
Il y a quelques semaines, le 15 décembre 2014, Walrus Ebooks, pure player qui s’est taillé une solide réputation d’éditeur de textes de qualité, a lancé l’expérience Radius, polyphonie littéraire qui rassemble une poignée d’auteurs autour d’un éditeur-scénariste pour raconter une histoire des plus fascinantes, vue à travers les yeux de plusieurs narrateurs, offrant ainsi au lecteur une multitude d’approches pour plonger dans cet univers inquiétant. Après avoir suivi de près le cheminement des éditions Walrus et de Julien Simon, protagoniste de cette aventure éditoriale, le temps est venu d’inviter celui-ci dans la Bauge littéraire et de lui donner l’occasion de s’exprimer au sujet de ses projets, de donner sa vision du monde éditorial, monde en pleine ébullition depuis l’entrée en scène du numérique.
La Bauge littéraire : Julien, bienvenue dans la Bauge littéraire et merci d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. J’ai été fasciné par la lecture de Radius Experience, lecture suivie d’une analyse qui a soulevé un nombre de questions liées à tous les aspects – littéraires et autres – du projet. Mais commençons par le début : Est-ce que tu peux détailler pour mes lecteurs les interrogations qui ont conduit les éditions Walrus à remettre en question le livre numérique tel que nous le connaissons depuis un certain temps déjà, et de s’orienter vers le livre-web ?
Julien Simon : Walrus est une structure d’édition indépendante et, à ce titre, dispose d’une certaine latitude pour les expérimentations. Outre l’intérêt évident que nous portons à toute tentative d’innovation éditoriale, nous nous sentons aussi en devoir d’essayer de nouvelles choses, simplement parce que nous le pouvons et que les auteurs qui nous suivent sont aussi fous que nous. La remise en cause du livre numérique n’en est pas vraiment une, puisque nous continuons bien évidemment de publier nos nouveautés en epub et qu’il n’y a pas de raison pour l’instant que cela s’arrête, mais nous pensons qu’il peut exister d’autres voies parallèles, qui portent d’autres projets. En somme, le livre-web est un chemin complémentaire, pas une tentative de remise à zéro des codes de l’édition. Même si chez Walrus, nous pensons — sans vouloir jouer les voyants ou les gourous — que les questions de l’accessibilité et de diffusion internationale vont jouer un rôle dans la bascule. Dans un marché de plus en plus fragmenté, trusté par les grandes plateformes de vente américaines, les éditeurs, petits et grands, ont tout intérêt à réfléchir à des modes de distribution plus directs.
BL : Radius, ce n’est pas seulement un support qui change par rapport au livre numérique disponible aux formats EPUB ou MOBI, c’est aussi une écriture en direct, un espace qui invite / oblige les lecteurs à revenir, et cela pendant assez longtemps. Est-ce que l’idée même du livre-web implique cette conception d’une écriture en progression ou est-ce qu’on peut la réduire à la seule question du support ?
JS : Pas forcément, mais cela fait partie du « langage ». C’est presque de la sémantique web, on s’attend à ce que cela progresse, évolue au fil du temps, que cela s’enrichisse chronologiquement et, pourquoi pas, qualitativement. Réduire le livre-web à la question du support est à la fois tentant et dangereux : parce qu’en la réduisant au support, on oublie la dimension littéraire derrière Radius. À trop parler du support, on oublie les auteurs et c’est justement ce que nous avons voulu éviter avec Radius : interface simple, design épuré, tout concourt à mettre en avant le travail des auteurs. C’est pour eux et par eux que Radius existe. Le direct n’est qu’une composante de leur travail, une contrainte parfois, mais je crois beaucoup au pouvoir de la contrainte pour produire des œuvres différentes. Et nous avons à cœur de proposer des choses différentes.
BL : Ton alter égo, Neil Jomunsi, a déjà eu l’occasion de se lancer dans un projet littéraire de grande envergure en publiant, pendant un an, une nouvelle par semaine, le célèbre Projet Bradbury. Quelles sont les répercussions de ce projet-là sur Radius ? Est-ce qu’il a fallu passer par Bradbury pour pouvoir réaliser Radius ?
