Aline Tos­ca, Mon jour­nal intime, éro­tique et pornographique

Ce Jour­nal à l’in­ti­tu­lé impres­sion­nant n’est pas le pre­mier texte d’Aline Tos­ca à entrer dans ma biblio­thèque. Mais je n’ai jamais su me résoudre à en par­ler dans la Bauge, débous­so­lé par un style bien par­ti­cu­lier qui, pour tout vous dire, ne me reve­nait pas, par des phrases qui, trop sou­vent, me per­daient en cours de route. Mais c’est qu’il faut sans doute s’y habi­tuer, consom­mer dou­ce­ment ses paroles, don­ner à l’a­gen­ce­ment de ses phrases le temps de bien infu­ser, pour savoir appré­cier un mélange qui ne se ren­contre pas tous les jours.

Qu’en est-il donc de ce Jour­nal, intime, éro­tique et même por­no­gra­phique ? Les habi­tués de la Bauge savent que le San­glier n’adore rien autant qu’une volon­té qui s’assume, et force est de consta­ter qu’A­line Tos­ca est du genre à tenir ses pro­messes ! Le lec­teur ne sera pas sur­pris d’ap­prendre, compte tenu du titre peu équi­voque, que le texte se pré­sente sous la forme d’un jour­nal, suite à une déci­sion déli­bé­rée de la part de la nar­ra­trice / autrice qui s’en explique dans la Pré­face : Quand il s’a­git de racon­ter ses pre­mières fois, autant le faire sous la forme crue d’un jour­nal au lieu de tout faire pas­ser à tra­vers le filtre du roman. Parce que le jour­nal per­met­trait de mieux s’as­su­mer, de mieux se dénuder :

Écrire un jour­nal relève de l’aveu. C’est une mise à nu. Se mettre nu, regar­der sans indul­gence, regar­der le vrai, c’est la pho­to sans retouche, cel­lu­lite et imper­fec­tions appa­rentes. (Pré­face)

Cela rap­pelle la volon­té de Rous­seau de « dévoil[er] son inté­rieur » (J.-J. Rous­seau, Confes­sions, Livre pre­mier), et on peut se deman­der si ce n’est pas à cette source bien fer­tile que la nar­ra­trice a pui­sé sa volon­té d” « écrire une confes­sion » (Pré­face). Et quelle meilleure forme que celle-ci pour maî­tri­ser le dif­fi­cile aveu de ses ini­tia­tions, de ses ren­contres et de ses aven­tures « inavouables », de ses débauches ? Et com­ment ima­gi­ner meilleure matière à confesse que ces affaires de la chair, celles jus­te­ment que pré­fère depuis la nuit des temps la masse des gour­mands avides de détails sca­breux ? Dans le cas de ce Jour­nal intime, éro­tique et por­no­gra­phique, cela est d’ailleurs à prendre au pied de la lettre, parce que la nar­ra­trice choi­sit de se rendre « à confesse », lit­té­ra­le­ment, et de faire le récit de ses ini­tia­tions à – un prêtre. Mais au moment de mettre son pro­jet à exé­cu­tion, elle tombe sur un élé­ment sur lequel elle n’a­vait pas comp­té, et le prêtre choi­si au hasard se révèle un per­son­nage de son pas­sé d’a­do­les­cente, un ancien amour dont les charmes, de par son absence pro­lon­gée, sont res­tés entiers. Gênée, elle décide alors d’ar­rê­ter ses visites et de délais­ser l’o­ral au pro­fit de l’é­crit, quitte à confier les fruit de ses tra­vaux à la Poste. Pro­cé­dé qui qui n’empêche pas ses confes­sions d’êtres des plus épi­cées, bien au contraire.

À lire :
Esparbec - L’œuvre complète chez la Musardine

Le ton est don­né dès le départ, mieux encore par le sur­nom dont on affuble la nar­ra­trice que par l’é­nu­mé­ra­tion des lec­tures licen­cieuses d’un gar­çon de café : Drou­na, légère adap­ta­tion aux habi­tudes lin­guis­tiques des Fran­çais du nom d’une héroïne de bande des­si­née ita­lienne, Druu­na, née sous la plume talen­tueuse de Pao­lo Eleu­te­ri Ser­pie­ri. Il suf­fit d’une recherche sur Google Images (le filtre Safe Search désac­ti­vé) pour se rendre compte du carac­tère ouver­te­ment por­no­gra­phique de ces des­sins, et le lec­teur curieux peut en pro­fi­ter pour se faire en même temps une idée du phy­sique de l’hé­roïne de notre Jour­nal : « un gros cul, la taille pas grasse et des seins géné­reux qui bal­lottent dans le vent. » (1 – Les fêtes, en mai)

