Jean-Phi­lippe Uber­nois, Le Candauliste

Voi­ci donc l’ar­ticle qui vient de rem­por­ter le prix du grand concours de la Bauge. Avant de vous le pré­sen­ter, je tiens à dire un très grand mer­ci aux par­ti­ci­pants. Vu la qua­li­té des textes reçus, il y aura sûre­ment très pro­chai­ne­ment d’autres concours.

La gagnante, Ysa­lis K.S., a choi­si de chro­ni­quer un livre issu de la col­lec­tion e‑ros des édi­tions Domi­nique Leroy : « Le Can­dau­liste ». Ce petit texte entre de façon tout à fait heu­reuse dans les goûts de la Bauge, dont le tenant essaie depuis belle lurette de pro­po­ser à ses lec­teurs quelques-uns des plus beaux textes éro­tiques (actuels de pré­fé­rence, mais par­fois aus­si venus de plus loin).

Pen­dant qu’Y­sa­lis pro­fite du prix gra­cieu­se­ment offert par les Édi­tions Edi­cool et se laisse cap­ti­ver par les aven­tures des célèbres pirates de la route, vous décou­vri­rez les aléas d’un couple qui sonde les pro­fon­deurs d’une pra­tique plu­tôt inhabituelle.

Choi­sir une œuvre lit­té­raire numé­rique récente ?

J’au­rais pu vous par­ler d’un de mes romans pré­fé­rés, mais il n’é­tait ni récent, ni numé­rique. Par consé­quent, dans ce domaine, je vais me tour­ner vers… l’é­ro­tisme, car ma décou­verte des e‑books s’est faite par ce biais.

J’ai lu prin­ci­pa­le­ment des nou­velles, et celle que j’ai trou­vée la plus inté­res­sante, intri­gante, est sûre­ment « Le Can­dau­liste », de Jean-Phi­lippe Uber­nois, parce qu’elle asso­cie éro­tisme, lit­té­ra­ture et réflexion. Un beau tiercé.

Éro­tisme, avec une sexua­li­té plu­rielle, des dési­rs bruts et assu­més, des mots peut-être crus, mais jamais vul­gaires. L’au­teur nous offre quelques scènes expli­cites, où le désir et l’é­pa­nouis­se­ment (du couple, ou per­son­nel) ont leur place, mêlés à la com­pli­ci­té. À par­tir de là, tout est pos­sible ou presque.

Des mots crus ? Des mots vrais, sur­tout, où l’on peut se recon­naître (qu’on ait vécu ou non ce genre d’ex­pé­rience), qui retrans­crivent sans fio­ri­tures le che­min par­cou­ru par un homme et une femme, grâce à une évo­ca­tion directe de divers plai­sirs, quelles que soient leurs ori­gines. Le can­dau­lisme est une pra­tique « à part » de la sexua­li­té nor­ma­li­sée, mais ici, il est ame­né de manière habile et humaine. Il montre un couple épa­noui, dési­reux de par­ta­ger, de se dépas­ser pour mieux se retrouver.

Il n’est pas ques­tion de trom­pe­ries pré­textes à la des­crip­tion de scènes por­no­gra­phiques accu­mu­lées sur quelques pages.

Au lieu de cela, nous avons des per­son­nages avec une épais­seur, une pré­sence, ils pensent et ne sont pas juste vic­times de leurs envies. Ils ne sont pas uti­li­sés comme des pan­tins pour ser­vir une « his­toire de cul ».

Et puis, ils sont comme vous et moi, avec une petite par­ti­cu­la­ri­té qui vient pimen­ter leur vie. Ce couple cré­dible est atta­chant. Il a un pas­sé, une his­toire, et un pré­sent en pleine évo­lu­tion. Une fois son nou­vel équi­libre trou­vé, nous avons envie de le croire plus fort. Ils évo­luent, ils réflé­chissent, et leur pro­gres­sion est intéressante.

À lire :
Mélanie G., Je suis une ogresse du sexe

Quant à l’é­cri­ture, j’ai envie de dire que je l’ai trou­vée belle. Simple mais pré­cise, et c’est ça qui en fait la beau­té. L’au­teur alterne effi­ca­ce­ment les réflexions du nar­ra­teur et les scènes où l’ac­tion pré­do­mine. Ce témoi­gnage semble être écrit afin que nous accom­pa­gnions cet homme dans son ini­tia­tion. Les mots nous impliquent, et appuient les dires et pen­sées du can­dau­liste de manière très juste.

C’est là tout l’in­té­rêt du texte pour moi : il nous dévoile le pour­quoi et le comment…

J’ai appré­cié que le côté céré­bral, psy­cho­lo­gique, soit abor­dé et que le nar­ra­teur tente de nous expli­quer le che­min qu’il a par­cou­ru jus­qu’à l’ac­cep­ta­tion, mal­gré ces sen­ti­ments jus­ti­fiés qui viennent par­fois le faire souf­frir. Quand on aime quel­qu’un, on a plus sou­vent envie de le gar­der « pour soi », au lieu de le regar­der s’é­loi­gner, même tem­po­rai­re­ment, même si c’est pour mieux le retrou­ver ensuite. La peur est par­fois irra­tion­nelle, les sen­ti­ments pre­nant le pas sur la raison…

Cet homme est à la fois intri­gant et tou­chant. Il parait sin­cère, sur­tout. Il nous confie donc ses ques­tions, ses émo­tions contra­dic­toires, qui vont de la fier­té à la jalou­sie. Sa com­plexi­té est for­cé­ment intéressante.

