Je connais Marie Godard depuis la parution de son premier roman, Échanges virtuels, aux Éditions Blanche, il y a de cela deux ans déjà. Depuis, j’ai eu l’occasion de collaborer avec elle à l’occasion de la parution des Vacances pourries, recueil que j’ai dirigé pour les Éditions Edicool en 2012. Je savais donc depuis un certain temps que quelque chose se préparait et que cette écrivaine n’allait pas nous laisser sur notre faim. Et voilà que cette attente se termine avec la parution d’un recueil de nouvelles, Histoires de femmes, premier titre de la toute nouvelle collection érotique Jardins secrets de IS Édition.
Le recueil contient six nouvelles de facture plutôt « classique », aux scénarios assez variés, dont certains semblent même présenter une inspiration auto-biographique, dans la mesure où la présence d’une narratrice-auteure répondant au doux nom de Marie permet de tirer des conclusions. Mais l’intérêt n’est pas là, à moins que quelqu’un veuille écrire la biographie de Marie Godard. Il ne se trouve pas non plus – au moins pas principalement – dans les scénarios qui n’ont sans doute pas été retenus pour leur originalité. On y trouve l’ado fasciné par la mère d’un de ses camarades de classe qu’il surprend nue devant un énorme miroir, rencontre qui l’initie aux plaisirs solitaires du voyeurisme (Chambre avec vue) ; des sex-toys tellement sophistiqués qu’ils risquent de se substituer aux êtres humains en chair et en os, mais dont une panne de courant illustre les limitations (Des robots et des hommes) ; une excursion en terre saphique qu’entreprend une jeune femme déçue par les performances de son cher et tendre (Leçon d’amour) ; l’étalage de chair masculine dans une grande surface consacrée à tous les plaisirs – féminins (Le plaisir du shopping) ; l’auteure âgée, séduite par le relecteur chargé de corriger son manuscrit (L’experte) ; la veuve qui, succombée aux charmes d’un séducteur, profite de cette rencontre pour réapprendre à vivre, malgré les douleurs d’un amour trompé (Fin d’un rêve).
On le voit, tout cela n’est pas très original, mais, et il faut le répéter, ce n’est pas là que se trouve l’intérêt principal de ces textes. Celui-ci réside par contre dans la perspective résolument féminine, voire féministe, des nouvelles, ce qui vous change très agréablement par rapport à la plupart des publications carrément érotiques qui se publient aujourd’hui encore avec dans le collimateur un public principalement masculin. Un exemple ? Dans le premier récit du recueil, Chambre avec vue, le lecteur accompagne Benji, un adolescent qui a le bonheur de surprendre la mère de son camarade dans une tenue des plus simples, en train de se faire plaisir devant le grand miroir de sa chambre. The rêve de tout adolescent en proie aux fantasmes les plus délirants nés dans la tempête des marées hormonales. Le récit est donné par un narrateur anonyme à la troisième personne, procédé qui est censé créer de la distance entre les personnages et le lecteur. Et pourtant, celui-ci a l’impression de se glisser dans la peau de Benji qu’il accompagne dès la première ligne, quand celui-ci franchit la porte du jardin d’abord et celle de la véranda ensuite. En rejoignant donc le point de vue, et littéralement, de l’adolescent, c’est la femme surprise qui devient le centre non seulement de l’attention du voyeur, mais du récit tout court. Et si Emmanuelle se vautre sur son lit, sous les regards fascinés, prête à tous les excès, c’est qu’elle y trouve le rôle qui lui convient, à savoir celle de la directrice du jeu qui seule décide jusqu’où elle emmène l’assistance :
« C’est un vrai miracle qu’elle soit là, devant lui, abandonnée à son plaisir, les jambes écartées, comme si elle lui offrait ce spectacle, à lui, Benji ! »
Effectivement, comme si ELLE le lui offrait… Et si quelqu’un devait avoir gardé des doutes, il y a une autre phrase qui remet encore plus efficacement tout le monde à sa place : « La prochaine fois, je t’inviterai peut-être à participer, si tu me le demandes très gentiment ». Aucun doute n’est permis, c’est la femme qui dirige, qui est metteuse en scène et protagoniste en même temps.
Ce jeu des perspectives se renouvelle dans les autres récits, et ce sont systématiquement les femmes qui l’emportent, même dans la constellation qui s’y prête le moins, celle du texte le plus ambigu, L’experte, où une femme âgée est convoitée par un trentenaire doté de tous les attraits. Et pourtant, ce n’est pas la femme qui doit demander pour obtenir. Et que dire de l’effet de cette réplique de Marie (la protagoniste), pratiquement identique à celle d’Emmanuelle, l’héroïne du premier texte : « mais puisque tu me le demandes si gentiment » ? Si, dans l’univers de Marie Godard, les rôles sont clairement définis, les hommes n’ont décidément pas à s’en plaindre.
Ces nouveaux textes de l’auteure franco-canadienne auront mis longtemps avant de trouver le chemin des lecteurs, mais le résultat est à la hauteur de ce qu’on était en droit d’attendre après la lecture d’Échanges virtuels. C’est un coup d’envoi très prometteur de la nouvelle collection érotique qui se place ainsi dès le départ sous d’heureux auspices. Si vous voulez donc changer de perspective, il faudra prendre désormais le chemin des Jardins secrets.
Histoires de femmes
IS Éditions
ISBN : 978−2−36845−069−7
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