Dans son « petit roman érotique », Raphaëlle Cazzo raconte la Fin de vacances de Bérénice et de son amant Antonin qui, après quelques semaines passées dans le sud, sont en train de remonter vers leur domicile, dans la vieille 2CV d’Antonin, par des petites routes provençales. Je me suis posé la question s’il fallait par conséquent réserver ce texte pour la fin de ma série des Lectures estivales, mais j’ai finalement été tellement ravi par ces trois épisodes de la vie sexuelle du couple en question que j’ai résolu d’en parler aussitôt. Et de donner ainsi à l’un ou l’autre de mes lecteurs l’occasion de découvrir ces trois chapitres près de la mer, sous le soleil, les oreilles remplies du chant des cigales et un verre de rosé bien frais à portée de main.
Bérénice est une jeune femme que le lecteur découvre tout d’abord à travers les yeux d’Antonin, son amant depuis quelques mois, qui s’apprête à lui faire prendre son pied. Sauf que la jeune femme n’en sait rien vu qu’elle s’est assoupie après un pique-nique improvisé à quelques mètres du bord de la départementale qui les ramène chez eux après des vacances en Provence. Brutalement arrachée des bras de Morphée – et des rêves humides où elle figure en vedette avec Burt Lancaster – par les cris affolés d’une touriste hollandaise, tombée à l’improviste sur une représentation qui aurait pu se passer de public, Bérénice fait preuve d’une énergie aussi insolite que déconcertante en se déchaînant sur son malheureux compagnon qui, en proie aux émanations trop sensuelles du corps de Bérénice, n’a pas su se retenir.
La route une fois reprise après cette rencontre des plus désagréables, les aventures de nos deux jeunes gens continuent, et le lecteur leur tient compagnie sur un trajet jalonné de haltes fréquentes, le plus souvent occasionnées par des besoins corporels qu’il ne faut surtout pas négliger, tant pis pour la rentrée qui se profile sur l’horizon. Mais est-ce de leur faute s’il y a des occupations autrement plus passionnantes que la conduite ?
La deuxième scène s’ouvre sur une chambre d’hôtel, au moment où Bérénice se réveille après une nuit trop courte. Cette fois-ci, c’est Antonin qui continue à dormir tandis que sa compagne cogite sur les démarches futures et les événements passés. Elle fait passer en revue ses activités nocturnes, astuce savante de l’auteure qui permet au lecteur d’assister aux ébats du couple en se plaçant dans la perspective de Bérénice. Un procédé qui en rajoute à l’intimité de la scène en ôtant la nécessité d’inventer un narrateur supplémentaire qui serait tout simplement de trop dans le jeu qui oppose et unit les deux amants. La description de ce qui s’est passé quelques heures plus tôt dans la chambre sordide est à la hauteur du procédé narratif très réfléchi, et les mots qu’a trouvés Raphaëlle Cazzo pour une scène d’amour à la grecque, savourant chaque détail sans jamais céder à la moindre vulgarité, ne laisseront personne indifférent.
On l’aura compris, Bérénice est une femme qui aime prendre les choses en main. Pourquoi attendre que le mâle passe à l’acte quand on peut très bien s’occuper de ses propres affaires, telle semble être la devise de cette jeune femme très gourmande et pleine de ressources qui fait aisément comprendre à Antonin que c’est elle qui mène le jeu. Et qu’est-ce qu’il faut attendre d’une femme dont le seul nom proclame haut et fort non seulement les prérogatives de la descendance royale, mais encore la victoire qui lui revient comme de droit. Et comment ne pas songer, dans la scène de la douche du troisième chapitre, à la petite fille d’une autre Bérénice qui, elle, a tenu par deux fois un Empire entier par les couilles ? Et dont un des amants portait un nom qui rappelle étrangement celui d’Antonin ? Un chapitre qui se terminera d’ailleurs par une petite surprise que l’Antonin en question ne saura pas vraiment goûter…
Quel plaisir que de trouver enfin une femme – entière, sauvage et raffinée à la fois – après toutes ces pâles demoiselles qui courent avec joie se soumettre au premier queutard venu à la condition que celui-ci sache leur payer les frais d’une vie insouciante de luxe. Quelle richesse que cette Bérénice à la toison de jais indomptée, amatrice de poils et de pratiques qui ne sentent pas toujours l’eau de rose, capable de se laisser aller dans la joie, au point de lever le cerbère d’un hôtel dont les seules étoiles brillent pourtant dans le ciel de Provence, et qui sait trouver les mots et les actes qu’il faut pour manier un amant qui pourtant ressemble, avec sa fourrure abondante, à l’homme des cavernes. Parce qu’il faut savoir qu’avec cette Bérénice, on remonte loin, très loin, vers les sources, jusqu’à la femme qui civilise l’homme par le sexe, digne descendante de Shamhat, la courtisane qui, en dévoilant ses charmes au point d’eau [1]Cf. la première tablette de l’Épopée de Gilgamesh., a non seulement déniaisé, mais rendu véritablement humain, le compagnon du roi d’Uruk.
Raphaëlle Cazzo a donné, avec son petit roman érotique, un texte très dense où l’érotisme est plus costaud que ce qu’on a l’habitude de lire depuis un certain temps, et qui tire de ses excursions dans l’Histoire et le Mythe un charme très apprécié par tous ceux qui aiment voir plus loin que le bout de leur queue.
Raphaëlle Cazzo
Fin de vacances (pour Bérénice)
Auto-édition
ASIN : B00DMIU1CY
Références
↑1 | Cf. la première tablette de l’Épopée de Gilgamesh. |
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Commentaires
Une réponse à “Raphaëlle Cazzo, Fin de vacances (pour Bérénice)”
Wow ! Je n’aurai qu’un mot : énÔÔrme !
… Mais non, en fait, je vais en rajouter quelques uns : merci Thomas pour cet article dont la verve n’a d’égale que l’érudition. Je ne m’attendais pas à ce que ma petite oeuvre suscite un tel enthousiasme ! Et puisque vous êtes décidément un véritable magicien avec les mots, peut-être faut-il inventer un nouvel adjectif qui allie vos qualités littéraires et votre passion pour l’érotisme ; plutôt que thaumaturge… thomas-turgescent ?
Bien à vous
R. Cazzo
PS : j’ai beaucoup aimé le Roi d’Uruk et Shamhat la courtisane que je vais wikipédier de ce pas.