Thierry Laget est loin d’être un inconnu, à l’opposé de la plupart des auteurs que j’ai l’habitude de faire entrer dans la Bauge littéraire. Romancier, critique littéraire, traducteur, il est présent dans le catalogue de Gallimard et a collaboré à l’édition de référence de la Recherche dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade. Si je parle aujourd’hui de son dernier titre, L’Atlas des amours fugaces, c’est que j’ai participé à l’opération Masse Critique de Babelio, qui a pour but de mobiliser un grand nombre de blogueurs en leur proposant des textes gratuits avec pour seule obligation de publier une critique dans les trente jours qui suivent la réception du titre choisi.
Cet Atlas bien particulier se fait tout d’abord remarquer par l’absence complète de ce qu’on a l’habitude de trouver dans ce genre d’ouvrages, à savoir les cartes avec leurs données comprimées et visualisées. Si la géographie y est pourtant bien présente, c’est sous une forme primordiale qui est, en même temps, d’une richesse plus épanouie que ce que l’on peut trouver dans les deux dimensions de la cartographie : l’expérience. Les textes de ce petit recueil (qui en compte huit) prennent le lecteur par la main et l’invitent à faire le tour du monde, le dépaysant vers des contrées parfois fort éloignées les unes des autres, pour y trouver – des amours fugaces. C’est ainsi qu’il troque les neiges et les fourrures discrètes de la Laponie contre le ciel brûlant et les caresses impudiques de l’Inde, sans se déplacer le moins du monde, juste en feuilletant les pages de ces huit nouvelles qui sont autant de perspectives sur le monde, sur les paysages vus à travers les yeux d’un narrateur qui s’en tient à la première personne – en général celle du singulier, une fois – dans la deuxième nouvelle, Ophélie – celle du pluriel. Huit excursions, à travers l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Sud, ou encore, dans un voyage teinté de surréalisme, sur les océans, dans un paquebot qui
« … était si haut, si large, qu’on avait craint qu’il ne s’ensable à Gibraltar. Lorsqu’il avait franchi les colonnes d’Hercule, on avait eu l’impression qu’un grand couteau séparait d’un coup l’Europe de l’Afrique. […] Le jour, la blancheur de sa coque éblouissait les fonds marins jusqu’aux profondeurs abyssales. » (Circé, p. 61)
Huit nouvelles qui sont aussi et d’abord des rencontres – certes avec les femmes dont elles portent le nom, mais aussi avec la mythologie (Circé), les légendes (Iseut), la littérature (Ophélie), la musique (la Fenice de Venise dans Lavinia), au point de voir défiler devant les horizons des contrées disparates l’héritage et les fantasmes de l’Occident.
Mais il y a une autre présence encore dans tous ces textes, à côté de celle des femmes : celle de la Mort. Annoncée par le titre, dans le cas le plus manifeste (Ophélie), ou juste suggérée dans d’autres, comme par le couvent où la chair est ensevelie (Qiao), par le cadre légendaire qui se termine par la mort des protagonistes (Yseut), par la noyade (Circé), la glace près de craquer sous le traîneau (Mielikki) ou encore par des allusions plus discrètes comme la jouissance féminine qui sournoisement s’apparenterait, de par ses effets, aux trous noirs, ces gouffres insatiables au cœur des galaxies (Caitlin).
Une énième mise en scène de l’éternel duo entre Éros et Thanatos ? Rien de nouveau sous le soleil, dites-vous ? Effectivement, on ne peut pas le nier, mais si les textes de ce petit recueil ne pèchent pas par excès d’originalité, on y trouve par contre des portraits finement ciselés des protagonistes féminins qui non seulement gravent leurs effigies respectives dans la mémoire du lecteur, mais qui donnent envie en plus de partir à la rencontre de cette plume toute en finesse à laquelle suffisent quelques mots bien simplement agencés pour faire surgir un tsunami d’images :
« … et elle me prit sur le carreau, à côté de l’agonisante » (Chandrika, p. 12).
Thierry Laget
Atlas des amours fugaces
Éditions de l’Arbre Vengeur
ISBN : 979−10−91504−03−4