JS : Les deux expériences sont extrêmement différentes, mais comme je le disais juste au-dessus, il y a une part de contrainte qui n’est pas sans rappeler le Projet Bradbury. Dans Radius, les auteurs peuvent s’épauler : ils sont plusieurs et quand l’un ne publie pas, part en vacances, etc, les autres peuvent prendre le relais. Du moins c’est comme cela que ça devrait se passer. Nous verrons comment ils tiennent la cadence. Le Projet Bradbury m’a néanmoins appris une chose : écrire est un art qui se travaille, qui se sculpte, se modèle avec l’entraînement et l’expérience. Proposer une expérience d’écriture qui s’étale sur un an est, à mon avis, quelque chose que chaque auteur devrait à un moment envisager dans sa carrière s’il souhaite passer au stade suivant. C’est très formateur, je crois.
BL : Comment s’est fait le choix des auteurs ? Est-ce qu’il y a eu une sorte d’appel à textes interne, réservé aux seuls auteurs Walrus (vu qu’il fallait garder le secret) ? Ou est-ce que tout s’explique par les préférences ou le feeling de l’éditeur ?
JS : Au début, nous étions à peu près une douzaine d’auteurs. Le choix s’est fait très simplement : J’ai contacté les auteurs que j’estimais capables de réussir un tel défi, je leur ai expliqué le concept et ils ont ou non manifesté leur intérêt. Comme le projet a été préparé un an en amont et qu’il a fallu déjà écrire tout le background des personnages, certains se sont rendus compte que leur emploi du temps ne leur permettait pas de tenir le rythme, d’autres ont peut-être été effrayés par le support ou l’ampleur du travail. Dans tous les cas, les six auteurs qui restent sont ceux qui ont tenu le coup et dont l’enthousiasme n’a pas été ébréché par les reports. Je leur en suis donc extrêmement reconnaissants, et je suis fier de leur travail : à chaque texte, ils me surprennent et me confortent dans mon choix de leur faire confiance. Ce qui se produit sur Radius est vraiment de la littérature comme je l’attendais. C’en est même parfois surprenant.
BL : Parlons économie : Le nombre d’abonnements déjà conclus, correspond-il à tes attentes ?
JS : On espère toujours davantage, mais je suis réaliste : une expérience comme celle-ci ne peut pas attirer les foules. En revanche, elle attire un lectorat motivé et qui, s’il est conquis, peut se montrer fidèle à ses auteurs de prédilection. On a tous, en tant qu’auteurs, en tant qu’éditeurs, besoin d’un lectorat fidèle. C’est pour lui que nous faisons Radius, et tout le reste aussi d’ailleurs : pour les quelques centaines qui nous suivent fidèlement, pour les quelques milliers qui nous suivent sur les réseaux sociaux… si on peut faire mieux, tant mieux. Mais notre cible, ce sont eux.
BL : À propos des personnages de Radius, on constate rapidement que ce sont exclusivement des hommes, à l’exception de deux ou trois figurantes qui sortent un peu du rang comme Anita, l’assistante du Père Stan. Pourquoi ce déséquilibre entre les sexes, surtout quand on sait qu’il y a, avec Aude Cenga, une plume féminine parmi les auteurs participants ?
JS : Ce serait une question à poser aux auteurs, je ne suis pas intervenu dans la création des personnages. Il y avait un personnage féminin à la base, mais l’auteure en question s’est finalement désistée car elle avait beaucoup de travail par ailleurs. Ça s’est fait comme ça. D’une manière générale, ça dénote aussi une attitude globale vis-à-vis des personnages féminins à laquelle Radius n’échappe malheureusement pas.
BL : Radius, c’est aussi un défi technologique. Il a fallu trouver une plate-forme adaptée, programmer la parution de nouveaux chapitres, assurer l’accès aux seuls abonnés tout en permettant aux autres de voir des morceaux choisis, offrir une possibilité d’organiser les chapitres selon les préférences des lecteurs, par auteur ou plutôt dans un ordre chronologique. Je suppose qu’il n’y a pas de plate-forme toute faite pour une telle approche et qu’il a donc fallu investir. N’est-ce pas prohibitif pour un petit éditeur comme Walrus ? Autrement dit, est-ce que la survie de Walrus est liée au succès de l’expérience ?
JS : La survie, non, même si nous sommes toujours sur le fil avec nos expérimentations. Forcément, un succès nous tirerait une fière épine du pied, mais nous savons pertinemment que nous ne faisons pas du grand public : Radius s’adresse à tous, bien sûr, mais les médias favoriseront des approches plus mainstream de la littérature. Je ne peux pas leur en vouloir, les choses sont ainsi faites. Quant à l’investissement initial, il a surtout été un investissement en temps et en compétences. Walrus possède en interne, grâce à l’un de ses fondateurs Jérémie Gisserot (avec son studio web Labubulle), les compétences nécessaires à un tel projet. Nous ne nous sommes pas privés pour en profiter. Le temps est aussi un luxe.
