Espar­bec – L’œuvre com­plète chez la Musardine

L’é­quipe de la Musar­dine s’est lan­cée dans un pro­jet tita­nesque qui, à cer­tains, peut res­sem­bler au onzième tra­vail d’Her­cule – à savoir l’é­di­tion des œuvres com­plètes d’un de leurs auteurs-phare, celui qu’on a pu qua­li­fier – dans ce qui res­semble à un vague sou­ve­nir d’une lec­ture de James Feni­more Cooper – de « der­nier des pornographes ».

Il s’a­git, bien évi­dem­ment, de Georges Pailler, mieux connu sous son nom de plume, Espar­bec. Auteur de « 73 ouvrages »[1]Chiffre avan­cé par Claude Bard dans la Pré­face des Œuvres com­plètes avec la pré­ci­sion sui­vante : « 59 [en sont publiés] aux édi­tions Média 1000, 4 aux édi­tions Sabine Four­nier, 10 enfin aux … Conti­nue rea­ding parus aux Édi­tions La Musar­dine et, pour la plus grande par­tie, sous le label Média 1000 – qui, depuis 1994[2]Cf. la pré­sen­ta­tion sur le site des Édi­tions La Musar­dine : « Les édi­tions Media 1000, fon­dées par Hachette au début des années 1980, sont le sym­bole de l’âge d’or du roman de gare … Conti­nue rea­ding, fait par­tie de la même crè­me­rie – on ima­gine la taille du chan­tier sur lequel l’é­quipe du Che­min-Vert, forte sans doute de son nou­veau sta­tut juri­dique après le départ de Claude Bard, vient de s’engager.

Le rythme annon­cé de la publi­ca­tion des par­ties res­pec­tives – je ne sais trop pour­quoi, mais on a envie d’é­crire « membres » à la place de « par­ties » – de cet Opus Mag­num est assez ambi­tieux avec un tome pré­vu tous les quatre mois, le pre­mier des douze tomes – chiffre pro­vi­soire, Claude Bard prend soin de le pré­ci­ser dans sa Pré­face où, à la page 72, il n’ex­clut pas d’en arri­ver, le suc­cès étant au ren­dez-vous, au nombre de 15 volumes – étant arri­vé dans les rayons des libraires le 12 mai 2021, le tome 12 étant pro­gram­mé pour le mois de jan­vier – 2025. Je le disais, un pro­jet qui ne manque pas d’en­ver­gure, sans aucun doute à la taille de celui qu’il est cen­sé célé­brer et qui aura façon­né de ses griffes le pay­sage des écrits gaillards de la Fran­co­pho­nie littéraire.

Quant aux textes ras­sem­blés dans ce volume de presque 1.000 pages, les ama­teurs se léche­ront les babines : Outre une Pré­face signée Claude Bard qui, selon la notice de l’é­di­teur y « livre un por­trait authen­tique de l’écrivain, retrace l’aventure édi­to­riale qu’ils [i.e. Claude Bard et Espar­bec] vécurent ensemble, et donne quelques clés de son œuvre » vous y trou­ve­rez comme pièce de résis­tance un des textes d’Es­par­bec les plus célèbres, à savoir Le Por­no­graphe et ses Modèles, texte majeur accom­pa­gné par ses pre­miers textes éro­tiques, aujourd’hui introu­vables, à savoir :

  • La Voleuse de plaisir
  • Annie la Sucette
  • La Fille au col­lier de chien

À cela s’a­joutent des inédits, tirés d’archives (des poé­sies et des pro­jets de romans) et, pour conclure, une biblio­gra­phie com­plète, des élé­ments donc qui aide­ront à se faire une meilleure idée du per­son­nage der­rière le pseu­do­nyme Espar­bec et à mieux com­prendre les rouages de son ima­gi­na­tion et de son pro­cé­dé d’écriture.

L’a­ma­teur de phi­lo­lo­gie aura la joie de retrou­ver tous les textes dans leur ver­sion ori­gi­nale, détail qu’il n’est pas ano­din de sou­li­gner quand on sait avec quelle fré­né­sie Espar­bec a conti­nué à tra­vailler sur ses textes une fois ceux-ci publiés, en fai­sant même une sorte de réser­voir, un fonds immense pour y pui­ser la matière pre­mière de ses publi­ca­tions pos­té­rieures – approche qu’on pour­rait qua­li­fier d’é­co­lo­gique et de durable avant l’heure, vous ne trou­vez pas ? Les volumes 3 à 9 des Œuvres com­plètes, dédiées à la cin­quan­taine de titres de la col­lec­tion Dar­ling, pou­pée de vice et à ses sagas suc­ces­sives, sont d’ailleurs annon­cés comme le para­dis des ama­teurs d’une archéo­lo­gie éro­to­mane[3]Cf. la p. 41 de la Pré­face où Claude Bard pro­cède à une sorte d’a­na­to­mie de La Foire aux cochons en énu­mé­rant les titres d’où l’au­teur a tiré sa matière pre­mière..

