicite.
Mise à jour supplémentaire
Les Éditions Edicool ayant mis la clé sous le paillasson il y a longtemps déjà, le livre est désormais disponible sur le site monbestseller.com. On notera qu’on pourra l’y découvrir – gratuitement.
Sylvain Kornowski
Les guerriers au repos
Éditions Edicool
ISDN : 978−2−919645−24−4