Tout doucement, l’été approche de sa fin, et une foule de rentrées commence à monopoliser l’attention des médias. Sous quelque épithète que celle-ci soit placée, scolaire, politique ou encore littéraire, toutes ses variantes semblent concourir à faire oublier les joies de la plage et la légèreté estivale. Mais, avant de ranger son clavier au fond de sa Bauge afin de partir en vacances à son tour et finalement goûter à ces mêmes plaisirs, votre serviteur s’est penché sur sa dernière lecture estivale, une bande dessinée érotique qui se place dans un entre-deux des plus charmants : l’espace entre la fin des études et les débuts d’une vie nouvelle à peine esquissée, un changement de codes qui se profile à l’horizon sans déjà être tangible, espace hors temps favorable à l’éclosion de tous les désirs et qui allie les charmes de la jeunesse à ceux de la découverte de la vie en liberté – provisoire – sous le soleil et d’une sexualité épanouie – provisoire, elle aussi ? Et Marco Nizzoli, dessinateur italien, a pleinement compris l’étendue du pari qu’il s’est lancé à lui-même en plaçant ses planches sous un titre dont la simplicité est l’expression même d’une joie de vivre réduite à une de ses expressions les plus élémentaires : Un bel été.
Éléna et Laura viennent donc d’obtenir leur bac, et elles s’apprêtent à partir en vacances, un peu à l’improviste, pour fêter ça bien sûr, mais aussi pour, dans le cas d’Éléna, oublier un mec qui la méprise, et, dans celui de Laura, pour
se faire une tonne de mecs ! … Et même peut-être quelques kilos de femmes ! (p. 10)

Contrairement à Laura, décomplexée, à l’esprit aventurier, et très portée sur les choses du sexe, Éléna se révèle plutôt farouche, à la limite oie blanche, et il y a des situations où le lecteur se demande franchement comment Laura peut continuer à supporter cette éternelle boudeuse qui tient bien plus que de raison à son confort et se montre toujours prête à passer jugement sur autrui. Le moins qu’on puisse dire, c’est que son déniaisement présente un sacré défi pour la belle Laura et que celle-ci devra s’armer de patience et de l’art de la ruse pour venir à bout de ce spécimen-là de la gent féminine, spécimen certes très juteux, mais aussi « super coincé » (p. 43).
Laura, tête forte, ne renonce pourtant pas et poursuit son opération de séduction, opération qui la conduira, au bout d’un certain nombre d’aventures intermédiaires, tout droit entre les cuisses de la belle blonde. Qui en profitera pour un changement de cap à propos des choix qui orienteront sa vie future.

Toute cette petite histoire est rondement menée, et le dessinateur – à l’image de sa Laura à sa proie attachée – ne se laisse pas distraire par les beautés environnantes, l’attention entièrement focalisée sur son jeune couple d’aventurières en herbe et le parcours d’Éléna. Celle-ci, plus encore que Laura, se trouve placée sous les projecteurs, et c’est elle qui ouvre et qui clôt le récit. C’est elle aussi que le dessinateur a choisi de présenter la première, en la dévoilant dans toute sa beauté dans une suite de clichés, en train de poser devant son miroir afin de choisir les vêtements de plage qui puissent la mettre en valeur. Un procédé qui s’apparente à une approche photographique et dont Nizzoli se sert par la suite pour montrer les jeunes filles en train de s’abandonner au plaisir. C’est dans ce genre de scènes que son dessin se met entièrement au service de ses modèles, soulignant la beauté des formes féminines dans un jeu de lignes à l’économie parcimonieuse. La contrepartie de ce procédé étant un certain flou dans le détail – que le dessinateur a d’ailleurs l’air d’éviter. Et on doit avouer que, quand il se laisse quand même tenter – par un broutage de minou, par exemple – que le résultat est peu convaincant, le minou en question ressemblant plutôt à un gant de toilette qu’à une anatomie féminine.
Le trait est simple, en noir et blanc, avec très peu de variations, ce qui tend à conférer un caractère statique aux planches, même là où le mouvement est implicite (les cheveux dans le vent, par exemple, ou encore les fellations). Il convient sans doute de voir dans le dessin de Nizzoli une variation sur la ligne claire, sans couleur, les espaces blancs délimités par des lignes très fines, avec une représentation assez simplifiée des personnages opposé à plus de richesse quand il s’agit du décor. Un style qui n’est effectivement pas sans rappeler, comme l’éditeur le souligne sur la 4ème de couverture, celui de son compatriote aîné, Milo Manara, mais avec une tendance à la simplification parfois caricaturale voire même grotesque. L’usage du noir et blanc lui permet toutefois d’échapper à un effet de floutage à la Hamilton, un procédé dont son blog rassemble quelques échantillons qui rappellent les formes vagues aux contours peu déterminées – comme passées à la lessiveuse – d’un symbolisme à la Redon.
Tout compte fait, Marco Nizzoli tient sa promesse en livrant un épisode de jeunesse qui laissera à coup sûr des souvenirs. Des souvenirs qui, plus tard, se laisseront résumer sous le titre sous lequel il a choisi de placer son opus : Un bel été. Et la chute qu’il a su trouver pour cet épisode illustré de la vie de deux jeunes filles, conclusion qui ne serait pas déplacée dans une nouvelle en bonne et due forme, contribue à rendre cet été non seulement beau, mais mémorable.
Marco Nizzoli
Un bel été
Éditions Tabou
ISBN : 9782359540024