En-tête de la Bauge littéraire

Geor­gia Daga­ki en concert à Cologne

Georgia Dagaki à Cologne le 3 novembre 2014
Geor­gia Daga­ki à Cologne le 03/11/2014

Par­fois, rare­ment, cela m’ar­rive de par­ler musique. Disons très rare­ment plu­tôt. Et quand cela m’ar­rive, c’est l’ef­fet d’un coup de foudre, comme par exemple après avoir enten­du chan­ter la belle Jen­ny Sku­lan­der, chan­teuse de feu Slip­ping Tongue, for­ma­tion néo-zélan­daise d’ex­cel­lente mémoire. Cette fois-ci, si c’est tou­jours un coup de foudre qui me pousse à écrire, c’en est un qui curieu­se­ment s’é­tire dans le temps et qui a encore furieu­se­ment fait reten­tir les parois de mon crâne à l’oc­ca­sion d’un concert de Geor­gia Daga­ki à Cologne, concert pas du tout annon­cé dans les médias locaux et que j’au­rais sans doute raté si je n’a­vais pu pro­fi­ter des aver­tis­se­ments pos­tés sur les réseaux sociaux, notam­ment Face­book où je suis abon­né depuis des années à la page de la belle musi­cienne Grecque.

Je ne sais même plus quand et par quel hasard j’ai pu décou­vrir cette jeune musi­cienne, chan­teuse et vir­tuose, qui inter­prète les chan­sons de son île en s’ac­com­pa­gnant sur l’ins­tru­ment qui, d’a­près la Wiki­pé­dia, domine la « musique tra­di­tion­nelle cré­toise », la Lyra, sorte de petit vio­lon à trois cordes.  Tou­jours est-il que je l’ai dans la peau depuis l’ins­tant où j’ai pour la pre­mière fois enten­du sa voix, tour à tour sou­te­nue et assié­gée par un jeu qui oscille entre la rete­nue extrême de la jeune fille fra­gile et l’in­croyable déchaî­ne­ment de la femme mûrie au soleil tor­ride de la Grèce, et dont la voix rap­pelle l’o­rient fan­tas­mé et volup­tueux dans lequel se sont engouf­frés les meilleurs et les pires fan­tasmes d’un Occi­dent en proie à l’hy­po­ther­mie. Tou­jours est-il qu’il y a des jours où je n’en­tends rien d’autre que ses chan­sons dont on trouve une bonne par­tie sur la toile et qui sont, grâce au réseau mon­dial et à l’in­ven­tion de la com­pres­sion numé­rique, dis­po­nibles un peu par­tout dans le monde (voir la par­tie Dis­co­gra­phie). Un fait qui m’a­mène à évo­quer un constat tout à fait contraire à l’ou­ver­ture glo­bale dont inter­net est sans doute un des meilleurs sym­boles : le cloi­son­ne­ment qui sub­siste à l’in­té­rieur des socié­tés for­te­ment atteintes pour­tant par les migra­tions. Si je ne peux pas dire que j’é­tais le seul Teu­ton qui ait assis­té au concert en ques­tion de Geor­gia Daga­ki , le 3 novembre 2014, dans une petite salle de Cologne, je n’en étais pour­tant pas très loin. Certes, il y a eu avec moi un de mes meilleurs copains (qui a eu bien du mal à s’ar­ra­cher de sa place après la fin de la per­for­mance), et il m’a sem­blé dis­cer­ner dans l’as­sis­tance (à peu près 200 per­sonnes) une ou deux figures qui rap­pe­laient plus les forêts bru­meuses de la Ger­ma­nie que les pierres gor­gées de soleil des îles grecques (cli­ché quand tu nous tiens !), mais l’é­cra­sante majo­ri­té du public avait sans aucun doute des ori­gines hel­lènes. Un public d’ailleurs très majo­ri­tai­re­ment fémi­nin, com­po­sé de tous les âges, des ado­les­centes pim­pantes aux matrones à la cor­pu­lence cer­taine. Autant dire que le San­glier, petit vicieux qu’il est, y était très à l’aise.

À lire :
La France qui bouge - impressions d'un mini-Festival

Mais reve­nons vers les choses sérieuses. Com­ment se fait-il que, mal­gré la mobi­li­té pra­ti­que­ment uni­ver­selle et l’a­bo­li­tion des fron­tières dans les espaces numé­riques, celles-ci s’obs­tinent à per­du­rer ? Certes, il y a par­fois, dans le numé­rique, des obs­tacles d’ordre légal dont cer­tains font tré­bu­cher l’in­ter­naute qui aime­rait faire ses courses – numé­riques mais pas vir­tuelles – au-delà des fron­tières, cer­tains contrats réser­vant la vente (d’un livre, par exemple) à des zones exclu­sives. Mais cela serait plu­tôt une consé­quence que l’o­ri­gine du pro­blème du cloi­son­ne­ment per­sis­tant qui nous occupe. En résu­mé, il y a donc une musi­cienne grecque qui a sor­ti au moins deux albums chez des labels alle­mands, qui vient en Alle­magne pour faire la pub de son nou­vel album, qui se lance dans une mini tour­née, et qui ne se pro­duit que devant des qua­si-com­pa­triotes ? Où est donc cette ouver­ture des socié­tés post-modernes ? Qu’en est-il de l’es­pace ouvert euro­péen ? Certes, on se rend aux plages de la Médi­ter­ra­née pour quelques jours sous le soleil, on pro­fite des vols low cost pour se pro­me­ner dans les capi­tales et les grandes villes euro­péennes, mais qu’est-ce qu’on rap­porte de là-bas autre que les coups de soleils et quelques kilos sup­plé­men­taires ? Vu le nombre d’Al­le­mands (ou de Fran­çais ou de Belges) qui se rendent chaque été en Grèce, j’au­rais quand même ima­gi­né voir un cer­tain nombre de ceux-ci pro­fi­ter de la pré­sence d’une musi­cienne aus­si talen­tueuse que Geor­gia Daga­ki. Il sem­ble­rait que l’u­ni­fi­ca­tion euro­péenne pren­dra encore du temps, beau­coup de temps, sur­tout quand il s’a­git de deman­der aux gens d’ou­vrir les yeux et les oreilles pour pro­fi­ter des richesses que les autres apportent à la construc­tion de la mai­son com­mune. En atten­dant, on peut faire pas­ser le temps en écou­tant de la musique. Et pour­quoi pas celle de Geor­gia Dagaki ?

À lire :
Pour finir en douceur ...
Georgia Dagaki, les étapes de sa tournée allemande

Dis­co­gra­phie

Astuce : Cli­quer sur les cou­ver­tures pour suivre le lien vers le comp­toir Google.

PS : Geor­gia Daga­ki étant Greque, son nom s’é­crit natu­rel­le­ment en lettres grecques, ce qui donne « Γεωργία Νταγάκη ». Trans­crit en lettres romaines, il fau­drait écrire « Geor­gia Nta­ga­ki », mais comme la com­bi­nai­son « NT » sert à signi­fier la sono­ri­sa­tion de l’oc­clu­sive den­tale [t] en [d], cer­tains ont opté pour un rac­cour­ci lin­guis­tique en écri­vant direc­te­ment Daga­ki. Ortho­graphe reprise et sanc­tion­née par l’ar­tiste elle-même.