Je ne sais pas si le pari entre Marie et Jacques / Franck a jamais eu lieu, et si vraiment celui-ci a mis celle-là au défi d’écrire un roman érotique. Mais, et c’est ce qui compte, c’est une belle idée pour faire démarrer un récit. Dans le cas d’Échanges Virtuels (paru le 10 novembre 2011 aux Éditions Blanche) de Marie Godard, c’est un récit érotique, sous forme épistolaire, qui raconte les échanges entre Marie (auteure néophyte), Jacques (son éditeur) et Nicolas (le mari). Le point de départ de leurs mails, c’est donc le prétendu pari entre Marie et Jacques, et l’envoi de son roman érotique à ce dernier. On imagine facilement qu’avec un tel sujet de conversation (par toile interposée), les idées s’emballent, et qu’on finit assez vite par ne plus parler uniquement littérature.
Effectivement, les choses se précisent vite, et le récit dégouline de jus corporels offerts et acceptés, d’orifices comblés et de plaisirs toujours renaissants, peu importe la hâte des personnages de les assouvir. Je n’ai pas compté le nombre de parties de jambes en l’air que Marie et Jacques se plaisent à imaginer et à se raconter (et même parfois à illustrer), consterné (jaloux ?) que j’étais par leur capacité de soutenir de tels efforts pendant des mois et des mois. Mais, et c’est là le principal, ce n’est pas ce qui compte le plus dans ce roman.
L’amour, au moins quand on le comprend par son côté physique qui attache (et parfois dans un sens bien concret) deux êtres, l’union par la chair donc, présuppose la présence physique de l’amant(e) pour se réaliser, pour s’incarner, pour assouvir l’envie de goûter au corps offert. Dans le livre de Marie Godard, les protagonistes doivent se passer de cette présence, et s’en trouvent réduits à la triste et frustrante nécessité de confier leur plaisir à leurs propres mains (leurs partenaires respectifs étant d’une façon étrangement efficace relégué au statut de simple pis-aller). D’où un besoin toujours croissant qui fait descendre Marie jusque dans les sous-terrains de la soumission où elle attend la venue de celui qui, d’éditeur, est passé Maître (et c’est sur ce point-ci que je me permet de contredire ma consœur Chocolat Cannelle qui a voulu voir un petit bémol dans cette « situation de domination alors que le jeu était initialement plus égal dans ses réparties »).
C’est donc l’appel de la chair qui retentit à travers les pages du roman, le besoin de réalité qui en ressort et qui se cache habilement derrière un titre qui semble si bêtement célébrer l’amour virtuel que vivent des centaines de milliers de personnes depuis l’avènement des Meetic et autres sites de rencontre. Marie (le personnage) exprime ce besoin viscéral de présence, quand elle conclut son dernier mail à Jacques par cet appel, qui pourtant cache une simple constatation : « Je vous adore, je vous aime, je vous attends … ». Et combien d’heures, de semaines et de mois avant d’en arriver à cette prise de conscience : L’amour s’assouvit dans la bouche, dans les entrailles, au plus profond de l’autre (dans ses « fondements » comme Marie aime le répéter). Et c’est, au bout de tant d’enculades et de giclées de sperme avalées, ce qui reste de cette lecture : la réalité de la chair qui ne saurait être remplacée par aucun échange virtuel, peu importe les moyens déployés par une industrie toujours au service des besoins qu’elle sait si habilement créer pour transférer nos sous sur ses comptes en banque. Et voilà le réel mérite de Marie Godard et de celui qui a osé l’éditer. Pari gagné :-)
Marie Godard
Échanges virtuels
Éditions Blanche
ISBN : 978−2−84628−468−4
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2 réponses à “Marie Godard, Échanges virtuels”