
Parfois, rarement, cela m’arrive de parler musique. Disons très rarement plutôt. Et quand cela m’arrive, c’est l’effet d’un coup de foudre, comme par exemple après avoir entendu chanter la belle Jenny Skulander, chanteuse de feu Slipping Tongue, formation néo-zélandaise d’excellente mémoire. Cette fois-ci, si c’est toujours un coup de foudre qui me pousse à écrire, c’en est un qui curieusement s’étire dans le temps et qui a encore furieusement fait retentir les parois de mon crâne à l’occasion d’un concert de Georgia Dagaki à Cologne, concert pas du tout annoncé dans les médias locaux et que j’aurais sans doute raté si je n’avais pu profiter des avertissements postés sur les réseaux sociaux, notamment Facebook où je suis abonné depuis des années à la page de la belle musicienne Grecque.
Je ne sais même plus quand et par quel hasard j’ai pu découvrir cette jeune musicienne, chanteuse et virtuose, qui interprète les chansons de son île en s’accompagnant sur l’instrument qui, d’après la Wikipédia, domine la « musique traditionnelle crétoise », la Lyra, sorte de petit violon à trois cordes. Toujours est-il que je l’ai dans la peau depuis l’instant où j’ai pour la première fois entendu sa voix, tour à tour soutenue et assiégée par un jeu qui oscille entre la retenue extrême de la jeune fille fragile et l’incroyable déchaînement de la femme mûrie au soleil torride de la Grèce, et dont la voix rappelle l’orient fantasmé et voluptueux dans lequel se sont engouffrés les meilleurs et les pires fantasmes d’un Occident en proie à l’hypothermie. Toujours est-il qu’il y a des jours où je n’entends rien d’autre que ses chansons dont on trouve une bonne partie sur la toile et qui sont, grâce au réseau mondial et à l’invention de la compression numérique, disponibles un peu partout dans le monde (voir la partie Discographie). Un fait qui m’amène à évoquer un constat tout à fait contraire à l’ouverture globale dont internet est sans doute un des meilleurs symboles : le cloisonnement qui subsiste à l’intérieur des sociétés fortement atteintes pourtant par les migrations. Si je ne peux pas dire que j’étais le seul Teuton qui ait assisté au concert en question de Georgia Dagaki , le 3 novembre 2014, dans une petite salle de Cologne, je n’en étais pourtant pas très loin. Certes, il y a eu avec moi un de mes meilleurs copains (qui a eu bien du mal à s’arracher de sa place après la fin de la performance), et il m’a semblé discerner dans l’assistance (à peu près 200 personnes) une ou deux figures qui rappelaient plus les forêts brumeuses de la Germanie que les pierres gorgées de soleil des îles grecques (cliché quand tu nous tiens !), mais l’écrasante majorité du public avait sans aucun doute des origines hellènes. Un public d’ailleurs très majoritairement féminin, composé de tous les âges, des adolescentes pimpantes aux matrones à la corpulence certaine. Autant dire que le Sanglier, petit vicieux qu’il est, y était très à l’aise.
Mais revenons vers les choses sérieuses. Comment se fait-il que, malgré la mobilité pratiquement universelle et l’abolition des frontières dans les espaces numériques, celles-ci s’obstinent à perdurer ? Certes, il y a parfois, dans le numérique, des obstacles d’ordre légal dont certains font trébucher l’internaute qui aimerait faire ses courses – numériques mais pas virtuelles – au-delà des frontières, certains contrats réservant la vente (d’un livre, par exemple) à des zones exclusives. Mais cela serait plutôt une conséquence que l’origine du problème du cloisonnement persistant qui nous occupe. En résumé, il y a donc une musicienne grecque qui a sorti au moins deux albums chez des labels allemands, qui vient en Allemagne pour faire la pub de son nouvel album, qui se lance dans une mini tournée, et qui ne se produit que devant des quasi-compatriotes ? Où est donc cette ouverture des sociétés post-modernes ? Qu’en est-il de l’espace ouvert européen ? Certes, on se rend aux plages de la Méditerranée pour quelques jours sous le soleil, on profite des vols low cost pour se promener dans les capitales et les grandes villes européennes, mais qu’est-ce qu’on rapporte de là-bas autre que les coups de soleils et quelques kilos supplémentaires ? Vu le nombre d’Allemands (ou de Français ou de Belges) qui se rendent chaque été en Grèce, j’aurais quand même imaginé voir un certain nombre de ceux-ci profiter de la présence d’une musicienne aussi talentueuse que Georgia Dagaki. Il semblerait que l’unification européenne prendra encore du temps, beaucoup de temps, surtout quand il s’agit de demander aux gens d’ouvrir les yeux et les oreilles pour profiter des richesses que les autres apportent à la construction de la maison commune. En attendant, on peut faire passer le temps en écoutant de la musique. Et pourquoi pas celle de Georgia Dagaki ?

Discographie
Astuce : Cliquer sur les couvertures pour suivre le lien vers le comptoir Google.






PS : Georgia Dagaki étant Greque, son nom s’écrit naturellement en lettres grecques, ce qui donne « Γεωργία Νταγάκη ». Transcrit en lettres romaines, il faudrait écrire « Georgia Ntagaki », mais comme la combinaison « NT » sert à signifier la sonorisation de l’occlusive dentale [t] en [d], certains ont opté pour un raccourci linguistique en écrivant directement Dagaki. Orthographe reprise et sanctionnée par l’artiste elle-même.