En-tête de la Bauge littéraire

Gil­bert S., Autos­top­peuses vicieuses et camion­neurs lubriques

L’é­té 2021, dans la mesure où cette sai­son a bel et bien exis­té en dehors du calen­drier, est pas­sé aux oubliettes, et il faut tout dou­ce­ment son­ger à pas­ser à autre chose. Encore heu­reux qu’il me reste quelques textes ini­tia­le­ment pré­vus pour mes Lec­tures esti­vales, des textes que je peux tou­jours sor­tir du tiroir pour les jeter en pâture à des lec­teurs au moins aus­si per­vers que moi. En voi­ci un, avec Autos­top­peuses vicieuses et camion­neurs lubriques, qui, s’il ne parle effec­ti­ve­ment pas de vacances, gra­vite autour d’un clas­sique du fan­tasme en ras­sem­blant les aven­tures d’un de ces types qui par­courent les routes de France et d’Eu­rope pour nour­rir les tis­sus d’un capi­ta­lisme et d’une consom­ma­tion à l’é­chelle d’un conti­nent entier. Si je l’ai rete­nu, mal­gré un manque fla­grant d’es­ti­vants en cha­leur, c’est que, sur les routes, on y croise aus­si des gens en train de par­tir loin, en quête de liber­té et d’a­ven­tures solaires afin d’é­chap­per à la gri­saille quo­ti­dienne. Et la cha­leur des esti­vants – tel­le­ment appré­cié par le San­glier qu’il y consacre depuis dix ans des mois de lec­tures les unes plus délu­rées que les autres – y est quand même bien pré­sente, au point de la retrou­ver jusque dans le titre qui évoque, avec la non­cha­lance du siècle der­nier, les « autos­top­peuses vicieuses », fan­tasme des conduc­teurs – pas uni­que­ment de poids lourds, d’ailleurs – qui font exprès de tra­ver­ser les aires des auto­routes dans l’es­poir de croi­ser quelque fille pos­tée sur la bre­telle qui ne ferait pas sa farouche quand il s’a­gi­rait de se lais­ser relu­quer ou tri­po­ter, voire de lais­ser pro­fi­ter le conduc­teur en ques­tion de ses charmes afin de le dédom­ma­ger de ses longues heures de conduite.

Une jeune femme légèrement vêtue sur fond de voitures.
Ver­sion alter­na­tive – et bien mieux adap­tée au récit – de la cou­ver­ture du titre signé Gil­bert S.

C’est sans doute le moment pour vous rap­pe­ler que le texte date du siècle der­nier, de 1995 pour être pré­cis, et que le nombre d’au­to-stop­peuses croi­sées dans la nature est depuis en chute libre. C’est au moins l’ex­pé­rience de votre ser­vi­teur qui, quand il a l’oc­ca­sion de han­ter les auto­routes, passe sys­té­ma­ti­que­ment par les aires afin de ramas­ser des spé­ci­mens échap­pés à l’hé­ca­tombe, mais qui revient tout aus­si sys­té­ma­ti­que­ment les mains vides, même les filles de l’Est ayant délais­sé le stop en faveur de moyens de loco­mo­tion plus traditionnels.

Il paraît que ce genre de scé­na­rio par­fois se réa­lise, c’est au moins ce qui se dit, mais, à la façon des légendes urbaines, cela ne dépasse jamais le stade des « on dit » et ce sont tou­jours les autres qui en pro­fitent. Un fan­tasme en bonne et due forme, je vous dis. Quoi qu’il en soit, il me semble évident que les camion­neurs, avec au bout de leurs comp­teurs des dizaines voire des cen­taines de mil­liers de kilo­mètres par an, courent beau­coup plus de chances de ramas­ser un de ces échan­tillons rares. J’ai donc déci­dé de faire confiance à Gil­bert S. pour me révé­ler les tré­sors cachés gla­nés le long des auto­routes et pour me conter les séances de baise au fond des toi­lettes et der­rière les rideaux des cabines, voire, d’a­près le témoi­gnage de ce même Gil­bert, au volant de son bolide.