BL : On constate parfois, en suivant de près les publications, des dérapages éditoriaux, comme dans les publications d’Antoine Griot du 14 et du 17 janvier 2015 qui contiennent deux passages presque identiques. Est-ce que le défi technologique lié au livre-web accapare trop de temps au dépens du travail éditorial ? En d’autres termes : est-ce que les textes publiés en mode web sont nécessairement moins soignés que ce que les lecteurs ont le droit d’attendre, à moins d’investir dans des ressources supplémentaires ? [1]Un exemple : 14 janvier (Conversation secrète) Je vais quitter la France parce que j’ai la trouille. J’ai recommencé à suivre les informations depuis que je suis installé ici, à … Continue reading
JS : Ça peut arriver qu’un auteur se répète. C’est le jeu du direct, mais je ne vois pas en quoi c’est un problème. On fait ce qu’on peut (beaucoup) avec les ressources que l’on a (très peu). Alors si la seule chose qu’on puisse reprocher à Radius, c’est que certains textes se répètent, franchement, ça me va. Les auteurs font sur ce projet un travail titanesque. Le direct contraint forcément à ce que les textes soient plus spontanés. Cela fait partie de l’expérience. On ne peut pas faire de généralités, surtout pas à partir d’un seul exemple hors de son contexte.
BL : Un éditeur, ça doit gagner de l’argent. Désolé de formuler cette évidence, mais il faut passer par là pour aborder la question de la protection du droit d’auteur. On sait, depuis le temps, que les DRM ne sont pas une réponse valable à cette question et que les seuls qui en font les frais sont les lecteurs honnêtes. Mais la protection des sites web est sans doute bien plus faible encore que celle offerte par les DRM sur un livre numérique « classique ». Comment est-ce qu’on peut envisager, dans un tel contexte, la protection du contenu ?
JS : Je ne crois pas au sens strict dans la « protection » d’un contenu. De quoi on le protège ? Des lecteurs ? Ceux qui ne veulent pas payer trouveront toujours un moyen de le faire. Je suis, par principe, contre toute forme de DRM, et je préfère me concentrer sur les quelques uns qui décident de soutenir une démarche artistique forte et originale. Ceux-là sont ma seule préoccupation. Et ce sont les auteurs qu’il faut protéger.
BL : Le projet Radius demande de grands efforts et un engagement important sur la durée à celles et à ceux qui y participent. En même temps, les séries littéraires avortées, ce n’est pas ce qui manque sur la toile. Comment alors assurer la continuité et la bonne conclusion d’un tel projet, surtout quand on sait que les droits d’auteur, divisés par six ou sept (pour ne pas parler d’autres contributeurs), risquent d’être plutôt symboliques ?
JS : L’argent n’a jamais été le moteur de la création chez Walrus. De toute façon, vu le peu d’argent que l’on gagne avec, ce serait mentir que de prétendre le contraire. La quasi-totalité des bénéfices retourne aux auteurs et en frais de fonctionnement. Je ne me paye pas, je reverse également l’intégralité de mes droits d’auteur en tant que Neil Jomunsi à Walrus. La motivation d’un auteur ne peut pas se réduire donc à l’argent qu’il peut en retirer, même si cela entre évidemment en ligne de compte. La continuité, on verra : je ne peux pas prédire l’avenir. On verra si les auteurs tiennent le coup, et s’ils trouvent dans le fait de bâtir un univers cohérent et passionnant la motivation nécessaire.
BL : Julien, parlons un peu contenu ! Tu as rapproché le procédé narratif de Radius d’un « immense jeu de rôle littéraire ». Est-ce que tu peux nous révéler quelques détails supplémentaires à propos du fonctionnement du projet, de la façon d’organiser le travail en équipe ?
JS : Notre équipe est en discussion permanente, en sous-marin oserais-je dire : nous communiquons via Facebook, sur un groupe privé où nous échangeons toutes les informations nécessaires au bon fonctionnement de l’histoire. J’annonce les évènements à venir au groupe environ une semaine à l’avance, de manière à ce qu’ils puissent s’y préparer. Les auteurs s’organisent aussi entre eux, indépendamment du scénariste : ils dialoguent leurs rencontres, se mettre d’accord sur des croisements entre leurs histoires. Enfin, une partie de l’histoire se passe même exclusivement entre nous, par mails interposés. Cette partie sous-marine a bien entendu une influence sur la publication finale. En dehors de cela, les auteurs ont une totale liberté éditoriale. Les corrections se font en interne, les auteurs se corrigent les uns et les autres et je relis bien entendu toutes les contributions. Mais je n’érige aucune barrière.
