Ev Anckert, c’est la rencontre de deux femmes, Isabelle Coache, jeune psychologue et écrivaine québécoise, et Ev Anckert, éditrice Parisienne avec un arrière-fond tout ce qu’il y a de plus « vieille Europe ». Quand Isabelle vient en France pour promouvoir son dernier livre, elle tombe, dès sa première soirée, dans les bras d’Ev, où elle passera désormais une bonne partie de son séjour. Ce n’est pourtant pas un roman érotique, malgré les apparences et quelques scènes assez explicites, et malgré les débuts assez intempestifs d’une relation qui commence par une très forte attraction physique :
Bon sang, Mado, elle était ravissante ! Émeraude, comme ses yeux… J’ai flanché au premier coup d’œil. (chap. 18)
C’est plutôt le récit d’un amour qui arrive à s’imposer face à de farouches revendications d’indépendance des deux parties concernées, et cela en dépit de la confrontation de deux caractères qui ne semblent pas de premier abord faits l’un pour l’autre.
Cette histoire d’un amour lesbien, originellement publié en octobre 1994, est le premier roman de Louise Auger, écrivaine et psychologue canadienne, qui ressemble par plus d’un trait à l’héroïne québécoise de son roman. De là à dire que c’est de l’auto-fiction nécessiterait de plus amples recherches, surtout parce que l’auteur n’est pas très présente sur la toile et les réseaux sociaux. Il suffit de constater que, comme tant d’autres premiers roman, celui-ci contient des éléments biographiques. Mais l’enjeu du roman n’est pas là. Si l’intrigue reste assez banale, avec pourtant quelques belles échappées, c’est le moment de sa parution qui doit surtout retenir l’attention : Depuis le début des années 1990, la bataille des unions civiles fait rage dans une France divisée par un abîme idéologique quand il s’agit d’une alternative au mariage, voire d’une extension de celui-ci aux couples homosexuels. Entre le Contrat d’Union Civile (CUC), le contrat de vie sociale (CVS), et le pacte d’intérêt commun (PIC), la bataille des sigles fait rage jusqu’à faire oublier le côté humain de la question, avant de se terminer, le 13 octobre 1999, par le vote du PACS à l’Assemblée Nationale. Et c’est dans une telle ambiance politiquement surchauffée que débarque un roman qui parle de l’amour entre femmes comme d’une chose tout à fait normale qui ne mérite pas plus de retenir notre attention que le moindre fait divers.

Sur un plan humain et politique, on peut donc très bien comprendre que le roman, malgré des mérites littéraires qui ne dépassent pas les bornes d’un plaisir certain, ait conquis une place de choix dans la « littérature homosexuelle », fait qui explique sans doute son succès en Allemagne où une traduction a été publiée, dans des conditions politiques et sociales comparables, en 2001, l’année du vote de la loi sur l’Union civile par la Diète fédérale, décision très fortement contestée par le camp conservateur.
Compte tenu de ces circonstances politiques, et compte tenu aussi de l’importance de la question du Mariage pour tous qui agite la France depuis l’annonce par le futur président François Hollande d” « ouvrir le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels », on peut donc se demander, treize ans après le vote du PACS et dix-huit ans après la publication originelle, si les motivations de mettre ce roman à nouveau à la disposition du public dans une version numérique ne sont pas plutôt d’ordre politique. Une décision qui ramènerait donc cette histoire d’amour à ses origines et pourrait montrer qu’un roman n’est pas uniquement un phénomène littéraire et que ses connotations politiques peuvent être considérables.
Tout compte fait, c’est une lecture agréable qui aborde de graves questions (la violence conjugale, le détournement de mineurs) sans pour autant les approfondir et qui, dans l’interrogation psychologique de ses personnages, s’arrête trop tôt. On peut néanmoins le lire avec un certain plaisir, ne fût-ce que pour la légèreté avec laquelle l’amour d’Ev et d’Isabelle est présenté comme la chose la plus normale qui soit, presque, dans la mesure où c’est possible quand on parle d’amour, comme une évidence.
Louise Auger,
Ev Anckert
KTM éditions