Bar­ba­ra Shum­way, Moving into the Les­bian World

Les afi­cio­na­dos du San­glier se sou­vien­dront sans aucun doute d’un article consa­cré à Bar­ba­ra Shum­way, auteure amé­ri­caine de romans et de nou­velles éro­ti­co-por­no­gra­phiques, publié il y a un peu plus d’un an dans l’en­thou­siasme de la décou­verte d’une écri­vaine qui a fait de l’in­dé­cence une forme d’art. Et comme, ama­teur de la langue de Sha­kes­peare et du gazon de l’autre côté de la clô­ture, je conti­nue à regar­der à droite et a gauche et que je lorgne avec plai­sir dans les jar­dins des voi­sins, je tiens à vous par­ler d’une de ses nou­velles parues il y a à peine quelques semaines, Moving into the Les­bian World.

Une fois encore, Bar­ba­ra Shum­way met en scène une ini­tia­tion, celle de Bar­ba­ra, jeune all ame­ri­can beau­ty, ancienne home coming queen, blon­di­nette de 24 ans, mariée et sage jus­qu’au jour où elle croise Rachael, domi­na­trice avide de chair fraîche et de conquêtes humi­liantes. Je ne vais pas vous révé­ler l’in­trigue, je tiens à gar­der entier le plai­sir de la décou­verte, mais je vou­drais vous don­ner une idée de l’in­ten­si­té que vous allez décou­vrir dans l’u­ni­vers de cette auteure qui, très sou­vent, par­tage son pré­nom avec ses pro­ta­go­nistes fémi­nines, accor­dant une dimen­sion sup­plé­men­taire aux aven­tures por­no­gra­phiques de ces beau­tés aux­quelles elle per­met de se tailler ain­si une part de réa­li­té pour mieux sor­tir du cadre de la fic­tion. À moins que ce ne soit l’é­cri­vaine qui s’in­ves­tisse à fond – corps et biens – dans ses mondes imaginaires ?

L’i­ni­tia­tion les­bienne est mon­naie cou­rante dans l’u­ni­vers de la lit­té­ra­ture éro­tique. Il suf­fit de se bala­der sur amazon.fr ou – mieux encore – sur le site dédié tout entier à la lit­té­ra­ture auto-édi­tée, Sma­sh­words, pour se faire une idée à pro­pos de la bana­li­té du sujet. Un sujet qui fait vendre, mais qui pré­sente un piège signi­fi­ca­tif, un écueil contre lequel grand nombre d’am­bi­tions se sont bri­sées, celui de tom­ber dans le cli­ché, sur­tout quand l’i­ni­tia­tion pro­cède sous les aus­pices de la domi­na­tion. On pour­rait croire que Bar­ba­ra Shum­way n’y échappe pas tout à fait non plus, sur­tout au début de son texte où les per­son­nages se construisent sous les yeux des lec­teurs. Le dan­ger est évi­dem­ment pré­sent, mais je penche pour l’hy­po­thèse selon laquelle Shum­way a vou­lu se sai­sir du cli­ché pour rendre la confron­ta­tion d’au­tant plus explo­sive, pour creu­ser encore l’a­bîme d’ab­jec­tion par lequel la pro­ta­go­niste se sent aspi­rée. Face aux dan­gers qui guettent celui qui s’empare d’un tel sujet, il faut savoir se démar­quer de la concur­rence pour mieux sai­sir les ima­gi­na­tions des lec­teurs. Bar­ba­ra Shum­way a trou­vé le moyen de mar­quer celle des siens au fer rouge, en jetant son héroïne dans les affres d’une sou­mis­sion qui n’a rien de gla­mour, d’un dres­sage qui se passe des outils du BDSM dont l’u­sage est deve­nu par trop banal et où la chair n’a pas besoin de se flé­trir sous les coups pour être réduite à l’es­cla­vage du désir conquérant.

