En-tête de la Bauge littéraire

Hafed Benot­man, Diapason

Le site des ebooks SKA est un de ceux que je visite régu­liè­re­ment pour consul­ter les nou­veau­tés. Pri­mo, pour le plai­sir des yeux, vu la qua­li­té extra­or­di­naire de leurs cou­ver­tures, secun­do pour y déni­cher des petits mor­ceaux de lit­té­ra­ture éro­tique à me mettre sous la dent vite fait, bien fait. Et ce n’est pas la taille réduite de ces textes qui les empê­che­rait de lais­ser des impres­sions indé­lé­biles, comme ce fut le cas pour le Furet de Lau­rence Biber­feld, débus­qué il y a quelques semaines à peine, à l’im­pro­viste. Qui ne tente rien, n’a rien, et qui n’est pas prêt à dépen­ser un euro, passe à côté des joyaux que Miss Ska s’a­charne en per­ma­nence à mettre dans sa boîte, au plus grand pro­fit de ses lecteurs.

Abdel Hafed Benotman
Abdel Hafed Benot­man. Par CDI Rive Gauche — Tra­vail per­son­nel, CC BY-SA 3.0

Aujourd’­hui même, je suis tom­bé, atti­ré par la sil­houette élan­cée d’une blonde las­ci­ve­ment allon­gée sur les draps d’un lit défait, sur Dia­pa­son, de Hafed Benot­man, qui signe avec ce titre sa pre­mière contri­bu­tion au cata­logue de SKA. Auteur de polars et de romans noirs, il ne donne pour­tant pas l’im­pres­sion d’être dépay­sé en terre éro­tique. Bien au contraire, il reste fidèle à ce qui a fait le suc­cès de sa plume, et on ne peut nier que le genre éro­tique s’y prête à mer­veille. Certes, ce ne sont pas les ama­teurs des 50 shades qui com­pren­dront une telle affir­ma­tion, ni ceux d’un éro­tisme pas­sé à l’a­dou­cis­sant des conven­tions. Mais celles et ceux qui ont au moins une fois sen­ti remuer au fond de leurs entrailles le monstre d’une attrac­tion qu’on ne s’ex­plique pas, mais qui foule aux pieds tout atta­che­ment pas­sé, ils sau­ront à quoi s’at­tendre quand le roi du polar sai­sit sa plume nour­rie d’hu­meurs inavouables pour pas­ser à l’acte.

À lire :
Quand Charlie lit…

Quand Benot­man se met à la tâche, il ne se borne pas à effleu­rer d’une main trem­blante de jeune roman­tique effa­rou­ché, il empoigne. Et il ne dévoile pas, il arrache. C’est ain­si que les pro­ta­go­nistes se retrouvent, bon gré mal gré, sous la lumière crue des comp­toirs, lumière qui res­semble étran­ge­ment aux néons des morgues, illu­mi­na­tion conçue pour arra­cher les détails à l’obs­cu­ri­té, et pour noyer toute miè­vre­rie sen­ti­men­tale  sous les flots d’une clar­té sans pitié. C’est sous un tel regard que la femme retrouve sa condi­tion pri­maire de fauve, et le pre­mier sen­ti­ment qu’elle fait naître c’est – la « peur mons­trueuse ». Une peur engen­drée par sa volon­té abso­lue de jouir, par l’exi­gence de se faire jouir « de et par tous ses ori­fices », la peur de l’homme de se perdre dans le gouffre d’une libi­do sans bornes. On com­prend à quel point une telle exi­gence, réduite à son expres­sion la plus simple, détonne, fait explo­ser les parois d’une socié­té régie par des conve­nances et des usages macé­rés dans les jus de leur propre putré­fac­tion. Qui s’é­tonne encore, dans de telles condi­tions, de voir un chibre de 27 cen­ti­mètres se chan­ger en lame qui pénètre, de sa tur­ges­cence acé­rée, à des pro­fon­deurs bien autre­ment vitales ? Et qui déchire, en plon­geant dans le tis­su humain, bien plus que des illusions.

C’est une lec­ture dont on ne sort pas, mais qui recrache son lec­teur a la sur­face de sa bana­li­té, la peur au ventre de voir sur­gir la cas­tra­trice qui enfin le rédui­ra au néant, englou­tis­sant le monde dans un ori­fice avide d’absolu.

À lire :
Max Obione, La Chatte bottée

Hafed Benot­man
Dia­pa­son
Ska Édi­teur
ISBN : 979−1−02−340254−4

Hafed Benotman, Diapason