Le 25 septembre, il y a eu deux concerts extraordinaires à Cologne :
À la Philharmonie, pour célébrer son 25me anniversaire, on donne la huitième de Gustav Mahler, dite « Symphonie des Mille » à cause du très grand nombre de choristes qu’il faut mobiliser. Symphonie manifestement mégalomane, véritable illustration de l’aridité artistique qui règne sur les hauteurs extrêmes auxquelles le romantisme musical a pu se hisser – pour prolonger son coucher de soleil ? – en déployant tous les efforts imaginables, en infligeant toutes les peines possibles aux musiciens, grinçant de détresse et toujours près de plonger dans l’abîme pour y crever dans d’atroces convulsions…

Et tandis que tout ça se prépare, un autre monde se manifeste dans la salle de la radio ouest-allemande, une bonne centaine de mètres à peine plus loin. Une poignée de musiciens, autour du chanteur américain Joel Frederiksen, s’apprête à faire revivre des airs qui enchantaient déjà les demeures du grand Louis et de ses vassaux.
Sur l’estrade, sept musiciens, chacun un virtuose sur son instrument, mais prêt, au besoin, à rentrer dans les rangs et à se soumettre aux besoins de l’ensemble. Dès l’entrée de Joel et d’Axelle, le zéphyr commence à souffler et embaume le décor austère de l’ancienne salle philharmonique où l’assistance voit renaître de ses cendres une Arcadie où rôdent les ombres des bergers, tandis que la Mort semble avoir oublié sa propre devise, rendue immortelle pourtant par le Poussin.
Étrange contraste que celui entre, d’un côté, une symphonie qui déjà échappe aux limites de sa définition et où un ego par trop « fin de siècle » fait parader des centaines d’hommes et de femmes pour crier ses misères et ses joies et, de l’autre, un univers où tout est artificiel au plus haut degré et qui ne rappelle rien autant qu’un printemps sorti tout droit d’un tableau de Botticelli. Comme quoi on n’a besoin que de quelques voix et de quelques coups d’archets pour évoquer, ne fût-ce que pendant quelques instants, une idée de la beauté intemporelle enfouie dans la voix de Joel et dans les profondeurs du bois empreint d’harmonies de Kumiko.
Liens
Gustav Mahler : Symphonie N° 8
Ensemble Phoenix Munich, Paris 1706 – L’Amour et Baccus

PS – Juste une petite idée inspirée par les considérations à propos des ultimes exploits de la musique « romantique » : Mahler est mort en 1911, et avec lui, pourrait-on prétendre, la musique traditionnelle, tandis qu’en 1913, Stravinski créa, avec le « Sacre du Printemps », la première oeuvre résolument « moderne ». Des dates aussi rapprochées, et pourtant quel abîme entre les deux.