Le 26 juin 2014 a dû être une date sacrément mémorable dans la vie de toutes celles et de tous ceux qui ont pu participer – ou au moins assister – à Atti osceni[1]L’événement se trouve dans l’archive de l’année 2014, il faut donc faire défiler pour le trouver., un spectacle bien spécial qui s’est déroulé cette nuit-là dans les locaux de la salle Le Trottoir alla Darsena de Milan. Une salle qui se présente sur son site Internet comme la « luce guida per creativi e tutti coloro che hanno dei talenti da mostrare. »[2]« un phare pour tous les créatifs et tous ceux qui ont des talents à montrer. » Vu sur le site le 23 mars 2021.
Des talents à montrer, c’est effectivement le moins qu’on puisse dire quand on contemple les clichés pris par Luca Rubbi pendant que se déroulaient devant son objectif les actes obscènes si fièrement annoncés et revendiqués par les organisateurs et immortalisés par le photographe. Et j’aimerais préciser ici que l’affiche – pourtant peu pudique – reste bien en-deçà de ce qui s’y est passé et qui continue à faire fantasmer des années plus tard. Même ceux qui, comme moi, ne se sont jamais douté de ce qu’une telle soirée de débauche ait pu avoir lieu dans notre siècle si fortement marqué par le sceau de la pruderie. Et qui, dans une Europe confinée, sujette aux couvre-feux et assiégée par les âmes peureuses qui ont peur de se frotter de trop près au méchant virus, ne peut que faire rêver. Mais qu’il soit permis de citer ici les mots immortels prononcés par Éléonoradus dans Astérix et le chaudron : « Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! ». Une revendication à laquelle votre serviteur souscrit de tout cœur. Que les photos que vous allez découvrir soient pour nous une invitation aux débordements futurs !
Prenons pourtant un peu de recul avant de vous présenter mes trouvailles. Celles et ceux qui me suivent savent que je n’ai pas l’habitude de parler de photographie[3]Je viens d’ailleurs de me rendre compte de ce que je ne dispose même pas d’une catégorie où je pourrais ranger cet article., ni dans les colonnes de la Bauge littéraire, ni ailleurs. Je ne sais pas trop comment l’expliquer vu que c’est un art comme les autres, un art qui, au même titre que tous les autres, mérite de s’y intéresser de plus près. Mais comme j’ai renoncé depuis longtemps à vouloir danser sur toutes les fêtes, je me borne en général aux domaines dans lesquels j’ai acquis une certaine expertise à force de m’y frotter, comme par exemple la littérature ou la peinture. Encore que, et je l’avoue sans sourciller, si je peux prétendre à un certain professionnalisme dans le domaine littéraire, je ne suis qu’un amateur quand il s’agit de peinture. Et pourtant, c’est justement à travers mon intérêt pour la peinture – et plus particulièrement le dessin – que j’ai été confronté à une photographie qui m’a figé sur place comme peu de textes littéraires ont su le faire.
Les aficionados de la Bauge connaissent ma passion pour des sites comme DeviantArt où des artistes de tous les domaines et de tous les niveaux – du débutant jusqu’au professionnel accompli – se donnent rendez-vous. Se rendre sur le site, jeter un coup d’œil sur les nouvelles contributions de celles et de ceux auxquels on s’est abonné, c’est un beau prélude aux expéditions qu’on lance au fond des terres inconnues, aux profondeurs de la Toile où le meilleur côtoie le pire, un voyage qui sert à exercer le regard afin de débusquer les travaux sur lesquels on aimerait s’attarder, qui servent de point de départ pour une prise de contact, un premier échange qui souvent se poursuit par des discussions approfondies. Et plus d’un des artistes ainsi rencontrés s’est ensuite vu chargé d’une commission afin de contribuer à la richesse du décor de la Bauge.
À côté des dessins – traditionnels et numériques – la photographie y est omniprésente, et comme les algorithmes de DeviantArt ont capté depuis longtemps que j’adore la beauté féminine sous pratiquement toutes ses formes, leurs suggestions sont très souvent très exactement cela – suggestives. Et l’autre jour, quand je me suis amusé à suivre des liens sans grandement réfléchir, je me suis retrouvé sur le profil Flickr de Luca Rubbi, un photographe italien dont j’ai entendu parler pour la première fois à cette occasion. J’y ai vu des femmes légèrement – voire pas du tout – vêtues étaler leurs chairs, un défilé que j’ai aussitôt pris pour l’invitation de me rincer l’œil. Me voilà donc en train de profiter des seins offerts, des ventres pulpeux, des cuisses fuselées et des chattes grandes ouvertes quand, soudain, je me suis retrouvé devant un cliché à l’attrait magnétique, et j’ai cru comprendre ce que doit ressentir une mouche face à la lumière. Mais bon, assez blablaté, le temps est venu de vous conduire sur les lieux du spectacle.