Dans sa Pré­face, Claude Bard aborde non seule­ment les textes ache­vés et publiés qui auront bien évi­dem­ment droit de cité dans la pré­sente édi­tion, mais aus­si les textes res­tés à l’é­tat d’é­bauche – ou mieux peut-être, de labo­ra­toire lit­té­raire – et jamais publiés comme Blanc d’Es­pagne ou Jac­quin.

Après une pré­sen­ta­tion des trois pre­miers romans publiés, Bard aborde l’his­toire de Média 1000 et de ses col­lec­tions espar­bé­ciennes, « Les Inter­dits » et « Confes­sions éro­tiques », et c’est à la lec­ture de cette très belle, de cette excel­lente et réjouis­sante Pré­face où Claude Bard évoque les sou­ve­nirs de sa col­la­bo­ra­tion avec Espar­bec – dévoi­lant au pas­sage l’his­to­rique des édi­tions La Musar­dine et des diverses col­lec­tions ayant pré­cé­dé ou accom­pa­gné ce vais­seau – qu’on re rend compte de la place qu’à pris Espar­bec dans la genèse et l’é­vo­lu­tion des édi­tions La Musar­dine et de toute une pano­plie de col­lec­tions éro­ti­co-lit­té­raires appe­lées à faire date dans les annales de l’é­di­tion francophone.

Mais l’in­té­rêt de cette Pré­face est bien plus que phi­lo­lo­gique. Il va de soi qu’on y trouve des contem­pla­tions à pro­pos de ce qu’est ou peut être la por­no­gra­phie, selon Espar­bec ou selon Bard, et le lec­teur aura tout à gagner à étu­dier de très près la concep­tion sans doute tout ce qu’il y a de plus per­son­nelle de la por­no­gra­phie et de ce qu’il en est de cette éter­nelle ques­tion à pro­pos de la dif­fé­rence entre éro­tisme et por­no­gra­phie. Mais tout n’est-il pas dit quand Bard avance cette cita­tion comme quoi :

Les gour­mands s’attablent, ils ne lisent pas des livres de cui­sine.[4]Elle se trouve sur la page 36 de la Pré­face, Bard omet­tant mal­heu­reu­se­ment de don­ner son ori­gine.

Serait-il donc sou­hai­table de mettre de côté ce texte superbe et de tro­quer les femmes de papier, ima­gi­naires, contre un être de chair afin de pas­ser à l’acte et d’anes­thé­sier l’es­prit avant que celui-ci ne se mette à diva­guer vers les ques­tions exis­ten­tielles du sexe et de nos ori­gines ? À cha­cun d’y appor­ter sa réponse, sans doute for­te­ment influen­cée par son niveau d’é­tudes – à moins que ce ne soit plu­tôt celui du tes­to­sté­rone… Quant à moi, j’ai goû­té chaque page de cette Pré­face qui donne un aper­çu d’un per­son­nage dont la place dans le pay­sage lit­té­raire du XXe siècle n’est plus à contes­ter, et où des sou­ve­nirs très per­son­nels et très pré­cieux accom­pagnent un regard lucide sur la vie lit­té­raire. On ne pour­rait sou­hai­ter meilleure com­pa­gnie pour décou­vrir ou redé­cou­vrir les textes ras­sem­blés ici et qui déli­mitent l’é­norme espace entre les pre­mières et la der­nière publi­ca­tions de l’au­teur, un espace où toute la richesse du domaine éro­tique est appe­lée à se manifester.

Esparbec, Œuvres complètes, t. 1

Espar­bec
Œuvres com­plètes – tome 1
La Musar­dine
ISBN : 978–2364905528

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Chiffre avan­cé par Claude Bard dans la Pré­face des Œuvres com­plètes avec la pré­ci­sion sui­vante : « 59 [en sont publiés] aux édi­tions Média 1000, 4 aux édi­tions Sabine Four­nier, 10 enfin aux édi­tions La Musar­dine ». Espar­bec, Œuvres Com­plètes, p. 9. Ce chiffre est infé­rieur à celui qu’on trouve sur la Wiki­pé­dia (article consul­té le 1er mai 2021) qui attri­bue à l’au­teur « une cen­taine de romans de gare ».
2 Cf. la pré­sen­ta­tion sur le site des Édi­tions La Musar­dine : « Les édi­tions Media 1000, fon­dées par Hachette au début des années 1980, sont le sym­bole de l’âge d’or du roman de gare por­no­gra­phique. Rache­tées et pour­sui­vies par La Musar­dine à par­tir de 1994 »
3 Cf. la p. 41 de la Pré­face où Claude Bard pro­cède à une sorte d’a­na­to­mie de La Foire aux cochons en énu­mé­rant les titres d’où l’au­teur a tiré sa matière première.
4 Elle se trouve sur la page 36 de la Pré­face, Bard omet­tant mal­heu­reu­se­ment de don­ner son origine.
La Sirène de Montpeller