Drou­na étale donc, en douze cha­pitres, sa vie intime aux yeux du lec­teur, pas­sant d’un pre­mier bai­ser à des plai­sirs plus épi­cés. Et ce jour­nal a ceci de par­ti­cu­lier que le scan­dale (si scan­dale il y a) ne vient pas tel­le­ment des acti­vi­tés sexuelles de l’hé­roïne (certes épi­cés mais pas outra­geant non plus) mais plu­tôt du rap­pro­che­ment, sur les pages d’un jour­nal, de ce qui est assez éloi­gné dans le temps, et le pre­mier bai­ser, échan­gé sur une digue, frôle de très près la soi­rée de débauche où les moules s’offrent avec géné­ro­si­té, menu déli­cieux bien­tôt sui­vi par force encu­lades et autres gâte­ries res­tées sans len­de­main. Il y a, sur le par­cours de Drou­na, quelques hommes, mais ce sont les femmes qui prennent du relief, comme Vir­gi­nie, celle des pre­mières expé­riences saphiques, et sur­tout Billie Jean, cama­rade de débauche qui ne laisse pas indif­fé­rente la belle nar­ra­trice délurée.

Mais ce texte est bien plus qu’une enfi­lade de scènes éro­ti­co-por­no­gra­phiques et la plé­ni­tude des expé­riences sexuelles ne pour­rait se conce­voir sans le cadre que four­nissent les pay­sages et les cou­tumes de la Camargue. Entre décou­vertes saphiques, tour­nées en club et éva­sions en ter­rain de sou­mis­sion, on a le droit de se deman­der si l’é­ro­tisme des pay­sages vus à tra­vers les yeux amou­reux de la nar­ra­trice n’est pas ce qu’il y a de plus fort et de plus authen­tique dans ce texte qui sent si bon le ter­roir. Pour un texte éro­tique, c’est une approche ori­gi­nale et presque osée que celle d’A­line Tos­ca, et sa créa­ture, on l’i­ma­gine volon­tiers dans un tableau où les arbres se changent en dryades et où les satyres sortent des bos­quets dans la cha­leur écra­sante et par­fu­mée du midi.

À lire :
Jean-Paul Brighelli, La société pornographique

Mal­heu­reu­se­ment, et c’est là un tout petit bémol que je ne vou­drais pas faire pas­ser sous silence, il y a dans ce récit des fils qui res­tent comme sus­pen­dus, comme l’his­toire de Louis le prêtre, dont on aime­rait mieux connaître les rai­sons de ses choix, ou encore celle qui se tisse entre Drou­na et Billie Jean et qui se ter­mine sur un petit air de Thel­ma et Louise, lais­sant le lec­teur sur sa soif. À moins, évi­dem­ment, que l’au­trice nour­risse le pro­jet de don­ner une suite à ses confes­sions, pro­jet qui serait le bien­ve­nu pour embau­mer le prin­temps qui ne tar­de­ra pas, en ce mois de mars, à réchauf­fer les terres en bord de Méditerranée.

Quoi qu’il en soit de ces quelques fils qui traînent, il faut avouer qu’A­line Tos­ca a réus­si un véri­table tour de force avec ce jour­nal où des scènes d’une cru­di­té sans équi­voque sont por­tées par une langue tout en rete­nue, ali­men­tée par des images et des sono­ri­tés qui rap­pellent la lycéenne sau­vage qui conti­nue à vivre quelque part dans les entrailles de la femme adulte. Et au cœur de tout ça, et il me semble que c’est là qu’on touche au secret d’A­line Tos­ca, à ce qui fait son charme quelque peu revêche, à ce qui repousse et attire en même temps, il y a une dic­tion impres­sion­niste qui noie le lec­teur dans les cou­leurs de ses images, qui l’o­blige à prendre du recul s’il veut avoir une idée de l’en­semble, s’il veut savoir de quoi il en retourne réel­le­ment. Au prix tou­te­fois de se pri­ver des arômes qu’ex­halent les paroles de cette plume trem­pée dans les odeurs d’une gar­rigue près d’é­cla­ter en feu, de voir dis­pa­raître en l’air les bulles par­fu­mées d’un récit qui appelle à se rap­pro­cher, à plon­ger la tête la pre­mière dans une eau chaude bouillante.

Aline Tosca Mon journal intime, érotique et pornographique

Aline Tos­ca
Mon jour­nal intime, éro­tique et por­no­gra­phique
Atra­men­ta
(ver­sion texte uniquement)

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

Une réponse à “Aline Tos­ca, Mon jour­nal intime, éro­tique et pornographique”