Voici donc à quoi peut ressembler une soirée consacrée aux Actes obscènes quand elle est vue à travers les yeux d’un artiste. Les deux clichés ci-dessus ont été pris avec un intervalle d’à peine quelques secondes, le premier à 21:06:02 et le second treize secondes plus tard, à 21:06:15[4]La date et l’heure sont contenues dans les données méta EXIF de l’image, et plus exactement dans la propriété Exif.Photo.DateTimeOriginal.. La masturbation est donc de très près suivie de ses plus beaux effets, une éjaculation comme seules les femmes peuvent en produire.
Je me suis demandé s’il fallait, le temps d’une parenthèse, parler de la beauté de la femme prise en flagrant délit de jouissance avant de me lancer dans des considérations technico-artistiques. Si vous voulez connaître mon idéal personnel de beauté, vous n’avez qu’à la contempler, cette déesse aux formes généreuses, avec ses seins opulents et sa peau d’albâtre, sa bouche aux lèvres pulpeuses et sa capacité d’abandon. Mais c’est un angle qui ne concerne que moi et les quelques lecteurs partageant mes goûts en la matière, et on peut se demander s’il est essentiel de tomber sous le charme du modèle pour savoir apprécier une œuvre d’art. Je ne vais donc pas m’y attarder plus que ça, mais je vous demande pardon de ne pas avoir su résister à la tentation de vous faire part de ma fascination pour ce genre de beauté robuste et presque un peu sauvage.
Une fois donc passé l’obstacle de la beauté, on regarde plus loin que le corps mis en scène et on se rend compte que l’artiste utilise celui-ci pour faire des clichés une véritable composition, leur conférant une tenue artistique qui ferait de lui une sorte de maître des cérémonies. Sur les deux photos, tout se construit autour du corps statuaire de la femme en train de se branler, avec au centre de la composition les deux seins lourds au point de pendre, tandis que les extrémités sont tenues par les deux orifices, la bouche et le vagin, des espaces creux correspondant ex negativo au gonflement des seins.
Pour mieux travailler avec l’appel de ces espaces creux et leur rôle dans la mécanique du plaisir, l’artiste les place dans une sorte d’architecture de l’image pour renforcer encore leur importance. En étudiant de près la composition du premier cliché, on se rend compte que, dans la partie supérieure, c’est l’absence d’une moitié du visage qui fait converger les regards vers la bouche, ouverte, vide, figée par la caméra dans l’instant où l’attente du spasme libérateur se peigne sur la figure du modèle. À l’autre extrémité, l’artiste vise à obtenir l’effet contraire en insistant sur les doigts remplissant et fourrant le vagin, une présence palpable, invasive, qui contrebalance la double absence de la partie supérieure – celle d’une partie du visage et le creux de la bouche ouverte et restée vide. Là aussi, le mouvement a été gelé par la caméra, sans pour autant tout à fait supprimer le caractère vigoureux du geste branleur, et on devine les doigts en plein mouvement, près d’atteindre le bout de la course.
Si le premier cliché tire sa tension du traitement différent des deux orifices et de l’opposition entre la vigorosité du geste capté et l’absence de tout mouvement, le deuxième vise à renforcer encore la sienne par un cadrage différent. Les frontières y reculent, le champ de vision s’élargit, et la branleuse apparaît dans un contexte bien plus chargé que le précédent. À sa droite, se tient une autre femme, aussi dénudée qu’elle-même, mais privée de toute personnalité par le déni du visage, tandis qu’à sa gauche, on reconnaît un vieillard qui, arraché à l’anonymat, est révélé comme une sorte de prolongement de son bras qui, l’instant d’avant – c’est-à-dire sur le cliché qui l’a capté, cet instant – s’était encore emparé du pied de la belle, comme pour lui faciliter les derniers instants qui la séparent de la jouissance, à moins qu’il ne doive lui fournir un point fixe d’où elle prendrait son envol. Le domaine du regard s’élargit donc, dans une sorte de dynamique inverse, à l’instant de la concentration maximale où tout l’être de la branleuse se résume à l’action de ses doigts qui viennent de provoquer l’expansion volcanique, marquée par l’expulsion explosive du liquide de sa jouissance puisé au plus profond de son corps.