À lire :
Alexis Pirrate, Ma cousine coquine

On se demande com­ment Bar­ba­ra Shum­way nour­rit la rage qui lui per­met de se déchaî­ner sur les sym­boles de l’A­mé­rique blanche et pro­tes­tante, telle qu’elle peut encore exis­ter dans ces cli­chés qui ont la vie si dure et dans quelques régions du Bible Belt et de l’A­mé­rique pro­fonde, pour­quoi elle se fait entrer elle-même dans la tour­mente en s’i­den­ti­fiant, de par l’acte magique de les appe­ler par leur nom en leur don­nant le sien, aux pro­ta­go­nistes qu’elle mal­mène de façon aus­si magis­trale. Est-ce pour vivre, à tra­vers elles, les oura­gans orgas­miques qui emportent jus­qu’à la der­nière par­celle d’au­to-res­pect ? Dans l’im­pos­si­bi­li­té d’ap­por­ter une réponse à cette inter­ro­ga­tion, je vous invite à explo­rer l’u­ni­vers déjan­té de cette écri­vaine pro­li­fique, un uni­vers qui vous fera décou­vrir des sujets dont la connais­sance est réser­vée, dans notre Europe qui se croit tel­le­ment désa­bu­sée, aux hap­py few qui ont assez peu froid aux yeux pour se lais­ser ten­ter par les sirènes indé­centes d’outre-Atlantique.

Une der­nière remarque avant de conclure : Les textes de Bar­ba­ra Shum­way, comme ceux d’une bonne par­tie de ses confrères auto-édi­tés, auraient beau­coup à gagner en pas­sant par un ser­vice édi­to­rial qui mérite son nom, et je reste éba­hi devant la dif­fé­rence très sen­sible du niveau de qua­li­té qui fait de cer­tains de ses textes des chefs d’oeuvre du domaine éro­tique et de cer­tains autres (on son­ge­ra à Bab’s les­bian affair, texte publié quelques jours seule­ment après celui dont la lec­ture a don­né nais­sance à l’ar­ticle que vous êtes en train de lire) un bla­bla­tage presque insup­por­table. Des textes intenses, bien construits et francs jus­qu’à l’ex­cès côtoient d’autres dont on se demande s’ils sont réel­le­ment à attri­buer à la même plume. Je suis loin de connaître les rai­sons d’une telle inéga­li­té, de savoir s’il s’a­git de textes tirés des tiroirs (vir­tuels ?) de l’au­teure où ils ont amas­sé de la pous­sière depuis ses pre­miers bal­bu­tie­ments, ou si Bar­ba­ra Shum­way est un patro­nyme que se par­tagent entre eux / entre elles plu­sieurs auteurs. Mais je sais que les meilleurs de ses textes peuvent être, de par leur exo­tisme cer­tain, une source d’ins­pi­ra­tion, de vraies décou­vertes qui per­mettent à nous autres des échap­pées dans le mer­veilleux d’un éro­tisme peu banal dans sa dimen­sion por­no­gra­phique. Je conseille à celles et à ceux qui vou­draient avoir comme un aper­çu de l’u­ni­vers sou­mis à la baguette de cette fée mali­cieuse, mais qui tou­te­fois hésitent devant la bar­rière lin­guis­tique, de lire les déli­cieuses bandes des­si­nées de Rebec­ca, Dege­ne­rate Hou­se­wives, tra­duites en fran­çais et parues en ver­sion numé­rique, donc faci­le­ment consul­table, chez Dyna­mite. Cela per­met une pre­mière approche des sujets qu’on pour­ra décou­vrir chez Bar­ba­ra Shum­way. Un plai­sir qui s’a­joute à celui de plon­ger dans le monde aus­si cru que déjan­té de cette des­si­na­trice encore trop peu connue de ce côté-ci de l’At­lan­tique. Comme quoi une décou­verte peut en cacher une autre.

À lire :
Shawna Cummings, Watching Her Turn Bi

Bar­ba­ra Shum­way
Moving into the les­bian world
Auto-édi­tion
(actuel­le­ment indisponible)

Barbara Shumway, Moving into-the lesbian world
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95