BL : Tu as annoncé, sur le blog des éditions Walrus, la fin du format EPUB et, dans la foulée, du livre numérique. Et pourtant, le livre numérique qu’on télécharge dans sa librairie préférée et qu’on peut stocker sur sa tablette ou sa liseuse, c’est un moyen de s’assurer de la pérennité de celui-ci, tandis qu’un site web peut disparaître et que la sauvegarde des textes contenus relève plutôt du domaine des professionnels, au moins quand on voudrait se retrouver avec quelque chose d’utilisable. Comment engager les lecteurs à te suivre dans une démarche dont certains ne comprendront peut-être pas tout de suite l’utilité, comme le laissent supposer les critiques formulées, par exemple, par le TeamAlexandriz ?
JS : Je me suis déjà longuement exprimé sur le sujet et je ne voudrais pas infliger de nouveau cette pénible conversation à tes lecteurs, qui peuvent retrouver tout ce que j’ai déjà dit sur le blog des éditions Walrus. Quant aux critiques de la Team Alexandriz — ou de la personne qui parle au nom de cette désormais défunte entité — je les comprends sans les partager. Radius est une expérience qui n’a pas vocation à remplacer ni le livre papier, ni le livre numérique, ni le web. Ce n’est pas parce qu’on a inventé le four à micro-ondes que les cheminées ont été éradiquées. C’est une peur irrationnelle. Quant à la disparition du format epub en tant que tel, c’était une réflexion d’ordre plus général qui m’avait amené à cette conclusion. On est dans la prospective. Je ne suis ni devin, ni prophète. On verra ce qui se passera. D’ailleurs, Radius bénéficiera dès la fin de la publication d’une version epub, gratuite pour les inscrits, payante pour les autres. La preuve que rien n’est tout blanc ni tout noir.
BL : À propos d’utilité, je n’ai pas encore vraiment compris l’utilité de l’écriture en direct. Pourquoi ne pas d’abord mener le projet à bien, à huis clos, et le lancer ensuite ? Le – publier, quoi ? Quels sont les avantages de l’approche choisie par Walrus pour ce premier livre-web ?
JS : Il n’y a ni utilité ni avantage : c’est une expérience, un test, et comme toutes les expériences, elle n’a pas besoin d’être utile. Son existence justifie d’elle-même son caractère. En réalité, il y a plus de désavantages que d’avantages : c’est un challenge, il faut être réactif et vigilant, c’est casse-gueule… On n’a pas choisi la voie de la facilité, mais c’est motivant. De la même manière que publier 52 nouvelles en 52 semaines pour mon projet Bradbury n’était ni utile, ni avantageux pour moi… dans un premier temps. Je pense que les auteurs qui participent à Radius en sortiront grandis et plus forts.
BL : Et qu’en est-il, dans ce contexte, de ces morceaux qui font leur apparition, à l’improviste, dans une partie du livre-web appartenant au passé et qui peuvent surprendre le lecteur, voire lui échapper ? Est-ce que ce sont des publications programmées ou plutôt des morceaux livrés et publiés en retard ?
JS : Je ne suis pas pour le principe de ces rétro-publications et j’en ai fait part aux auteurs, notamment parce c’est confusant pour le lecteur, qui ne voit pas toujours qu’une nouvelle partie a été publiée. L’information est passée. On verra si les auteurs la prennent en considération. Leur liberté prime.
BL : Quand tu parles de ce qui a inspiré Radius, tu cites des séries américaines comme Lost. On sait que le public de ces feuilletons télévisés a une certaine influence, par le biais du courrier des lecteurs, les forums sur internet, les réseaux sociaux, etc., sur l’évolution de l’intrigue, le destin des personnages, voire la conclusion. Qu’en est-il de Radius ? Est-ce que les commentaires des lecteurs influenceront l’écriture des épisodes ? Et est-ce compatible avec l’idée qu’on se fait de la création littéraire ?