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C’est au cours de seize petits cha­pitres que Gil­bert S. raconte les aven­tures de sa vie sur les routes, au départ dans des épi­sodes anec­do­tiques de quelques petites pages où son alter ego croise des conduc­trices qui pro­fitent d’un bou­chon pour s’ex­hi­ber ou se faire plai­sir (La voi­ture de sport) ou encore un couple de par­tou­zards qui hante les auto­routes parce que la femme, frus­trée par l’im­puis­sance de son mari, pro­fite de ces excur­sions pour héler et allu­mer les pro­fes­sion­nels de la route pour égre­ner les ren­contres éphé­mères qui sentent si bon l’as­phalte, la sueur et les relents des chiottes (Les par­tou­zards). Mais très vite, un dis­cours plus cohé­rent com­mence à relier les épi­sodes qui s’en­chaînent et les per­son­nages deviennent récur­rents, à com­men­cer par Ger­trude, l’Al­sa­cienne bien en chair qui révèle, grâce aux coups de butoir répé­tés de notre Gil­bert natio­nal, un rare talent pour la baga­telle et une per­ver­si­té qui n’at­ten­dait que l’oc­ca­sion pour se révé­ler dans toute la splen­deur de « ses gros seins [qui] sau­taient sous son T‑shirt trop large » ou de « ses larges fesses par­ta­gées par une fente pro­fonde », des atouts qui font ban­der le Gil­bert illi­co pres­to1. Ger­trude tien­dra ensuite com­pa­gnie au conduc­teur sym­pa et entre­pre­nant qui se charge de l’é­du­ca­tion (sexuelle) de cette Alsa­cienne qu’on ver­ra plus tard céder aux pro­po­si­tions les plus extra­va­gantes de Gil­bert, des pro­po­si­tions qui la condui­ront à s’oc­cu­per, dans un épi­sode tein­té de zoo­phi­lie, des ver­rats en cha­leur qu’il fal­lait sépa­rer des truies afin de sau­ve­gar­der l’in­té­gri­té du camion, avant de la voir péné­trer dans l’obs­cu­ri­té des boîtes les­biennes de Ber­lin en com­pa­gnie de Nadette, col­lègue et objet de tous les dési­rs de notre conduc­teur en chaleur.

Quand on sait que la Nadette en ques­tion n’est pas uni­que­ment une col­lègue, mais encore la femme d’un col­lègue, on ima­gine que Gil­bert a eu tout inté­rêt à domp­ter des dési­rs rela­tifs à ce beau bout de femme, mais les choses évo­luent par­fois dans la bonne direc­tion. Nadette, par un concours de cir­cons­tances que je vous lais­se­rai décou­vrir par vos propres efforts, se retrou­ve­ra en liber­té et Gil­bert peut reprendre espoir. Encore que les tra­jets pro­fes­sion­nels tendent à les éloi­gner plus sou­vent qu’ils ne les rap­prochent, les occa­sions de se croi­ser étant par consé­quent plu­tôt rares. Et quand celles-ci se pré­sentent mal­gré les contraintes du plan­ning logis­tique, le hasard arrange sou­vent mal les choses, comme par exemple quand celui-ci met une sacrée exhi­bi­tion­niste farou­che­ment jalouse sur la route de Gil­bert pré­ci­sé­ment le jour où celui-ci tombe à l’im­pro­viste sur Nadette croi­sée dans un restoroute.

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Nadette est d’ailleurs tel­le­ment pré­sente dans les rêve­ries éro­tiques de notre pro­ta­go­niste que son per­son­nage, illu­mi­né par les coups de pro­jec­teurs de plus en plus fré­quents des récits de Gil­bert, constam­ment se soli­di­fie et dou­ce­ment se trans­forme en pro­ta­go­niste d’un récit qu’elle pour­rait désor­mais reven­di­quer comme le sien. Et c’est la conquête de ce per­son­nage irré­sis­tible qui four­nit le fil rouge le long duquel s’enchaînent les cha­pitres de la deuxième moi­tié du texte, des cha­pitres qui n’ont plus rien d’é­pi­so­dique, mais forment un véri­table récit qui four­nit un inté­rêt autre que les belles femmes qui se font ramas­ser et les culs qui se font ramoner.

Je laisse à mes braves lec­teurs le soin de décou­vrir par quel concours de cir­cons­tance Gil­bert et Nadette finissent par conclure, au cours d’un tra­jet de vingt-quatre heures, pri­son­niers consen­tants dans l’es­pace étouf­fant d’une cabine que l’am­biance tor­ride fait de plus en plus res­sem­bler à une étuve chauf­fée à blanc par un désir mutuel trop long­temps réprimé :

Sen­tant ma queue dur­cir entre ses fesses, elle s’est appuyée plus fort. Le camion fon­çait dans la nuit, nous ne disions rien et ne bou­gions plus. J’avais ses che­veux dans la bouche, et des odeurs de femme exci­tée cares­saient mes narines.2

Après avoir lu ces récits dont la cha­leur est la bien­ve­nue après la fin de l’é­té, je suis sûr de voir d’un autre œil les camions et de relu­quer leurs cabines en me posant un tas de ques­tion à pro­pos des acti­vi­tés que pour­raient y exer­cer leurs rési­dents, occu­pés à bien ramo­ner une chatte ou à tri­po­ter une allé­chante paire de nichons. Quoi qu’il en soit de la réa­li­té d’un métier sans doute mal payé et de moins en moins attrac­tif, le fan­tasme du rou­tier qui ferait des ravages le long des auto­routes se porte très bien. Que quel­qu’un aille le dire aux Anglais, il semble qu’ils ont grand besoin de rem­plir les rangs des camionneurs…

Gil­bert S.
Autos­top­peuses vicieuses et camion­neurs lubriques
Média 1000
ISBN : 9782744828195

Gilbert S., Autostoppeuses vicieuses et camionneurs lubriques
  1. L’Al­sa­cienne ↩︎
  2. Gil­bert S., Autos­top­peuses vicieuses et camion­neurs lubriques, chap. 14, Bai­ser en condui­sant ↩︎