L’élargissement du cadre permet d’ailleurs à l’artiste d’obtenir un autre effet qui vise à montrer toute l’importance du regard dans les arts visuels. Le modèle, à nouveau complet, pourvu de ses yeux par le recul du bord supérieur, a les yeux braqués sur la fontaine qui s’échappe de ses entrailles, fière du résultat obtenu. Ce regard de la branleuse arrivée au but crée un pont entre ses deux orifices, éliminant ainsi l’opposition qui la scindait en deux dans le cliché précédent. L’impression qui s’en dégage est celle d’une femme ayant retrouvée une sorte d’unité à travers l’orgasme qui lui permet de s’affirmer.
Cette dynamique, ce jeu des oppositions, captée et mise en scène par le photographe et qui confère aux clichés une dimension artistique allant bien au-delà de l’excitation des sens que suscite la présence d’une belle femme en train de jouir, me fascine au plus haut point. On y touche à l’ingrédient – à ce je ne sais quoi aurait dit l’autre – qui fait sortir ces photos-ci, malgré la similitude des sujets, de la masse des productions purement pornographiques telles qu’on les trouve un peu partout sur la Toile sans avoir besoin de chercher. Des images certes non dépourvues de beauté – celle de la chair au moins – mais privées de l’étincelle artistique. Mais le spectateur se rend compte, confusément, que c’est justement cette étincelle-là qui attire et qui retient les regards, étrange magnétisme de la beauté qui rend impuissant tout désir de voir ailleurs, parce que la beauté, rendue parfaite – éternelle – par la mécanique du plaisir dont le photographe a fait le véritable sujet de ces clichés, elle vient de nous remplir les yeux et les méninges pendant un instant magique.
On trouve d’ailleurs sur le profile Flickr de Rubbi encore d’autres clichés réalisés à l’occasion du spectacle Atti osceni, au nombre total de huit, dont un Trittico del godimento (tryptique de la jouissance) que je ne peux que recommander aux amateurs du plaisir féminin. Comme il est un peu difficile de retrouver les clichés de la soirée en question dans le déluge de photos que l’artiste y a rassemblées, je les ai placées ici dans l’espoir de titiller l’envie des amateurs.
Galerie de la soirée Atti osceni vue par Luca Rubbi
Toutes les images ont été placées par l’artiste sous licence CC BY-NC-ND 2.0 et sont disponibles sur le compte Flickr du photographe.
À voir défiler ces images où l’indécence de la jouissance se mélange à l’obscénité d’une troupe de femmes frénétiques en train de se déchaîner sur le cul de l’une d’elles accroupie sur le comptoir, où les seins souillés de la MILF côtoient la chatte énergiquement frottée de la Lesbienne, on peut se demander quel acte mérite d’être qualifié d’obscène ? Celui de toucher et de manipuler les chairs, de se faire plaisir en public en revendiquant le droit de céder à ses pulsions ? Ou celui de cueillir ces instants, de les figer en les privant de leur fugacité pour ensuite les jeter en pâture à un public de branleurs avides de chair en liquéfaction ?
L’absence – à moins que ce ne soit plutôt une suppression – de toute décence sur ces clichés peut d’ailleurs rappeler un autre artiste, écrivain celui-ci, dont les textes sont remplis de scènes similaires à celles qui ont dû se dérouler le 26 juin 2014, et très souvent aussi dans un même décor – un bar. Raffaele Bartoli l’a exprimé dans un beau texte que Rubbi a choisi de placer dans la partie À propos de son profile Flickr :
E per me la fotografia di Rubbi ha la stessa caparbia, volontaria, talentosa, autodistruttiva FALSA (perche” ricercata) casualità dello scrivere di Bukowsky.[5]« Et pour moi, la photographie de Rubbi relève du même « hasard » que l’écriture de Bukowsky : obstiné, volontaire, talentueux, auto-destructeur et surtout faux (parce que … Continue reading
Références
↑1 | L’événement se trouve dans l’archive de l’année 2014, il faut donc faire défiler pour le trouver. |
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↑2 | « un phare pour tous les créatifs et tous ceux qui ont des talents à montrer. » Vu sur le site le 23 mars 2021. |
↑3 | Je viens d’ailleurs de me rendre compte de ce que je ne dispose même pas d’une catégorie où je pourrais ranger cet article. |
↑4 | La date et l’heure sont contenues dans les données méta EXIF de l’image, et plus exactement dans la propriété Exif.Photo.DateTimeOriginal. |
↑5 | « Et pour moi, la photographie de Rubbi relève du même « hasard » que l’écriture de Bukowsky : obstiné, volontaire, talentueux, auto-destructeur et surtout faux (parce que recherché). » Raffaele Bartoli, Io credo che la fotografia di Luca vada altrove. |