JS : Je pense que c’est en effet parfaitement compatible. Nous nous nourrissons, en tant que créateurs, de l’influence des autres. Cela a toujours été le cas. Aucun créateur n’est une île isolée du continent. les retours des lecteurs sont donc précieux et appréciés à leur juste valeur. Ils arrivent surtout par le biais des réseaux sociaux, et de Twitter notamment. Quant à l’influencer directement, je ne pense pas, en tout cas pas au niveau de l’intrigue générale qui, elle, est déjà arrêtée. Après, si un internaute suggère une idée à un auteur et que celui-ci n’y avait pas pensé lui-même, pourquoi s’en priver ? La littérature a besoin d’un peu de modestie.
BL : Parlons un peu du retour du feuilleton si souvent constaté sur la toile, par toi entre autres très récemment dans une interview avec le site ActuSF. Qu’en est-il, et quelles en sont, d’après toi, les raisons ?
JS : Il y a, c’est vrai, un retour du feuilleton. Reste à voir si c’est une tendance de lecture ou seulement une tendance de publication. Une chose est sûre : nous lisons moins longtemps sur un écran. Il parait donc naturel de penser que les lecteurs privilégieront les textes courts ou morcelés. Nos usages de lectures se fragmentent dans le temps, notre capacité d’attention s’étend davantage sur le court terme et de moins en moins dans le long terme. Les éditeurs tentent du mieux qu’ils peuvent d’anticiper les attentes de leurs lecteurs en ce sens, et nous verrons si cela paye. Concernant Walrus, il est vrai que nos deux plus grands succès éditoriaux sont des séries (Toxic et Jésus contre Hitler). Mais je n’en fais pas une généralité.
BL : On peut constater un phénomène qui, s’il n’est pas nouveau, a sans doute pris de l’ampleur avec l’avènement des réseaux sociaux : Si un fait quelconque, un projet, une nouvelle, peut soulever beaucoup d’intérêt et inciter beaucoup de personnes à s’exprimer, c’est plutôt un engagement qui a le souffle court, vu le nombre d’événements en lice pour faire le buzz. Comment comptes-tu inciter des lecteurs à suivre un projet pendant un an ?
JS : C’est un problème général auquel je n’ai évidemment pas la réponse : l’essoufflement de l’attention est directement lié à l’augmentation spectaculaire de la production d’œuvres de l’esprit. Cette augmentation est en soi une bonne chose, mais elle pose des questions de présence et de long terme. Une fois la nouveauté passée, que reste-t-il ? J’ai un début de solution, que j’ai testé dans le projet Bradbury : la persévérance et la continuité. Le tout est d’établir une relation de confiance avec les lecteurs, qu’ils soient 10, 100 ou 10.000. Et il est bien entendu de notre devoir d’écrire une histoire qu’ils aimeront suivre, dont ils voudront avoir la suite. Internet ne fait que mettre en exergue des problèmes vieux comme le monde. Nos solutions nous sont propres, et il n’y a pas de formule magique, sinon de croire en la qualité de ce que l’on fait.
Propos recueillis par Thomas Galley.
Références
↑1 | Un exemple :
14 janvier (Conversation secrète) Je vais quitter la France parce que j’ai la trouille. J’ai recommencé à suivre les informations depuis que je suis installé ici, à Vaugirard. Et ce que j’y ai appris entre les lignes me fait peur. D’abord, il y a la chasse à l’homme dont fait l’objet notre collègue américain, Grady Smith. Avec le fiasco de son Terminus, il s’est mis dans une mouise noire. Je n’en avais pas encore parlé, mais deux jours avant que Grady me passe un coup de fil, Pekka Sulander, l’écrivain de cochonneries animalières m’a appelé. Notre échange a été si étonnant pour moi que je suis presque capable de m’en souvenir au mot près. À moins que ce ne soit un effet du Pouvoir. 17 janvier (Le plaisir d’Icare) J’ai donc quitté la France, hier en pleine nuit. Parce que j’ai peur. J’ai recommencé à suivre les informations depuis que je me suis installé à Vaugirard. Et ce que j’y ai appris entre les lignes me fait froid dans le dos. D’abord, il y a la chasse à l’homme dont fait l’objet notre collègue américain, Grady Smith. Avec le fiasco de son Terminus, il s’est mis dans une mouise noire. Et puis la longue conversation avec Pekka, qui m’est revenue en mémoire l’autre jour, durant laquelle il m’a appris qu’il enquêtait, qu’il réunissait des informations. Et enfin cette histoire de drone qui a filmé mes exploits dans le bayou. |
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