Julie-Anne de Sée, Amuse-bouche et autres his­to­riettes croustillantes

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Je me demande tou­jours si on peut qua­li­fier le texte de Julie-Anne de Sée, Amuse-bouche et autres his­to­riettes crous­tillantes, de recueil. Il est vrai que le titre peut prê­ter à confu­sion, l’a­muse-bouche arri­vant en géné­ral accom­pa­gné d’une joyeuse bande de congé­nères, même si le sin­gu­lier si judi­cieu­se­ment employé par l’au­teure aurait pu aver­tir le lec­teur atten­tif. Mais comme la qua­trième de cou­ver­ture pré­cise bien que « chaque his­to­riette peut être lue  indé­pen­dam­ment des autres », je me suis lais­sé embar­quer dans cette expé­di­tion, un brin inat­ten­tif, avec l’i­dée que j’al­lais avoir affaire à un recueil de nou­velles. Et j’ai mis plu­sieurs cha­pitres à réa­li­ser que les mor­ceaux crous­tillants que j’é­tais en train de dégus­ter étaient reliés entre eux par une intrigue d’une uni­té en fin de compte très stricte, uni­té qui se conjugue et se brise, à la manière d’un kaléi­do­scope, aux facettes bario­lées de la mul­ti­tude des aven­tures que s’ap­prête à vivre son héroïne, cette autre Julie-Anne dont on aime­rait croire, sans pour­tant jamais pou­voir l’af­fir­mer, qu’elle est l’alter ego de l’au­teure. Parce que, avouons-le, la réa­li­té peut avoir un charme autre­ment plus cor­sé que l’i­ma­gi­naire, et je me sou­viens encore d’un jour­nal de guerre dont la lec­ture m’a fait tel­le­ment froid dans le dos que j’au­rais don­né toutes les pages d’un Heming­way pour une seule ligne du Jour­nal de guerre espa­gnol du grand Kan­to­ro­wicz. Mais là n’est pas notre pro­pos, et il ne s’a­git pas ici de savoir si l’au­teure se glisse de temps en temps dans la peau de son per­son­nage ou fait revivre à celui-ci l’une ou l’autre de ses propres expériences.

À lire :
Fotsix, Juste le temps de trois épisodes…

Amuse-bouche, c’est donc le récit d’une his­toire vécue par Julie-Anne avec quel­qu’un qui par­tage avec la divi­ni­té la pré­ro­ga­tive de se voir dis­tin­guer par l’emploi sys­té­ma­tique de la majus­cule, « Lui », son « Grand Amour ». His­toire que le lec­teur peut suivre, à tra­vers une mul­ti­tude d’é­pi­sodes, depuis la pre­mière ren­contre jus­qu’à la conclu­sion, pas néces­sai­re­ment dans un ordre tem­po­rel très strict. Une his­toire qui connaît ses bas et ses hauts, ses moments de doute et de révolte, ses apo­théoses char­nelles, ses tra­hi­sons et ses récon­ci­lia­tions. Une aven­ture donc pro­fon­dé­ment humaine dont l’in­ten­si­té per­met­tra à Julie-Anne de son­der la pro­fon­deur de ses dési­rs et de ses appé­tits, de s’é­pa­nouir au gré des étapes suc­ces­sives et de par­ve­nir à un degré de liber­té dont elle ne se serait jamais cru capable. Parce que, mal­gré le carac­tère pos­ses­sif de celui qu’elle aime, mal­gré (où à cause de) la volon­té de celui-ci de mar­quer de son cachet celle qui est cen­sée lui appar­te­nir, Julie-Anne (et le lec­teur avec elle) assiste à l’é­veil pro­gres­sif d’une sen­sua­li­té et d’un appé­tit qui sus­citent d’é­tranges rêve­ries éro­tiques, la ren­dant capable de flai­rer le poten­tiel éro­tique de celles et de ceux qu’elle croise et avec les­quels elle par­tage des ins­tants ini­tia­tiques, lui fai­sant recher­cher les situa­tions qui lui per­mettent de pous­ser plus loin sa quête de l’é­pa­nouis­se­ment sexuel et de pro­vi­soi­re­ment assou­vir la bête éter­nel­le­ment occu­pée à lui remuer les entrailles.

Cette intrigue n’a évi­dem­ment rien de très spé­cial – nil novi sub sole – mais le texte se dis­tingue par un raf­fi­ne­ment lin­guis­tique que Julie-Anne de Sée, plei­ne­ment consciente de sa maî­trise dans l’u­sage des armes qu’elle s’est choi­sis, sait exploi­ter à fond pour semer un trouble déli­cieux quand elle décrit, dans le moindre détail, les situa­tions les plus sca­breuses et les pos­tures les plus indécentes :

« J’ai adou­ci ma peau, minu­tieu­se­ment rasé ma chatte, fai­sant presque le grand écart au-des­sus du miroir pour que la rouge gre­nade entrou­verte soit lisse et tendre aux caresses. » [1]Julie-Anne de Sée, Amuse-bouche et autres his­to­riettes crous­tillantes, page 12

Forte de cette maî­trise, l’au­teure pousse sa pro­ta­go­niste tou­jours plus loin sur la pente de ses fan­tasmes, dans la réa­li­sa­tion des­quels celle-ci puise la force qui la rend  fina­le­ment capable de décou­vrir la trame qui se tisse, de déjouer l’a­gen­da secret de l’a­mant-ogre et de sor­tir de sa chry­sa­lide, sans oublier de ména­ger une der­nière sur­prise à celui qu’elle vient de rayer de sa vie.

À lire :
Julie-Anne de Sée, Dix bonbons à l’Amante

Je me per­mets de reve­nir vers le début de cet article pour une der­nière remarque avant de conclure : L’u­ni­té du récit est fina­le­ment telle qu’une lec­ture sépa­rée des mor­ceaux ne peut pas vrai­ment s’en­vi­sa­ger. Ceux-ci sont de toute façon tel­le­ment  crous­tillants que le lec­teur, envoû­té par l’é­ro­tisme ouver­te­ment por­no­gra­phique et les rebon­dis­se­ments d’une intrigue bien réflé­chie, pris dans les filets d’un fran­çais au charme impec­cable, ne se sent pas la moindre envie d’ar­rê­ter la lec­ture de ce récit et se laisse volon­tiers entraî­ner tou­jours plus loin par la voix aga­çam­ment sen­suelle de Julie-Anne de Sée.

Julie-Anne de Sée
Amuse-bouche
Tabou Édi­tions
ASIN : B01BP0EWXY

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Julie-Anne de Sée, Amuse-bouche et autres his­to­riettes crous­tillantes, page 12
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95