Si la BD érotique a fait une entrée remarquée dans la Bauge littéraire – dont le propriétaire a depuis toujours été un adepte de la parole pure et simple telle qu’on la trouve dans les grands textes des auteurs classiques – c’est en très grande partie grâce à Dynamite, le label cul de La Musardine, qui accueille des auteurs – connus et moins connus – réunis par l’amour de la chair dans l’effort de lui rendre une justice toute – littéraire. Après Ardem, Axterdam, T.E. Raven et – tout récemment – Riverstone, c’est maintenant le tour d’Axel, un auteur tout nouveau dans l’écurie Dynamite, venu de l’autre côté des Alpes avec dans ses valises une belle histoire d’amour, de sexe et d’exhibitionnisme 2.0 : La Chambre de verre.
Axel y raconte avec un coup de pinceau des plus sobres l’histoire de Flavia, quadra superbe venue à point nommé pour fournir un spécimen ravissant de la « MILF », catégorie extrêmement prisée sur les sites réservés à la pornographie luxuriante tel que XHamster ou XVideos. Flavia n’est pourtant pas une starlette de la pornographie, elle indique sa profession comme blogueuse, ce qui n’est pas sans rapport avec son activité principale étant donné qu’elle publie effectivement des articles sur son site. Des articles qui accompagnent une exhibition en permanence, sous les yeux des caméras omniprésentes dans son appartement où elle vit en toute nudité.

L’histoire de Flavia, si elle peut paraître absurde, n’a pourtant rien de très original, Axel ayant pu s’inspirer de plusieurs expériences menées pendant la jeunesse de l’internet. Tout d’abord, il y a, et dès 1996 (!), Jennifer Ringley avec sa JenniCam, site où elle vivait, la première, sous les yeux de ses multiples caméras, renonçant à tout résidu de vie privée pour partager son quotidien avec les internautes, jusqu’aux détails les plus intimes :
Elle [Jennifer Ringley] ne souhaitait pas filtrer les contenus de sa caméra ; par conséquent, elle était souvent aperçue entièrement nue ou en train d’avoir des rapports sexuels. [1]Jennifer Ringley, article Wikipédia, consulté le 24/01/2017
Ensuite, quatre ans plus tard, il y a eu Daniella Tobar, actrice chilienne qui, en janvier 2000, a vécu, pendant deux semaines, dans une maison en verre (!), expérience ayant quotidiennement attiré une foule de badauds. C’est sans doute à ce projet que Flavia fait allusion quand elle explique les origines de son propre projet à elle, sauf qu’elle se trompe sur le pays en question :

À la différence de ses illustres consœurs, Flavia met l’accent sur le côté pornographique de cette exhibition en permanence, se mettant à poil dès qu’elle entre dans son appartement et s’adonnant avec un plaisir très partagé à des sessions masturbatoires. Avant de laisser les voyeurs pénétrer plus loin encore dans son intimité en les faisant assister à ses parties de jambes en l’air avec Marco. C’est la rencontre entre celui-ci et Flavia, de sept ans son aînée, qui fournit d’ailleurs l’intrigue du récit. Rien de plus banal qu’une telle rencontre, me direz-vous, sauf que celle-ci se passe en public, et que tout le monde n’est pas prêt à jeter son intimité en pâture aux badauds des quatre coins de la planète.
Si cette intrigue n’est pas dénouée d’intérêt, il me semble que le principal se trouve ailleurs, à savoir dans le rapport qu’il y a entre celui qui crée et sa créature. Et quand un tel créateur – qu’il soit auteur ou – pire – illustrateur – décide de faire entrer une de ses créatures dans une relation intime, n’est-ce pas plutôt qu’il s’en empare et qu’il soumet ce faisant sa créature à une exhibition forcée ? Les protagonistes d’Axel étant (imaginés) consentants, cela permet de les engager, aux côtés des lecteurs, dans un jeu de miroirs entre le monde tel qu’il se crée sous les yeux des spectateurs et celui d’où les regards se portent sur Flavia. N’est-ce pas un peu comme si celle-ci s’obstinait à nous répéter qu’elle n’était finalement qu’un artifice, et que c’était pour ça qu’elle se dévoilait, qu’elle consentait à devenir le jouet de nos fantasmes, consciente du fait qu’elle n’existe qu’à travers les regards d’autrui ?

Je ne sais pas jusqu’où ce jeu des réflexions aurait pu guider l’auteur, celui-ci ayant renoncé à pleinement exploiter les possibilités inhérentes à son univers. Mais comme on parle d’une bande dessinée, il faut évidemment considérer le côté visuel de la chose. Et c’est là qu’Axel excelle, à placer sa protagoniste sous un jour pas toujours très favorable, dans des situations où une certaine fatigue peut se lire dans ses traits, où l’âge laisse deviner sa proximité, malgré les affirmations de Flavia qui rappellent un peu les mélodies qu’on siffle dans le noir pour conjurer la terreur blottie dans l’obscurité :
Je m’appelle Flavia, j’ai 44 ans. Je sais, je ne suis plus franchement une jeune fille. Mais je crois que je suis encore attirante. (p. 10)
Attirante, elle l’est effectivement, et rien de plus appétissant que sa nudité, nudité qui n’a pas honte de réclamer son côté « naturel », arborant avec fierté des aisselles abondamment garnies et un entrejambe où les poils ont droit de cité.
Flavia n’est jamais seule. Axel est toujours à ses côtés, et les regards des lecteurs ne la lâchent jamais. Et si c’était là la véritable exposition ? Celle qui se joue en dehors des murs de sa « chambre de verre », celle à laquelle l’auteur convie les spectateurs devenus voyeurs en leur montrant une Flavia sous tous les angles, en train de prendre une douche, de papoter avec des amis, de se promener avec une amie, de boire un café, de faire connaissance avec Marco. Ce sont là des activités quotidiennes d’une flagrante banalité, mais n’est-ce pas à travers cette banalité qu’on peut réellement comprendre cette femme ? En assistant à sa vie de tous les jours, peu importe qu’elle soit nue ou emmitouflée dans sa doudoune ? En la voyant tour à tour s’épanouir et se flétrir au gré des émotions et du jeu de l’ombre et de la lumière qui, s’il peut faire briller sa peau et ses yeux, peut tout aussi bien l’étouffer jusqu’à la moindre étincelle. Il me semble que c’est précisément dans cette exhibition permanente que réside l’art d’Axel, décision qui n’a rien à voir avec celle de Flavia qui, malgré et à travers son omniprésence dans la BD, reste une créature, soumise aux caprices de l’auteur. L’artifice suprême consistant à la doter d’une force vitale qui, pendant quelques instants, peut faire oublier cela.
Axel
La Chambre de Verre
Dynamite
ISBN : 9782362346149
Références
↑1 | Jennifer Ringley, article Wikipédia, consulté le 24/01/2017 |
---|