« Mais avec toi, ce sera dif­fé­rent ! Ses der­niers mots m’ont accom­pa­gné jus­qu’à la porte de l’é­ta­blis­se­ment. J’é­tais fier d’a­voir une telle femme à mon bras, fier des regards admi­ra­tifs et du désir qu’elle sus­ci­tait. J’é­tais envié. Étais-je magna­nime ? Je l’ai regar­dée prendre du plai­sir avec autrui. Je me suis effor­cé de cacher la jalou­sie qui dans ses élan­ce­ments per­fo­rait mon ventre alors que mon désir l’en­flam­mait. » [1]Jean-Phi­lippe Uber­nois, Le can­dau­liste, Ini­tia­tions en club

Plu­sieurs ques­tions sont sub­ti­le­ment sou­le­vées, en fin de compte, dont celle de la confiance, en l’autre tout d’a­bord, mais aus­si (et sur­tout ?) en soi. Après tout, les doutes ne viennent-ils pas de là, pré­ci­sé­ment ? Par­fois, les « et si… » et les « mais pour­quoi… » s’im­posent quand on ne le veut pas, nous rap­pe­lant que rien n’est acquis.

J’ai été par­ti­cu­liè­re­ment tou­chée par cet aspect du « Can­dau­liste » : je me suis retrou­vée dans ce mélange d’é­mo­tions qu’on ne gère pas réel­le­ment mal­gré l’en­vie, dans ces doutes qui viennent quand on ne s’y attend pas for­cé­ment, dans cette impres­sion désta­bi­li­sante de ne plus maî­tri­ser, de la situa­tion ou de nos réac­tions… lors­qu’une tierce per­sonne s’in­vite dans le couple.

C’est entre autres pour cela que je suis contente de lire ces mots écrits par un homme. Ces doutes ne sont pas typi­que­ment fémi­nins, ces réac­tions peuvent aus­si être mas­cu­lines, et donc, com­prises par des hommes. Nous sor­tons du cli­ché du mâle fort, qui sépare le plus faci­le­ment du monde sexe et amour sans se poser de ques­tion, tan­dis que la femme réflé­chit beau­coup plus, deman­dant à être rassurée.

À lire :
Les Dix... font le sapin - il aura chaud, le Père Noël

Viri­li­té peut aller avec sen­ti­men­ta­li­té. Même quand on parle de candaulisme !

Mais il ne s’a­git pas que de ça.

Le nar­ra­teur nous fait part aus­si, bien sûr, de tout le plai­sir qu’il retire de ces expé­riences, mal­gré le côté para­doxal. Et là aus­si, le ton est tel, que nous y croyons, et l’am­biance décrite est bien ren­due. La construc­tion du récit y est pour beau­coup : rien ne tombe comme un che­veu sur la soupe, sans tran­si­tion, tout est expli­qué et semble « logique ». Même lorsque je pour­rais regret­ter qu’Élodie choi­sisse un homme sans avoir consul­té son com­pa­gnon aupa­ra­vant, la suite me montre que la conni­vence reste présente.

« Élo­die, ma salope, n’en était qu’aux com­men­ce­ments de sa débauche et moi de cette curieuse forme d’a­vi­lis­se­ment. Mais est-ce un avi­lis­se­ment ? Je l’ai cru un temps. Je sem­blais perdre en digni­té aux yeux des autres, je m’hu­mi­liais selon leurs modes de pen­sée à la voir prise jus­qu’à deux ori­fices à la fois par des mâles en rut. Je me suis pour­tant sen­ti pro­gres­si­ve­ment gran­di, car capable de sur­mon­ter la jalou­sie, et capable d’être heu­reux de la voir vivre et prendre du plai­sir à l’ex­té­rieur de notre couple. » [2]Révé­la­tion

Et puis, il y a la fier­té d’a­voir su se dépas­ser. D’être arri­vé à gran­dir, aidé par le / la par­te­naire qui éveille le désir, encou­rage et rassure.

En consé­quence, je crois que cette nou­velle peut être lue par toute per­sonne un peu curieuse, dési­reuse de com­prendre, recher­chant un éro­tisme de qua­li­té, avec une réelle his­toire qui res­semble à une his­toire réelle. Ce texte aide à dé-dia­bo­li­ser les pra­tiques sor­tant un peu des normes, de la sexua­li­té sage. Avoir le cou­rage d’o­ser mettre en dan­ger son couple demande de la force, et cela ne signi­fie pas juste que ces per­sonnes sont étranges voire mal­saines, avec leur vision de l’a­mour ou du couple quelque peu différente.

Quant à moi, je me suis posée une ques­tion : le can­dau­lisme est un « jeu » où l’homme prend plai­sir à expo­ser sa com­plice, ou à la regar­der prendre du plai­sir avec un autre homme… La réci­proque existe-t-elle ? Et a‑t-elle un nom ?

Ysa­lis K.S.

Jean-Phi­lippe Uber­nois
Le Can­dau­liste
Édi­tions Domi­nique Leroy
ISBN : 978−2−86688−585−4

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Jean-Phi­lippe Uber­nois, Le can­dau­liste, Ini­tia­tions en club
2 Révé­la­tion
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

Une réponse à “Jean-Phi­lippe Uber­nois, Le Candauliste”

  1. sym­pa ce livre en espé­rant un jour le voir sur le plus grand site de ren­contre can­dau­lisme qui est http://www.candauliste.com